CITY OF EXILES, Dead in Hollywood + interview

city of exiles dead to hollywood
Deuxième album déjà disponible

Un monde crépusculaire, en mid tempo. Des lueurs de béton, de chrome, une lourdeur métronomique parfois allégée par une voix féminine. Du rock, de la folk, des tonalités basses. Et pourtant, de la lumière filtre de cet emballage pesant, lumière provenant de ligne de chant solaire, de mélodies salutaires, d’un art de la composition qui fait instantanément mouche. City of exiles nous attrape par le col de la veste et nous projette avec force dans un univers en teintes sombres, mais pas que.

Mélancolie présente, mais optimisme en éternelle sous-face. Les orchestrations aident à la chose, laissant apparaître ici ou là quelques touches de corde, un raffinement dans les arrangements. Tout est fait avec tact, bon goût, sans gâcher le bourdon qui impose une empreinte ténébreuse. Les claviers pèsent mais guident dans une personnalité n’étant pas sans nous rappeler celle de Reptiles, en moins désespérée, en moins âpre aussi.

Sincère.

La cohérence est sans failles et l’impression de naviguer dans un concept album est ultra présente. La déambulation dans Hollywood commence, avec une personnalité hors courant. Les voix sont presque inaudibles, rappelant les belles heures du shoegaze, mais nul mur du son ici. La cold wave n’est jamais loin, pourtant aucun frisson lié au froid n’assaille jamais l’auditeur puisqu’une douce chaleur irradie de chaque titre du disque.

Si la production peut rappeler celle des années 80-90, elle apporte néanmoins sa touche de modernité. En effet, quelques effets effacés d’électro pointent le bout de leur nez, tout en légèreté. City Of Exiles use mais n’abuse jamais, reste dans la bonne mesure, ce qui ne peut que renforcer sa pertinence et son talent. Inattendu, ce Dead in Hollywood marque les esprits et reste profondément ancré en nous, comme une tumeur maligne puisque son spectre ne cesse de rôder dans nos os, nos âmes, nos corps. La marque des grands, c’est-à-dire de ceux qui sont grands mais qui n’en ont pas conscience et donc n’en jouent pas. Très bel album à découvrir d’urgence !

Patrick Béguinel.

City Of Exiles : Une lumineuse récréation studieuse

Formation hybride, City Of Exiles ravive les fantômes berlinois de Nick Cave et de Crime Of The City Solution à travers « Dead in Hollywood », un deuxième album habité produit et mixé par Peter Hayes, le leader de Black Rebel Motorcycle Club.

Décryptage avec Guillaume Lebouis, fondateur d’un collectif touché par la grâce.

City Of Exiles a marqué le début de l’année avec son deuxième album, « Dead in Hollywood« . A travers neuf titres possédés, la formation affirme une identité sur laquelle souffle les fantômes de Nick Cave, de Crime Of The City Solution mais aussi de toute la filiale issue de ces maîtres à penser des années 1980. A l’image du célèbre film de Win Wenders « Les Ailes Du Désir »,

https://www.youtube.com/watch?v=3lb7nS8i7d0

City Of Exiles impose une atmosphère lumineuse tout en retenue au sein de laquelle résonnent des instrumentations et des vocalises de hautes volées. « City Of Exiles est un groupe à géométrie variable avec un noyau dur de plusieurs musiciens, » confie Guillaume Lebouis, chanteur et maître à jouer du collectif musical.

David Faisques (Darko)

Un collectif en perpétuel évolution

Concrètement, la base de la formation s’est constituée autour de lui-même au chant et à la guitare, de Matthieu Pigné à la batterie, de Matthieu Forrest aux claviers et à la guitare et de Fabien Senay à la guitare. David Fontaine, véritable Steve Albini local, s’est attaché à l’enregistrement dans son studio « Piggy In The Mirror » en Normandie. Il intervient également comme musicien.

Singulièrement, de nombreux invités, des proches, des amis, sont venus se greffer à ce noyau dur lors des sessions d’enregistrement. « Sur le dernier album, Pauline Denize joue du violon, chante et fait beaucoup de chœurs, Amandine Rebière-Fontaine et Louise D. chantent ou font des chœurs sur certains titres. Il y a aussi les amis de La Maison Tellier. Yannick Marais et Sébastien Miel. Et puis Darko est venu faire des basses. L’idée de City Of Exiles, c’est de venir agglomérer des identités assez différentes en fonction des envies et des opportunités de chacun sur les sessions. »

Des création très spontanées

Tout part à la base des démos proposées par Guillaume Lebouis, souvent des guitares-voix, parfois arrangées avec quelques claviers. « Nous partons de ces démos là et nous les travaillons au studio de David Fontaine. Nous reprenons tout à zéro. L’idée est que chacun apporte sa patte sans plan préconçu. C’est très spontané. »

Une manière de composer très originale liée en partie à une réalité : celle de la distance géographique. Car si les membres de City Of Exiles sont Normands, Guillaume a lui quitté la région pour s’installer en Corrèze. Ce qui rend les possibilité d’enregistrer très difficiles. « Je suis un ancien Havrais. Ce groupe, c’est un peu une manière de se retrouver avec mes amis. La première session, en 2019, 2020, pour le premier album, c’était vraiment ça. Juste faire de la musique sans trop savoir ce que cela allait donner puis nous nous sommes pris au jeu, cela nous a plût. Les sessions sont devenues de plus en plus sérieuses. »

David Fontaine

« Commencer à 42 ans, c’est un peu tardif »

Ancien manager du groupe Radio Sofa où officiait déjà Matthieu Pigné, Guillaume est le seul à ne pas avoir participé à d’autres formations comme musicien. « J’ai longtemps joué de la guitare dans ma chambre et j’ai toujours eu envie de composer. Faire des mélodies et quelques chansons comme ça dans mon coin, cela me suffisait. En vieillissant, j’ai eu envie de m’améliorer et de mettre à profit mon expérience et mes rencontres pour construire des chansons avec des musiciens que j’aimais. »

A 48 ans, Guillaume n’a visiblement pas atteint la limite d’âge pour se faire de la musique. Son engagement reste néanmoins uniquement passionnel. Pour vivre, contrairement à nombre de musiciens de son ensemble, il a choisi une autre option, à savoir l’Education Nationale. « Commencer à 42 ans comme je l’ai fait, c’est un peu tardif, c’est vrai mais T-Model Ford a commencé à 50 ans, un âge où Lennon ou Presley sont déjà morts mais pourquoi pas ! Je pense qu’il n’y a pas d’âge. Lorsque j’ai commencé, très tardivement, la guitare, un ancien ami m’avait dit que cela ne servait à rien. Qu’il fallait commencer avant 5 ans ! Moi, je pense que nous sommes toujours en construction et en mouvement. »

Mathieu Pigné

Un troisième album déjà en préparation

L’âge n’est pourtant pas anodin dans la musique de City Of Exiles. Les références, il n’y a qu’à voir les noms des labels associés au groupe, « Abattoir Blues » et « Nocturama », du nom de deux albums de Nick Cave pour le comprendre. Le nom du groupe lui-même est un clin d’œil à peine masqué au morceau « City of refuge », un titre de l’album « Tender Pray ».

Le groupe renvoie donc énormément au chanteur Australien et à sa manière de fonctionner. Tout comme à City Of The Crime Solution ou encore à Die Haut, collectif berlinois déjà hybride et rassembleur des talents d’une génération devenue éternelle. « A la différence que nous commençons à prendre un rythme. Le troisième album est déjà en construction. Nous avons beaucoup pensé non pas à Nick Cave mais à Gallon Drunk en y travaillant. Le principal reste qu’il n’y pas d’enjeu autour de cette musique, à part d’être contents de ce que nous sortons. »

Guillaume Lebouis

« Le rock est mort à Hollywood »

Mais revenons au nouveau disque, sorti le 23 janvier dernier. Intitulé « Dead In Hollywood« , il est logiquement porté par des références cinématographiques. « Tout est en fait parti de la pochette car nous l’avions avant d’avoir l’album. Nous adorons cette photo de Léonard Titus, une vraie photo prise à Hollywood. Et ce titre nous faisait rigoler. On peut le dire, le rock est mort à Hollywood quand Elvis a commencé à faire des films là-bas ! Il y a dans nos compositions une envie de renaissance. »

Une première vidéo a déjà été réalisée sur le très beau « Cannibal song ». C’est le morceau d’ouverture du disque. Sur ce titre, les voix de Guillaume Lebouis et de Pauline Denize s’entremêlent avec majesté. Cela reflète bien l’esprit du groupe, sa couleur artistique et sa manière d’envisager la musique à travers de grands espaces.

« David, c’est une sorte de Géo Trouvetou »

Les neuf titres de « Dead In Hollywood » ont été enregistrés près de Brionne dans l’Eure, avant d’être envoyés à Peter Hayes. Le Californien a revisité le travail réalisé par David Fontaine, cheville ouvrière de l’enregistrement. « David, je le connais depuis 2003. J’avais travaillé sur le 1er album d’Aña, son groupe avec Amandine. J’ai toujours adoré la manière dont il appréhende la musique. C’est un trésor caché de la Normandie. Il s’est construit un studio vraiment super. C’est une sorte de Géo Trouvetou de la musique. C’était naturel de venir chez lui. Nous avons un peu initié, avec City Of Exiles, l’envie pour les autres musiciens de venir chez lui. »

Effectivement, ces dernières années, Animal Triste comme La Maison Tellier ont pris l’habitude de venir enregistrer avec bonheur leurs albums au studio Piggy In the Mirror. Finalement, une famille s’est créée. A chacun sa propre identité, sa personnalité mais tous se retrouvent ici avec plaisir. « Il se passe quelque chose, c’est vrai. »

« Tout le monde a envie de faire de beaux morceaux »

L’antre de David Fontaine est également en train de devenir le lieu de tous les possibles, de toutes les expérimentations. Ainsi, Darko, le guitariste d’Animal Triste, joue cette fois de la basse avec un plaisir évident. « Il est venu à deux reprises et la première fois, il n’avait même pas de basse. Il a utilisé celle de David. Cela s’est fait un peu d’une manière accidentelle mais c’est un excellent bassiste David, avec un groove très particulier. Nous en avons profité. Il apporte des chœurs aussi. »

« La récréation studieuse » de City Of Exiles est finalement prise avec importance par tous les intervenants. « Tout le monde a envie de faire de beaux morceaux, c’est un peu en dehors du temps. »

Pauline Denize

Matthieu Pigné, l’entremetteur

L’enregistrement réalisé, la production et le mixage ont été réalisés par Peter Hayes, chanteur et guitariste de Black Rebel Motorcycle Club http://www.blackrebelmotorcycleclub.com/. Encore une histoire d’amitié.
Tout s’est fait par l’entregent de Matthieu Pigné. Ce dernier est entré en contact avec le chanteur américain à l’occasion d’une collaboration l’an passé pour le deuxième album d’Animal Triste. Le résultat est là moins sensationnel, plus en retenue qu’avec Animal Triste, mais tout aussi efficace et brillant.

« Entre Yannick et moi, il y a une vraie différence dans le chant, c’est peut-être lié à cela. Yannick est un chanteur exceptionnel … Animal Triste a un côté plus épique mais il y a quand même des choses énervées dans notre musique.»

Peter Hayes s’est en tout cas totalement imprégné de la musique du groupe depuis Los Angeles. « Matthieu (Pigné) lui a envoyé des mises à plat et il nous a proposé de mixer car il aimait bien ça. Il nous a envoyé jusqu’à 5 à 6 propositions de mixe par morceau ! Je n’y croyais pas trop au départ mais il s’est vraiment investi artistiquement et a même joué de la guitare sur « Underneath the sun » et du clavier sur « Keep out or be shot ». »

Le travail a duré durant un mois et demi et a pu aboutir grâce aux nouvelles technologies. Le groupe recevait les propositions au petit matin pour donner, ou pas, son aval. Mieux encore, Peter Hayes a mis le groupe en relation avec Michael Patterson. Ce dernier a masterisé l’ouvrage pour la plus grande joie des protagonistes. « Il a travaillé sur des albums de Beck ou de Kanye West ! » Quelques-unes seulement de ses références !

Bonne surprise, la facture n’a pas été au niveau de l’engagement des deux américains. « Nous avons néanmoins souhaité payer Peter même s’il voulait, au départ, le faire d’une façon amicale. Vu son investissement, nous avons souhaité le rétribuer et puis le mixage ne nous a pas coûté plus cher qu’un mixage réalisé par un mixeur français. »

Une reprise de Madonna

Un chemin rendu possible par l’émergence d’Internet. Désormais, les retours peuvent se faire instantanément ou presque. « Il y a eu un véritable échange avec Péter. Il a fait un travail incroyable,[pa1]  des choses assez impressionnantes, a utilisé des sons de claviers filtrés. Sa proposition a transcendé nos enregistrements. »

Le résultat, décliné en neuf plages intemporelles, est une invitation au voyage, presque un road-trip, une plongée dans un univers maîtrisé dans lequel les guitares résonnent avec volupté.
Un titre, inattendu, sort du lot : une reprise du morceau « Frozen » de Madonna.
https://www.youtube.com/watch?v=XS088Opj9o0

« C’est vrai, je n’ai pas d’album de Madonna mais nous avions tous un souvenir un peu ému de ce titre. Nous avons toujours trouvé cette chanson bonne mais mal arrangé. Nous avons eu envie de la faire à notre sauce. » Une belle réussite au finale, tout en retenue, chantée avec brio par Yannick Marais.

Un fonctionnement en fonds propres

Précisons-le encore une fois : City Of Exiles n’est pas un groupe ordinaire. Même si la plupart des protagonistes sont des musiciens professionnels, Guillaume est lui gestionnaire dans un collège de Corrèze. « Pour moi, jouer de la musique c’est vraiment une passion mais je le fais avec sérieux et professionnalisme, sans jamais lâcher sur l’aspect artistique. »

Revers de la médaille, le groupe est financièrement autoproduit et fonctionne sur des fonds propres. « C’est comme avoir des chevaux, cela coûte cher ! Mais nous n’avons plus envie de perdre du temps à chercher des partenaires qui ne viennent pas. Il faut avancer. »

L’album est disponible depuis le 20 janvier dernier en CD et en téléchargement sur les plates-formes. Reste maintenant à Guillaume et son équipe à passer un nouveau palier, à savoir proposer un live au public. « C’est très compliqué de réunir tout le monde pour faire des concerts. Nous allons commencer par tourner à deux avec Matthieu Forrest dès le mois de mai pour défendre le disque. Nous verrons ensuite quelle forme cela peut prendre. Nous avons déjà vendu deux cents disques en CD, c’est assez étonnant. Et le vinyle sort en avril ! C’est écouté et relayé. Il y a un réel intérêt et, en tous les cas, nous sommes très fiers de cette musique. » Tourner à deux sera forcément un peu frustrant pour le public comme pour les musiciens. « Mais il faut se lancer ! Si on commence à attendre les planning des uns et des autres, on ne va jamais y arriver.»

« Aller à Los Angeles, oui on y pense »

Effectivement, les plannings sont déjà bien chargés : toutes les composantes de City Of Exiles, mis à part Guillaume, sont en effet engagées dans d’autres projets artistiques (avec Marc Lavoine, La Maison Tellier, Animal Triste …). Et Peter Hayes est bien occupé avec Black Rebel Motorcycle Club. Il vit de plus en Californie ! « Déjà on se lance à deux, et je reste confiant pour pouvoir un jour proposer une version en groupe ! J’y crois en tous cas. Ce qui compte, c’est de conserver l’énergie et l’envie entre nous. Se réunir pour quelques dates avec ceux qui peuvent, j’adorerais.»

Avec Peter Hayes, ce sera vraisemblablement d’abord un contact physique lors de la prochaine tournée française de BRMC. Qui sait sur quoi cela pourra déboucher … « Aller à Los Angeles, oui on y pense. La rencontre, réelle, avec lui, nous l’attendons et nous l’espérons. »

En attendant, trois dates, en duo, sont pour l’instant prévues en mai dans le sud-ouest, le week-end du 6 mai.
Rendez-vous donc à Peyrelevade, Villefranche-de-Rouergue et Périgueux pour les premiers actes, minimalistes, de la version live de City Of Exiles.

Pat Auffret

Il a rejoint l’équipe début 2022 et son corps de métier se tourne vers la scène où il photographie les musiciens en même temps qu’il s’imprègne de leur musique, qu’il restitue son forme de live report hyper pointus.

Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Pat Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes et Rock & Folk. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.

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