Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
DELPHINE BILIEN, Éléonore sous l’orage de la révolution.
3é Roman paru chez Les Moissons.
Le titre du roman parle de lui-même. Nous allons suivre une héroïne, Éléonore, durant la période de la révolution française. Mais attention : si l’aspect historique y est évoqué avec un grand sérieux, ce roman n’est pas pour autant un roman historique. Il est plus un portrait de femme vivant dans une période trouble. Delphine Bilien, avec une grande force narrative, nous balade entre la vie sentimentale de son héroïne et les fracas sanglants de la révolution.
Éléonore Le Raphalem vit en Bretagne, avec sa famille. Simples paysans, ils vivent chichement du travail des champs. Un jour qu’elle se rend au village voisin, la jeune fille est bousculée par un garçon de son âge. Malmenée, mise à terre, elle se fait porter assistance par un inconnu. En effet, un homme s’interpose, épée sortie du fourreau, et fait fuir le malotru. Cet inconnu ne l’est pas tant que ça puisqu’il s’agit du Marquis Philippe de la Rochemenez, noble local et dont la famille est plutôt respectée sur ces terres. Bientôt, une amitié se tisse entre les deux jeunes gens, amitié qui laissera place à des sentiments plus profonds, mais un temps inavoués, en partie à cause de leur différence de statut.
Mais un beau jour, les deux succombent à leurs sentiments, ce qui conduira la jeune femme à quitter les siens pour ne pas jeter l’opprobre sur sa famille. Elle st en effet enceinte du noble, qui ne peut l’épouser et jette son dévolu sur une femme de son rang. Mais les destins d’Éléonore et du Marquis sont liés, destins bousculés par l’imminence d’un grand bouleversement social, celui de la révolution française.
Une femme forte.
Avec assurance, Delphine Bilien nous esquisse le portrait d’une jeune femme qui n’aspire qu’à vivre du fruit de son travail, de fonder une famille et de couler des jours heureux. Mais le destin en décide autrement, façonnant la personnalité d’Éléonore. Petit à petit, d’espoirs en désillusions, la jeune femme gagne en caractère, accepte certains schémas, mais jamais n’en est dupe. Son enfant à naître lui confère une force, force qu’elle transcende par et dans son métier.
En effet, elle sait lire, ce qui lui ouvre certaines portes. Bien plus que sa condition de paysanne, c’est sa condition de femme qui se trouve magnifiée, lui permettant d’accéder à une vie inespérée, qui la nourrit (au propre comme au figuré). Mais tandis qu’elle gagne en confiance, en force, les dés de la révolution sont jetés, mettant à mal tout un pays. Les paysans, affamés, se soulèvent pour rejoindre les mouvements révolutionnaires, ou bien ceux d’une résistance dédiée à la monarchie.
Contre son gré, elle perd des membres de sa famille. Cette famille qui lui est chère et qu’elle cherche absolument à protéger, contre vents et marées. Son amant le Marquis quitte la France, puis revient, plongeant sans cesse cette héroïne dans le tourment. Mais, bien plus forte que ce noble, elle tire sa majesté de ce que lui a donné l’expérience des douleurs et des combats, des pertes aussi.
Un portrait juste.
Ce roman, qui prend la forme d’un retour aux sources d’une mère de famille d’aujourd’hui (tout le roman se déroule dans la parenthèse de cette femme qui « plonge » dans les racines de sa famille, au sein d’une église en Bretagne qui « relie » les époques et les âmes), nous dépeint un portrait des plus justes des femmes de la fin du XVIIIe siècle. Celles-ci, souvent rendues muettes par l’histoire, trouvent ici une voix qui leur ressemble. En effet, cette femme n’est pas une caricature, ou pire que cela, un fantasme d’écrivain. Il nous semble que les femmes avaient déjà leur rôle à jouer, certes souvent auprès de leur famille et reléguées aux tâches ménagères (du reste, les hommes étaient eux accaparés au travail des champs), mais qu’elle y étaient considérées.
Juste est le portrait, juste sont les sentiments évoqués. Amour, colère, désespoir parfois, peur sincère, joies intenses, tout y passe, mais toujours décrit de façon équilibrée, sans faire jouer le pathos. Le tiraillement aussi, celui qui consiste à vivre sa vie comme on l’entend et comme on l’attend de nous, est lui aussi très bien décrit, montrant que la charge mentale n’est pas une nouveauté de notre début de siècle. Ces éléments font que, contexte historique mis à part, cette histoire pourrait tout à fait être actuelle.
Les questions de la révolution.
Forcément, bien que le propos ne soit pas forcément là, l’évocation de la révolution française nous rappelle une page de notre histoire nationale. Nous y voyons un peuple qui trime, une noblesse oisive, ou du moins qui nous le paraît, ou qui semble au mieux occupée à sauver ses richesses et privilèges, et cela ne peut que nous interroger sur l’état de notre société actuelle. Il y avait à l’époque une grogne, sourde, inaudible, qui a soudainement jailli, à force du « trop » (trop de labeur, trop de misère, pas assez de « récompenses »). Il n’est pas dur d’imaginer que cela pourrait un jour ou l’autre ressurgir.
Néanmoins, il nous échappait, par méconnaissance, ou par connaissances seulement distribuées par l’école et le collège, que cette fameuse révolution ne s’arrête pas simplement à la prise de la Bastille, mais qu’elle s’est étendue sur plusieurs années, ayant perduré jusqu’à l’installation du premier empire. Les choix, ceux d’Éléonore et ceux des français de l’époque, ont eu des répercussions sur une longue période, pour que, 200 et quelques années plus tard, nous soyons, toutes proportions gardées, dans un même sentiment de colère. Ce point n’est pas à négliger, même si, nous l’en défendons encore, le propos de Delphine Bilien n’est pas là.
Nous avons donc, avec Éléonore sous l’orage de la révolution, affaire à un roman à la fois divertissant et qui tisse le portrait d’une société aujourd’hui disparue. Très bien écrit, le livre nous entraîne dans son histoire sans que jamais la lassitude n’intervienne, notamment grâce à des personnages attachants, réalistes (vrais) et tout saufs clichés. Une réussite du début à la fin.