Sensations album 2 : les albums à ne pas manquer
Sélection de 4 longs formats tous azimuts.
Petite sélection de LP simplement appelées Sensation album. Elle revient sur des albums sortis ou qui vont prochainement sortir et qui ont, par su nous séduire par un ou des aspects de leur personnalité. Pour cette sensation album 2, on vous parle Melaine Dalibert, Roseland, Bess of Bedlam et Red Sun Atacama. Il y en aura pour tous les goûts !
MELAINE DALIBERT, Shimmering (Ici d’ailleurs)
Album piano presque solo (nous y reviendrons), Shimmering de Melaine Dalibert propose une odyssée fantastique dans l’univers de cet instrument à la force émotionnelle inégalée. Entre les silences, les notes, la suspension du temps entre moments enflammés et moments d’accalmie, l’album envoûte par sa beauté. Ni véritablement classique, ni véritablement pop, flirtant parfois avec les frontières de l’ambient, Shimmering nous place face à nous-même.
Le pouvoir du piano est incorruptible. Il possède cette faculté à remplir tout l’espace autour de nous, de créer un mur qui nous isole du reste du monde. Avec tact, inventivité, tout en restant accessibles malgré quelques touches légèrement expérimentales jouant sur la répétition ou la progression d’un thème, nous conduisant parfois au bord d’un sentiment de flottement, de perte de repères, Melaine Dalibert nous donne simplement envie d’aimer sa musique. Celle-ci sait être douce, romantique, mais aussi parfois plus aventureuse, pour ne pas dire, dans certains cas, rugueuse.
Blanches, noires, cordes et effets.
Il faut écouter l’album au casque pour une immersion totale dans son antre. Tout y est audible, y compris le silence. Les notes flottent littéralement d’un bout à l’autre des 8 titres, existent par delà leur absence, prolongeant une émotion ténue qui reste ancré, profondément, dans nos tissus. Pour amplifier la chose, Melaine Dalibert a la bonne idée d’y ajouter quelques tessitures électroniques qui rajoutent à la dramaturgie, ou au côté épique, de certains titres. On pense notamment au magnifique et très viscéral Mantra qui nous plonge au cœur d’une tempête sensorielle. En effet, un « vent » semble souffler sur un micro, et ce traitement électronique amplifie le côté répétitif et minimaliste du piano, comme un déchainement intime de nos passions cachées.
Mais s’il use de l’électronique, il fait aussi appel à d’autres instruments, des cordes notamment, qui amplifient le caractère romantique de sa musique. L’émotion ressort alors de façon magnifique, nous porte les larmes aux yeux, nous détourne de nos pensées pour nous concentrer sur ce que nos oreilles ont à nous offrir de magie. Pudique et lumineux, tourmenté ou assagie, Shimmering nous emporte loin, très loin de nos rivages habituels, par la seule grâce de quelques notes poussées du bout des doigts. L’album est aussi instantané qu’il demande à être décortiqué de fond en comble pour nous livrer tous ses secrets. Un plaisir durable, en somme, pour un artiste à fleur de peau.
BESS OF BEDLAM, Dance until the crimes end
Psychédélisme baroque
Bess of bedlam, c’est le side project de Fanny L’Héritier (paroles, compositions, voix, pianos, guitare classique, claviers analogiques, percussions) avec Guillaume Médioni (guitares, basse, banjo, synthétiseurs analogiques, arrangements). Les deux comparses, que nous avions découverts à travers leur album conjoint de folk baroque (et lui aussi psychédélique) Crocorama (sous le nom Odessey & Oracle), versent cette fois-ci dans un univers plus rock, sans perdre en pertinence.
Le ton est donné dès le premier titre, le très réussi Greenham Women. La guitare électrique y impose sa marque, faite d’un tourbillon enivrant d’arpèges passés au delay, donnant cette sensation d’étourdissement si caractéristique. On la retrouve, plus sobre, sur les autres titres où elle tisse des atmosphères aériennes, parfois un peu « inquiétantes », parfois épiques. Son apport est primordial, mais il ne fait pas tout, car la vraie star, c’est la voix.
Réveiller nos souvenirs.
En effet, Fanny L’héritier possède une voix assez incroyable. Nous la connaissions au sein d’Odessey & Oracle, elle nous est donc vite familière. Néanmoins, et dans la continuité de leur autre duo, elle se montre ultra expressive, dégage une sorte d’innocence un peu folle, de celle qui nous fait immanquablement penser à celle de Syd Barrett. On pense aussi à Electric light Orchestra (sur un titre comme Mister blue sky). La filiation semble évidente, mais l’est-elle tant que cela ?
À vrai dire, non, car Bess of bedlam possède un petit côté « français » dans sa démarche. Attention, rien de péjoratif, juste un côté flegmatique moins poussé, qui rend les compositions plus vivantes, plus « concrètes » d’une certaine manière. La voix étincelle donc, apporte une présence parfois proche de la féerie, flirtant aussi parfois dangereusement avec des aigus perçants (un peu dérangeants, si vous êtes un peu sensibles à ces notes, sur un titre comme Left the dream behind).
Un album homogène et cohérent
Outre cette voix lead incomparable, un très gros et admirable travail sur les choeurs est à noter. Ils apportent une dimension supplémentaire, touchante/émouvante, parfois épique, souvent poétique, presque fantomatique, désincarné, ou son contraire, sur des compositions qui prennent alors des allures de véritables pièces classiques.
Les claviers et synthés apportent eux aussi leur lot de sensations/émotions. Romantiques, fantasques, ils complètent les ambiances avec une personnalité assumée, faisant que cet album ne ressemble à aucun autre, du moins à l’heure actuelle. Nous notons aussi une certaine continuité avec Odessey & Oracle, même si les deux projets ne reposent pas tout à fait sur les mêmes bases. Néanmoins, très marqués dans leurs réalisations respectives, et jouées par les deux mêmes instrumentistes, la patte de ceux-ci saute aux oreilles. Certes, les compos ici ne sont que le fruit de Fanny, malgré tout on sent cette proximité et complicité au delà de ce simple album, très réussi, très onirique aussi.
Les titres de Dance until the crimes end.
On aime énormément les titres Greenham women, What can we whise women do, The white sea, Red seaweeds, Jellyfish in the sky.
ROSELAND, Unsaid words (déjà disponible chez Cryogene prod)
Un retour en beauté.
Nous avions quitté Roseland après son précédent, et très réussi, album To save what is left. Ce deuxième long format, baptisé unsaid Words, lui emboîte le pas et nous propose une continuité dans le changement. En effet, on retrouve la patte imposée par Emeline Marceau, qui pense et compose Roseland, qui évolue cette fois-ci en pleine lumière. Pour cet album, la multi-instrumentiste s’est entourée de deux musiciens additionnels pour porter son projet à bien, à savoir Robert Labrousse à la batterie sur l’ensemble des titres et Benjamin Mandeau aux claviers sur 3 titres (Glide Time, After Tonight, Empty sentences).
Un peu comme son prédécesseur, Unsaid words possède une fougue juvénile, en partie portée par la voix de Roseland, sans âge, mais dont la tonalité évoque la force et la fraicheur de la jeunesse. Les instrumentations dégagent également cette vitalité presque inconsciente de la jeunesse, une envie de faire tomber les murs qui se dressent devant nous et qui semblent infranchissables. Mais avec ses arguments, l’artiste multi-instrumentiste les contourne avec grâce et créativité.
Pop hors mode.
Si un côté juvénile est donc bel est bien présent, souvent accompagné de rythmiques rapides comme une course échevelée, comme si l’urgence était de vivre sa vie avant d’être trop vieux, Roseland pose aussi ses bagages sur certains titres et nous offre, en contrepoint, une étendue de sa maturité (le magnifique Wasted). Car, si les sonorités parfois proches du shoegaze masquent parfois un peu cet aspect, nous sentons une artiste à la sensibilité à fleur de peau, qui a des choses à dire, et le fait de façon totalement décomplexée tout en sachant rester humble dans son approche.
Cette dualité fougue/caractère assagi donne au disque un relief saisissant. Les moments où la voix se déshabille d’effets sont électrisants, reflet direct d’un regard lucide sur l’existence. D’un autre côté, les instrumentations trépidantes évoquent une respiration haletante, un mouvement perpétuel et insatiable de vie, pour ne pas dire d’envie.
Les compositions sont hyper soignées, lorgnent le rock ou parfois l’électro (Take it easy, ou After tonight). On pense à certains titres d’Archive (sur Stop par exemple), au shoegaze pur et dur, à une recherche parfois proche de celle d’un Trentmøller sur les tessitures électriques et le métissage électro et rock. L’effet peut parfois être un peu sombre, mais c’est surtout le côté « optimiste », ou du moins dynamique et plein d’allant qui nous saisit et tranche avec l’opus précédent, plus « refermé » sur lui.
Loin des sentiers battus.
Intelligente, sa pop se déguste de bout en bout. Elle demande une certaine flexibilité néanmoins car si le disque reste très cohérent et homogène, les nuances y sont si nombreuses, comme les trouvailles sonores, qu’il faut sans cesse être aux aguets. Fort heureusement, cela ne dessert pas le côté spontané des compositions.
Les moyens électroniques mis en place auraient pu conduire à un énième disque électropop, mais le talent de Roseland réside dans cette envie de ne pas sombrer dans la facilité, jamais. Exigeante, elle montre que sa motivation reste d’aller plus avant dans son exploration artistique, de ne pas se contenter de reproduire le même disque tout en gardant une identité sonore bien à elle (et rien qu’à elle).
Ce Unsaid Words est donc une très belle surprise, en plus d’une confirmation du talent exceptionnel de Roseland. Unique en son genre, elle bâtit une œuvre d’une richesse incroyable, sans perdre en ambition ni en cohérence. Une très belle artiste qui en plus de l’excellence de sa musique propose une véritable identité visuelle (l’artwork de son album est superbe). À découvrir pour ceux qui ne la connaissent pas encore et à suivre encore et toujours pour ceux qui la connaissent déjà.
RED SUN ATACAMA, Darwin (Mrs Red Sound Records)
Sous le soleil du désert
C’est un trio (composé de Clément Marquez, basse, chant, Robin Caillon, batterie et Vincent Hospital, guitare, clavier) qui fait du bruit mais qui sait aussi être responsable de vastes envolées planantes (bien que toujours électrifiées sous l’égide de la sacro-sainte pédale de fuzz). Avec son nouvel album Darwin, un 6 titres pour pas moins de 38 minutes de bonheur rock, stoner, psych, desert punk, Red Sun Atacama propose une musique qui joue les contrastes, sans se prendre la tête.
Attention ! Ne pas se prendre la tête ne signifie pas céder à la facilité de la haute énergie sans nuances. Ici, évidemment les grosses rythmiques qui tabassent et les riffs à tendances démoniaques (et que dire de cette voix tranchante?) n’occultent jamais un véritable souci d’écriture, tant dans la structure des titres que dans les paroles (qui pèsent,il est vrai, bien moins lourd que peuvent l’être les apports instrumentaux).
Des références ?
Si au niveau des influences Red Sun Atacama cite Fu Manchu, Kyuss ou encore Brant Bjork, on peut également pointer des groupes bien vénères, plus orientés metal (on pense Metallica, Iron Maiden), le côté désert évoquant lui plus le stoner des Queens of the stage age, et, pourquoi pas du côté plus psychédélique de la chose, un groupe comme Mars Red Sky. Du punk, on retient la virulence, quant aux phases plus planantes, le nom de Pink Floyd se fait criant. La longue intro d’Antares de plus de 4 minutes, dont trois « en apesanteur » choppant quelques idées au Shine on you crazy diamond, ne nous démentira pas sur ces points car si le Floyd est présent, le groupe de Bruce Dickinson l’est tout autant.
Tout cela pour dire que le trio est autant capable de martyriser ses fûts et de faire hurler les six cordes de ses grattes que de la jouer fine, presque jazzy par moments, en osant aussi, parfois, de belles parties acoustiques (rares mais précieuses, elles se situent presque en parenthèse de l’album puisqu’elles l’ouvrent et le referment). Darwin ne manque jamais de relief, alternant passages violents et doux, jouant le contraste sans perdre en crédibilité et pertinence tant sa personnalité bipolaire se prête parfaitement au jeu de l’excentricité instrumentale la plus vaste, alliant le groove sensuel à de pures démonstrations de force, la folie rock à la sensualité mélodique.
Riche et puissant, étirant ses morceaux comme un chat se dorant la pilule au soleil (de l’Atacama il va sans dire), Red Sun Atacama nous maintient sous tension constamment, par sa vélocité mais aussi par a curiosité qu’il sait susciter. Chaque compo recèle son petit lot de surprises (des teintes parfois « latino » par exemple) et, par ses brusques changements de tempérament, parvient à rompre une possible monotonie du rentre dedans sans concessions. Un album qui s’écoute au petit matin, histoire de se caler bien comme il faut les yeux en face des trous !
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