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[ROMAN] DAVID LE GOLVAN, L’agrestie // réel ou imaginaire
L’agrestie, 4é roman de David Le Golvan (MVO éditions)
L’agrestie est le quatrième roman édité de David Le Golvan, mais c’est le premier qu’il a écrit. Étrange calendrier qui bouscule les parutions, où hasard d’être tombé sur un éditeur plus sensible que les autres, peu importe, car au final l’ouvrage est là, et qu’il vaut le coup d’être lu. En effet, David Le Golvan, qui fut notre auteur du mois de mars 2020, nous démontre une nouvelle fois l’étendue de son talent avec ce roman se déroulant en pays rural.
Ce pays rural, c’est celui du Gâtinais, c’est-à-dire un presque No mans land (on va se faire de amis) pas très loin de Bourges, plus proche de Montargis. Oui, ça ne fait pas rêver des masses sur le papier. L’auteur y décrit la vie de villages et de leurs villageois confrontés à plusieurs morts suspectes. Mais, par qui ces morts sont-elles commises ? D’ailleurs, y a-t-il une réalité tangible à laquelle les raccrocher ?
3 parties.
Ce roman se décompose en 3 parties. Dans la première, nous sommes dans un petit village, au bord d’un étang. Une jeune fille, adolescente, s’égare en forêt. Elle fait la connaissance qu’une étrange femme, laquelle l’a reconduite auprès de ses parents. Elles se lient d’amitié, bientôt rejointe par deux amies de l’adolescente. Dans la deuxième partie, deux jeunes femmes, voisines de palier d’un petit immeuble, sont retrouvées mortes, à quelques semaines d’intervalle. Tout laisse penser à des suicides, mais leur étrange voisin attire les soupçons de l’inspecteur de police chargé de déterminer les causes du décès de la seconde de ces jeunes femmes. Dans la dernière partie, nous vivons une soirée dans une boîte de nuit un peu misérable où un trio de jeunes femmes trompent l’ennui jusqu’à l’apparition d’un motard filiforme.
Nous n’allons pas trop vous en dévoiler, de peur de vous gâcher la surprise. Néanmoins, nous retrouvons un fil rouge entre ces trois parties, autant inspirées de faits divers comme il en arrive par camions entiers partout en France, que par des légendes locales ou régionales. Vous savez, de celles de La bête du Gevaudan, de L’ankou et sa chignolle, Oui, vous voyez de quoi on parle.
La plume.
Pour lier ces parties ensemble, il faut tout le talent de David Le Golvan pour ne jamais nous égarer en chemin. Au contraire, il s’infiltre dans nos pensées, comme s’il savait d’avance vers où notre esprit allait nous conduire. Alors, il emprunte des chemins de traverse, nous balade aux limites de situations peu crédibles, mais qui, paradoxalement, le paraissent trop. Oui, les monstres, qu’ils soient réels ou imaginaires (de cet imaginaire collectif sans cesse alimenté par des papotages incessants des commères et autres piliers de comptoir qui n’ont que ça à faire de leur journée), existent bel et bien. Alors oui, tout est crédible, parce que, dans L’agrestie, comme dans ces autres romans, David Le Golvan possède une arme infaillible.
Cette arme, l’auteur l’a aiguisé au fur et à mesure de ses histoires. Au fil de ses rencontres également (du moins le soupçonnons-nous). Et puis aussi un peu, beaucoup, par sa propre personnalité. Car cette arme, c’est décortiquer l’âme humaine sous toutes ses facettes, les plus belles et les plus sombres. La finesse de la psychologie de ses personnages nous saisit, véritablement, à la gorge. Il est impossible de ne pas avoir ressenti l’ennui de ses jeunes femmes en boîte de nuit, ni ses ragots de bar. Impossible de ne pas s’être posé de questions sur cet homme qui vit à côté de chez nous depuis longtemps mais que, finalement, nous ne connaissons pas. La plume acérée de l’auteur fore toutes nos histoires, tous nos vécus, pour le remettre à la surface, en allant même jusqu’à aller là où nous n’aurions pas pensé aller (mais qu’avec le recul nous ne pouvons nous empêcher de dire qu’il a tout bon dans son raisonnement).
Noirceur poétique.
Alors, L’agrestie s’avère un conte aux couleurs flashy de la fin des années 80. On y parle encore en francs, on roule en Renault 5, on fume des Gitanes maïs. Les couleurs sont vives, car très justes, très présentes, comme si nous y étions. L’agrestie est également un conte noir, qui fait remonter à la surface tous les non-dits, ceux qui, justement, façonnent les noires légendes. Pourtant, tout possède un indicible parfum poétique, un rythme particulier qui ne cesse de croître, comme si, une fois le décor planté, longuement, tout prenait de la vitesse dans un enchainement que rien ne pourrait stopper.
Mais ce décor, justement, se doit d’être planté consciencieusement. Il est la base de tout. Ici, il n’est jamais laborieux, rédhibitoire ou répétitif. Non, il est progressif, il nous capture en ses serres, avant même que nous nous en rendions compte. Et au final, le livre nous terrasse par l’acuité dont fait preuve l’auteur, mais également par la capacité qui est la sienne d’être dans le vrai. Son imaginaire laisse lui aussi ressurgir cette vérité tant tout est amené sur un plateau d’argent, ce métal qui tue les loups garous (enfin paraît-il).
Ce quatrième roman publié, mais premier écrit, vous place dans l’univers de David Le Golvan de la plus belle façon qui soit. Si nous devions vous donner un ordre dans les lectures de cet auteur, nous vous conseillerions celui-ci pour commencer, car peut-être plus accessible et moins violent, quoique ce second point soit discutable, que La rondette et Un commerce équitable. En tout cas, c’est déjà un tour de force dans un gant de velours.
Exclu : Chronique de L’agrestie de David Le Golvan diffusée dans l’émission B.O.L diffusé sur Radio Activ !
Le podcast :