[ ROMAN] MARIE LIEBART, Loin, confidences guadeloupéennes.
Loin, troisième roman de Marie Liebart (paru aux éditions Poussière de lune).
Nous allons vous parler, dans un portrait en trois parties, de Marie Liebart, autrice de roman mais également éditrice puisqu’elle dirige les éditions MVO avec Marc Vandamme, lui aussi auteur. Mais avant de vous livrer ce portrait par le biais de deux interviews (l’une consacrée à son travail d’autrice, l’autre à son travail d’éditrice), nous nous penchons sur son troisième roman, Loin, paru en août dernier aux éditions Poussière de lune.
Loin, c’est l’histoire de Gaïa, une femme guadeloupéenne qui se confie à une autrice. Par le biais d’une petite annonce, les deux femmes se sont rencontrées et se sont apprivoisées, dans le but que la seconde écrive l’histoire de la première. Et cette histoire relate, en quelques chapitres particulièrement marquant, un portrait de femme, dans toutes ses nuances, entre splendeur et zones plus sombres.
L’histoire commence avant la naissance de Gaïa. En Guadeloupe, en 1940. Sa mère, Maya, rencontre l’homme qui deviendra son père, homme violent qui, un soir de tempête, l’éborgna par la force des poings. Cela n’empêche pas cette femme de mener à terme sa grossesse. Hélas, quelque temps après la naissance de sa fille, une dernière rouste du mari sanguin la conduira à se faire avaler par la mer. Gaïa sera élevée par sa grand-mère, son phare dans les ténèbres, et par la grande amie de sa mère, Gwladys.
Immersion en terre Guadeloupéenne.
Mais la vie n’est pas tendre. La cécité de sa grand-mère la conduira à vivre, avec cette dernière, chez son oncle, un être ahuri par la guerre, y ayant perdu sa santé mentale, et sa tante, une marâtre abominable. Conte de Cendrillon moderne, la jeune Gaïa profitera d’une seule occasion pour ficher le camp de ce lieux où elle perdait la raison. Fort heureusement, bien que déscolarisée à l’âge de onze ans, elle trouve dans les livres de cette parente tyrannique un précieux réconfort.
Dans une toute première partie, relativement brève comme pour planter le décor, dont nous vous avons résumé les grandes lignes, nous sommes immergés en Guadeloupe. Les dialogues y sont en créoles, sous-titrés français. L’immersion est totale, au point que la chaleur des Antilles nous accable, autant que les poings sur la pauvre Maya. Nous sommes en terre de soleil, mais aussi de misère. La vie y est rude. La seconde partie du livre ne fait que conforter cette misère puisque l’héroïne qu’est Gaïa décide de quitter sa terre natale, en y laissant son mari qu’elle ne reverra que lors de vacances, pour la capitale, afin de permettre à son fils de suivre des études (mais aussi à fuir la précarité financière d’une île laissée à l’abandon par l’État français).
Portrait de femme et conte moderne.
Ce livre est l’histoire d’une femme, forte, qui rien ne détourne de ses objectifs. Ceux-ci sont modestes, vu de la métropole, mais énormes quand on vient des îles. Se nourrir quotidiennement est ardu en Guadeloupe, le travail y est rare. Les conditions de vie sont donc proches du combat permanent, de celui qui use le moral, les couples, et réveille les démons (alcoolisme, violence).
Alors Gaïa part, avec son fils, POUR son fils. Car, comme toute mère, elle ne désire que le bonheur de son petit, bonheur qui passe par les études. Alors elle s’éloigne de son mari, qu’elle retrouve l’espace de deux mois tous les deux ou trois ans. Ces conditions pèsent, forcément, mais tout est rendu plus léger par le soleil émanant des dialogues des deux femmes, l’autrice et Gaïa, qui refont le chemin de la vie de la « vieille » femme.
Ces dialogues sont pétillants, dégagent un rythme chaloupé, presque dansant. Les parfums nous assaillent, tout comme la prétendue douceur de vivre de l’île (quand on y est de passage pour les vacances, on laisse volontiers les image n’entrant pas dans le cadre idyllique de celles-ci de côté). Tout est rythme, même la langue. Évidemment, il y a le créole (ici, il est transcrit de l’essence populaire de la langue) qui nous transporte « ailleurs ». Mais même le français nous entraîne dans un autre coin du monde puisque le choix des mots y est dépaysant.
Doux, amer.
Ce langage révèle une préciosité que nous pouvons parfois ressentir lorsque des mots, qui sont presque oubliés ici, ressurgissent de la bouche, par exemple, d’un Québecois. Ou d’un antillais, car loin du continent, les langues évoluent parfois différemment. La finesse de Marie Liebart est ici de marquer ces distinctions sans pour autant appuyer dessus. Tout est fluide, élégant, entraînant.
Mais surtout, ce qui amplifie ce mouvement de tangage (autant du verbe que des corps possédant leur propre danse), c’est le côté à la fois doux et amer de Loin (inspiré d’une histoire vraie). Parce que l’existence est vache, parfois, que la reconnaissance se dispute avec l’ingratitude, parce que les combats ou les convictions de l’un ne sont pas celui de l’autre. Le récit est émouvant, juste. Ce dernier mot est important tant la justesse du roman nous saute aux yeux, qu’il n’y a jamais d’effet exagéré, amplifié pour tirer des larmes (de rire ou de tristesse). Non, tout est cadré par la fougue d’une personne qui se raconte, sans mettre la pudeur de côté, avec une honnêteté touchante, désarmante.
les impressions sont donc au plus près des corps, des coeurs, des émotions, sans jamais tomber dans le pathos ou une espèce de vile flatterie. Tout est pesé, rythmé, développé pour nous diriger au plus près de la femme qu’est Gaïa, pour faire d’elle une proche, malgré les années et la distance qui nous séparent d’elle.
Ce roman est une étrange parenthèse. Elle nous isole de nous-mêmes, du cadre qui est le nôtre, pour nous entraîner dans une vie. Une vie de femme comme tellement d’autres. Mais tellement unique aussi. Loin est un témoignage précieux sur ce qu’est la vie, tout simplement.
Un autre livre de témoignage ? Tu l’écris, je le crie
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