[ PODCAST ] RENE DENFELD En ce lieu enchanté
Découvrez le podcast consacré à En ce lieu enchanté, roman de Rene Denfeld (Editions Fleuve)
Je vais vous raconter une histoire, se déroulant… En ce lieu enchanté. Une histoire pas commune, et relativement compliquée à imaginer. Il faut vous mettre en situation, dans une situation complexe justement car inconnue en France depuis 1981 et l’abolition de la peine de mort. Donc voilà ce que vous allez imaginer. Vous êtes un tueur. Un tueur d’enfants. Ça vous a pris comme ça, un délire, une folie, rien de prémédité, ou alors un petit peu mais de façon presque inconsciente. Donc un jeune garçon arrive devant vous et vous le massacrez. Simplement, banalement, horriblement.
La police vous choppe. Vous avez droit à un procès. Vous êtes aux États-Unis et, vous le savez, contrairement à chez nous, vous y êtes reconnus coupables, et c’est à vous de prouver votre innocence. Mais là, vous plaidez coupable car vous savez que vous l’êtes. Vous espérez peut-être quand même une peine à perpétuité, mais vous ne vous faites pas d’illusion parce que vous êtes dans un état où la peine de mort, par injection létale, est de rigueur. Alors quand le verdict tombe, vous n’êtes pas véritablement surpris. Vous en êtes même un peu soulagé. Parce que vous n’êtes pas fous. Ce serait trop simple de mettre cet acte abject sur le compte de la folie. Et de toute façon, vous l’auriez voulu, faire croire que vous êtes à l’ouest, complètement siphonné, que les psy auraient détruit toute votre pseudo défense. À leurs yeux, vous étiez responsable de vos actes, pleinement, et il ne fait aucun doute que, pour vous, la sentence est la mort.
Le couloir de la mort
Imaginez toujours qu’à partir de ce jugement, vous devez attendre un certain temps avant que la sentence soit exécutée. Un temps interminable, enfermé dans une cellule quasiment 24h sur 24, 7 jours sur 7. Seules quelques excursions dans une petite cour isolée de la prison vous permette de voir le soleil et respirer un air sain. Mais là, vous ne côtoyez personne d’autre que les gardiens, vous êtes à l’isolement le plus complet. Alors votre univers se résume tout bêtement à cela, aux quatre murs de votre cellule et à cette minuscule cour dans laquelle vous faites les 100 pas, quelques minutes par jour.
Cet endroit, cette prison, devient votre repère. Vous connaissez tous ces bruits, ceux des portes qui claquent, ceux des raclements de l’autre côté du mur de votre cellule. Vous connaissez chaque gardien au son de sa voix. Et puis vous reconnaissez le son de la voix de cette avocate, celle qui cherche à sauver celui qu’elle pourra sauver. Le prochain mis à mort, c’est vous. Elle veut vous sauver. Mais vous ne voulez pas de son aide. Vous voulez mourir pour ce que vous avez fait.
Une plongée vertigineuse.
Ce roman est une plongée radicale dans l’univers carcéral, et plus particulièrement dans ce lieu enchanté, tous guillemets ouverts, qu’est le couloir de la mort. Dans cet endroit, l’espoir n’existe plus, tout n’est qu’isolement, obscurité, remords, violence, haine, quête d’un éventuel pardon. Dans ce lieu enchanté, vous n’avez qu’une chose à faire, qu’on vienne vous interroger sur ce que vous voulez manger pour votre dernier repas et qu’on vous guide jusqu’à la salle blanche, clinique, dans laquelle on glissera une aiguille dans vos veines, aiguille dans laquelle on glissera le poison qui vous ôtera la vie.
À quoi se raccrocher alors ? Plusieurs années passent entre le verdict d’un jugement et le moment ou le cœur du condamné cessera de battre. Quoi faire de tout ce temps ? Qu’espérer ? À quoi rêver ? Vos pensées reviennent sans cesse à ce que vous avez fait, à ce qui vous a poussé à le faire. Éprouvez-vous du remords ? Des regrets ? Oui, certains en ressentent, mais d’autres, les psychopathes les plus tarés, eux, s’en fichent royalement. Le narrateur de cette histoire fait partie des premiers. Il a commis un acte odieux, il le sait, sous le coup d’une pulsion morbide, un délire, une folie passagère. Et il assume, il accepte la sentence. Pendant son enfermement, il n’a qu’une chose à faire, décrire son lieu enchanté, capter dans les nouveaux venus une fragrance de liberté, celle dont on lui a ôté la perspective.
Les sens à l’épreuve.
Il connaît tout, tous les bruits, tous les sons, parce que tout cela se passe quasiment à l’aveugle (là encore avec tous les guillemets d’usage). Les odeurs, les goûts demeurent, l’ouïe également, mais la vue n’existe plus, celle du dehors comme celle du dedans, quasiment, et le toucher non plus, comme si, déjà froid, le corps le repoussait d’avance. Il n’y a plus ni chaleur, ni désir, ni envie. Il y a juste ce décor immuable et la poésie. Car ce livre se pare d’une poésie souvent hallucinante qui tranche avec toute la violence sous-jacente qui peuple les pages de ce livre fort, bouleversant.
Son autrice, Rene Denfeld donc, est à la fois romancière et journaliste, spécialisée dans les peines de mort. J’imagine qu’elle a dû côtoyer des endroits sordides, des personnes toutes aussi sordides, pourtant ce roman pleut la lumière à toutes les pages. Notre imaginaire fonctionne à plein régime, nos sensations et émotions également. J’imagine la cellule avec des murs de pierre, suintante d’humidité, recouverte d’une mousse toxique ou de mérule, avec une seule et unique fenêtre donnant à l’extérieure, mais placée si haut que, de cet extérieur, vous ne pouvez que discerner la couleur du ciel. Dans la porte, une meurtrière, à l’horizontale, dans laquelle sont introduit les repas et dans laquelle vous glissez le plateau une fois le repas consommé. Pas de contact avec les gardiens. Juste le bruit de leur pas qui vous permet de les identifier. J’imagine le narrateur comme un homme entre 40 et 50 ans, crâne rasé, blanc, grand, famélique, ayant fait vœux de silence, emmuré non seulement dans cette prison mais dans la sienne propre, prison de silence, prison de sensations. Seul dans sa vie comme il le sera dans sa mort.
Le podcast de BOL (Bande Originale de Livres), sur Radio-Activ, consacré à En ce lieu enchanté ICI
Un autre podcast, Animale de Laure Anders