LA PAROLE EST AUX MURS, éditions du Puits Fleuri
Photographies de Claude Abron, textes d’Yves Uro.
Les murs, on le sait, sont un espace d’expression quasi illimité. Graffeurs, artistes et anonymes y sèment des dessins, de véritables œuvres d’art ou de simples mots poétiques, vindicatifs ou constat sur le monde. Avec La parole est aux murs (éditions du Puits Fleuri), le duo Claude Abron/Yves Uro choisit de mettre en avant ces écrits qui, à leur manière, marquent une époque, un moment.
Organisé en thématiques bien distinctes (politique, économie, scène de rue, art et poésie, bonheur et rêves, bien-être animal etc.), le livre nous conduit dans un univers à part, un instant replié sur lui-même comme il peut être en même temps ouvert sur le monde entier. En émerge une douceur et une poésie, souvent contrariées par la désespérance de certains messages.
Des photos historiques à actuelles.
Sur quelques clichés, nous voyons des Renault 5, sur d’autres les dernières fringues à la mode. Claude Abron a pioché dans sa photothèque les photos les plus représentatives de ses shoots. Pris en grande majorité dans la région parisienne, même si quelques-unes d’entre elles ont été captées à l’étranger (Belgique, Allemagne, États-Unis) et dans d’autres départements français, chaque photo porte le poids des mots, mais aussi de leur environnement.
Murs sales et décrépis, friches industrielles, devantures de magasins, les auteur.e.s anonymes font preuve d’une imagination débordante et mettent en général en exergue l’un avec l’autre. Ainsi, sous le panneau « Rue de la banque » peut être simplement tagué « du sperme ». Le caractère cocasse de l’exemple peut s’avérer, dans d’autres exemples, plus tragique, philosophique, poétique ou révolutionnaire. De la même manière, cette page vierge qu’est souvent le mur voit certains graffitis affublés de réponses d’autres artistes anonymes. Plus vivants que jamais, ces écrits, dont la durée de vie est limitée, sont une mise en relation indirecte entre les auteur.e.s de ces méfaits (une photo prise d’une affiche mentionne les risques encourus par les « vandales ») et les passants.
Des textes lumineux.
Pour accompagner ces photos, les textes d’Yves Uro nous replacent bien souvent dans un contexte précis. Érudite mais jamais professorale, chacune des interventions de cet essayiste ou thésard (il a écrit des thèses sur Proust, Guitry…) nous indique des voies de réflexion ou juste nous propulse dans un univers totalement à part. Ainsi, nous nous resituons politiquement, socialement dans l’époque et sommes amenés, ainsi, à mieux comprendre le pourquoi du comment de certains commentaires.
Les interventions des textes sont souvent espacées, laissant ainsi le spectateur-lecteur se faire sa propre idée de chaque cliché, d’en sentir le parfum, d’en comprendre le sens. Certain sont clairement explicites, d’autres un peu plus nébuleux. En ce sens, la magie de certains d’entre eux serait restée totalement obscure sans la participation de l’écrivain. Avec mesure et sérieux, avec aussi quelques touches plus personnelles qui rend le tout dynamique et vivant (à l’image des photos donc), ces textes permettent aux photos de toucher leur cible avec plus de pertinence.
La beauté partout et pour toujours.
Cette double-fenêtre photo/texte nous permet donc de savourer au mieux ces fragments éphémères, aujourd’hui disparus mais qui gardent, grâce à ce beau livre un pied dans la mémoire et le réel. S’ils nous touchent autant, c’est aussi parce que la personnalité des deux auteurs de La parole est aux murs s’inscrit en creux dans celle de l’histoire. Ainsi, ces photos ne seront pas oubliées et permettent aux auteur.e.s graffeurs de toucher, un peu, à une reconnaissance méritée (à notre humble avis).
Il résulte donc de ce livre, outre ce manifeste sur la liberté d’expression accessible à tous, la beauté, la poésie, même tragique, même comique, souvent plus philosophique que soupçonnée. Ce beau livre s’avère particulièrement réjouissant et source infinie de possibilité. Quoique toujours illégal, ce mode d’expression a de beaux jours devant lui et, qui sait, s’il est vu par les bonnes personnes, peut ou pourra à sa manière changer le monde.
Patrick Béguinel