CITRON CITRON, naïveté acidulée

citron citron chagrin bleuChagrin bleu, album déjà disponible chez Bongo Joe Records.

Paru courant octobre, ce disque revient titiller nos tympans avec ses mélodies synthétiques et ses textes teintés d’une naïveté désarmante. Ce Chagrin bleu, s’il porte en effet une légère tristesse, est lumineux et nous dévoile un duo, Citron Citron, en pleine maturité.

La base est posée. Des synthés, une guitare, des sonorités majoritairement synthétiques mais pas déshumanisées pour autant. Au chant lead, une femme égrène des textes presque enfantins, naïfs, innocents, qui dévoile un spleen lumineux et souvent touchant. Les ambiances, au diapason, dévoilent des climats s’étirant de l’aurore à l’aube, en parcourant tout un spectre chromatique de couleurs, chaudes à froides, avec une déconcertante facilité et cohérence.

Deux morceaux évoquent une colère froide, teinté d’amertume. Sur ceux-ci, la voix est trafiquée, noyée dans une réverbération qui pourrait paraître grossière mais qui dévoile sa pertinence en accompagnant des paroles véhémentes. Sur Silence violence, la voix se dédouble, avec d’un côté un chanté parlé relativement harmonieux, de l’autre une voix qui crache son mécontentement de façon plus énervée, dépouillée (mais malgré tout réverbérée). Sur Rapace, elle est accompagnée, après une première partie où, seule, elle affronte ses maux, par une voix masculine qui tend à l’apaiser.

La voix féminine, c’est celle de Zoé. La voix masculine, celle d’Augustin. Ils sont frère et sœur et ont déjà, par le passé, collaboré au sein de diverses formations genevoises, avant de se réunir sur cet album qui, de par la proximité qui les uni, se veut intime et très personnel. Jusque dans le nom de leur groupe puisque celui-ci est un hommage à feu leur chat Citron.

Douce comptine.

Tu m’as réveillé.e dans mon sommeil est une douce berceuse qui nous tire de notre sommeil par des paroles pleines de réconfort et auréolées de ce caractère enfantin que l’on retrouve, en grande partie sur l’album. « J’étais nul.le/ dans ma bulle/ tu m’as dit, que la vie, en valait, la chandelle/et tu m’as réveillé.e dans mon sommeil. J’étais naze/sans extase/tu m’as dit que l’amour, en valait, la chandelle/et tu m’as réveillé.e dans mon sommeil. »

Très pop, avec une légère tendance psychédélique, qui nous évoque les comptines de Syd Barrett sur Piper at the gate of dawn, le duo qui chante en synchronisation nous charme instantanément et nous conduit sur des rivages oranges, où l’optimisme se dessine sur un sable réchauffé par le soleil. Il en va de même avec le Feu marche avec toi, même si on sent un vécu plus tourmenté. Malgré tout, Zoé dévoile un texte qui se veut presque conquérant, qui cherche à gommer le passé pour esquisser un avenir plus serein. « Les blessures englouties/le feu marche avec toi/ du désir plein la bouche/ Le feu marche avec toi. » Ce refrain métaphorique montre que le feu de vie ne se tarit jamais tant que l’espoir est là.

Avec l’apparition de cordes et un passage légèrement expérimental symbolisant peut-être les tourments de l’âme, ce titre abandonne la légèreté naïve pour un constat plus adulte, mais jamais dénué d’une forme de poésie innocente qui réside justement dans le choix des mots, très simples et pourtant très imagés.

Ôde à leur chat.

Citron est une chanson d’amour dans laquelle Citron, le chat de Zoé et Augustin dit, en substance, qu’il ne faut pas pleurer et devenir grand.e. La partie musicale est d’une simplicité enfantine, épurée à l’extrême (quelques notes de synthés appuient les mots dits), teintée d’une nostalgie pleine de chagrin. Bleu, il va sans dire. La chanson pourtant, garde un certain optimisme, ose l’hommage au félin en lui conférant une dimension simplement humaine et universelle, celle du deuil qui doit se faire et nous entraine, quoi que nous décidions, vers une nouvelle maturité.

Epuré et étrangement expérimental, Complainte des Tisserandes montre que le groupe peut aussi dévoiler un univers plus « galactique » où, perdu dans le froid d’un espace différent il s’essaye à une musique de perceptions et des ressentis plus diffus et abstraits. Il en va de même sur Cataclop, titre instrumental organique qui nous propulse au plus près de nous-même, en conscience totale avec nos sentiments enfouis. Electro également, mais laissant surgir des grincements de violon évoquant le passage de fantômes ou d’esprits, il s’avère aquatique autant qu’aérien. Vaguement inquiétant, et paradoxalement enveloppant, le titre marque une pause dans le disque, avant que la deuxième partie de celui-ci se déroule.

Un finish contrasté en émotions.

La nuit galope enchaine sur des sonorités similaires, mais très vite s’oriente vers une bossa synthétique envoutante et dansante, comme si la vie nous appartenait à nouveau. La voix de Zoé refait son apparition et le texte, une nouvelle fois très imagé, dégage un sentiment de vie retrouvée. Danse, joie, la nuit galope pour laisser place à une aurore dorée, à un nouveau jour plein de possibles, sans frontières.

Perdu voit texte et musique s’accoupler, se soutenant mutuellement, sur une base d’arpège de guitare, une fois encore minimaliste, et d’arrangements épurés. Le texte déclenche une impression de tristesse, une teinte proche d’un gris opaque, dans lequel ne pointe pas vraiment de lumière, autre celle qui symbolise encore le mouvement vers l’avant. Les blessures, la solitude, certes, mais toujours cette envie de ne pas rester immobile.

L’album se termine sur Le ciel n’est qu’un immense chagrin bleu. Nous y sentons un romantisme désenchanté, mêlant un peu de nostalgie d’un temps révolu, mais toujours ce mouvement vers l’avant. Les paroles, noires, n’en sont pour autant jamais plombantes. Car si leur propos est pessimiste, nous y sentons malgré tout un désir de vie, un combat pour ne jamais s’effondrer sur soi-même et continuer le chemin qu’il nous est donné d’arpenter.

Un album qui vit.

Chagrin bleu est donc un album chargé de vie, de deuils aussi (celui du passage de l’enfance à l’âge adulte, celui de la perte d’êtres qui nous sont chers…), mais garde une forme de fraicheur enfantine , celle qui fait que les chagrins s’estompent finalement rapidement au profit des rires. Si l’envie de rire n’est pas forcément celle qui nous saisit à l’écoute du disque, c’est pourtant un optimisme farouche qu’il dégage chez nous.

Ce duo, diablement doué, tisse, à partir de trois fois rien, une musique et des textes bien plus élaborés qu’il y paraît à la première écoute. Les images, qui naissent de ces deux fondamentaux de la chanson, mais également de leur interprétation, sont riches et nuancées, et font de Chagrin bleu un disque qui évolue sans cesse, s’accordant à nos états d’âme du moment. En ce sens, il reste inédit à chaque écoute, et ce n’est que synonyme de plaisir renouvelé à chaque fois.

Patrick Béguinel

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