Carré d’as 7

Coup de poker ou pas dans ce carré d’as 7 ? Toujours pas, on reste dans l’underground, vu par Ben !

Roope Aalto, carré d'as 7Roope Aalto & Daniel Casares – ONE DAY (autoproduit)

Probable que si Stephen Malkmus ou Lou Barlow avaient eu vingt ans en 2023, ils se seraient naturellement tournés vers le hip-hop. C’est en tout cas ce que permet de supputer cet EP en provenance de La Corogne, ville que les amateurs de football du début des années 2000 connaissent bien. A moins que ce ne soit de Finlande, pays d’origine du vocaliste du duo. Toujours est-il que, dès « green », le morceau introductif, l’ambiance est posée : Roope Aalto pose son flow nonchalant sur trois accords de guitares acoustiques que relèvent quelques notes de piano électrique.

Un perfect pour commencer. Les aussi étranges qu’envoûtants « love tune » et « one day » orchestrent les noces de Morgan Delt et Dan The Automator, inventant au passage une sorte de glitch rap à la décontraction communicative. Le temps d’une escale nocturne dans les rues de la Grosse Pomme (« awake at night »), le duo aura offert à l’auditeur conquis une paire d’as bruitistes (les consécutifs « country futura » et « listening party ») où les accords dissonants le disputent aux expérimentations noisy. Daniel Casares construit un écrin délicieusement lo-fi à son partenaire, semblant prendre un malin plaisir à martyriser le son de ses instrus. Aussi libre qu’inventive, cette mixtape brille autant par sa fantaisie que par son côté slacker. S’il en fallait une ultime preuve, celle-ci viendra à l’examen du visuel de ce « ONE DAY » décidément affranchi des clichés du genre.

https://danielcasares.bandcamp.com/album/one-day

erica dawn lyleErica Dawn Lyle – SYMPOIESIS (autoproduit)

Composé de la nouvelle lune à la pleine lune suivante, soit du 21 janvier au 5 février 2023, SYMPOIESIS est un tir de barrage de guitares bruitistes à la saturation ravageuse. Sorte de rencontre entre les passages les plus frappadingues du Velvet Underground période deuxième album et les expérimentations de Steve Flato, ces quatorze titres partiellement improvisés proposent un feu roulant de dissonances agressives et de boucles entêtantes. De la première à la dernière minute, Erica Dawn Lyle martèle le manche de sa guitare à coups de tapping furieux, malmenant ses six cordes avec une ferveur inouïe.

Telle une version féminine d’Hephaïstos, la New Yorkaise entretient ce magma sonore duquel émerge « The Understory » et ses percussions lancinantes, l’infernal « War Pigs » à côté duquel le morceau homonyme de Black Sabbath passerait pour une ballade de Bon Jovi ou encore « The Secret Life Of Plants » et ses rafales sonores qui évoquent davantage une aciérie tournant à plein régime que les verts pâturages du Vermont.

Et si « Trans Refugia » offre quelques prises mélodiques, celles et ceux qui pourraient attendre de « Little Turtle (Outside My Window) » un morceau « mignon » (avec un pareil titre !) en seront pour leur frais. Au terme des treize premières pièces -qui auront déjà laissé plus d’un auditeur exsangue- Erica Dawn Lyle décide de porter définitivement l’estocade : quinze minutes de furia électrique. Les notes de l’album mentionnent du chant (nous n’en avons trouvé trace) et les « ZAD en France », ce qui ne peut que conforter notre sympathie naturelle pour l’ancienne batteuse de Bikini Kill.

https://ericadawnlyle.bandcamp.com/album/sympoiesis

crystal shipsssCrystal Shipsss – Sanctuary (ur audio visual / Raw Onion Records)

Low Fidelity, encore et toujours avec cet album de Crystal Shipsss, sorti début décembre chez les Canadiens de ur audio visual et sur le propre label de l’artiste : Raw Onion Records. Car à la barre de ce vaisseau, Jacob Faurholt, songwriter danois à la voix haut perchée, sur un fil, toujours à la limite de la rupture, égrène ses miniatures pop à l’élégance bancale dans un registre se situant à mi-chemin entre Daniel Johnston et le Neil Young d’ « After The Gold Rush ».

Et bien que faisant le choix d’un parti pris résolument lo-fi, l’artiste fait preuve d’un goût très sûr. Sur le titre introductif, Faurholt fait parler sa science de l’assemblage pop, combinant guitares noyées dans un déluge de reverb, boîte à rythme au kick synthétique trop fort et clochettes candides. Sur « Snow Covered Field », Crystal Shipsss joue du même contraste, ressortant la boîte à rythme cheap pour l’assortir à de délicats arpèges de guitares. « The Moon Is Alive » montre, lui, le goût du songwriter pour l’expérimentation, accompagnant sa voix angélique d’un drone lugubre du meilleur effet.

Jacob Faurholt sait aussi faire dans la sobriété ainsi qu’en attestent les superbes et épurés « Is There Light Ahead ? », « It’s Haunting Me ». Il est important de préciser que « Sanctuary » renferme un authentique chef-d’œuvre, l’une de ces compositions intemporelles et immortelles qui touchent à ce que l’âme humaine peut produire de plus beau. Commencé comme une sublime balade -ce qui, déjà, n’est pas rien- « Don’t Leave Me Here To Die » décolle à son mitan lorsque font irruption ces captations sonores issues d’un vieux répondeur téléphonique et qui viennent sublimer l’atmosphère nostalgique du morceau. En quelques secondes la musique de Crystal Shipsss bascule dans ce que l’art peut proposer de plus bouleversant. Le genre de chose qui en appelle aux sentiments les plus profonds, de ceux auxquels on pense quelques secondes avant de mourir.

https://crystalshipsss.bandcamp.com/album/sanctuary-2

natalia beylisNatalia Beylis – Library Of Sticks ( autoproduit)

Chaque nouvel album de Natalia Beylis est une bonne nouvelle pour l’humanité. C’est dire si, par les temps qui courent, nous avions besoin de ce « Library Of Sticks » à l’artwork envoûtant signé Karen Constance. S’inscrivant dans la démarche expérimentale et avant-gardiste de l’artiste sonore irlandaise, ce généreux EP (ou court LP, mais cela importe-t-il vraiment ?) propose quatre titres allant de deux à quinze minutes.

Beylis, comme à son habitude, manipule la matière sonore, l’étire, la transforme pour en extraire des pièces uniques fortement marquées par la musique concrète. Qu’elle fasse cuire ses pommes de terre (« New Potatoes« ) ou grincer les portes d’une maison, l’Irlandaise ne s’interdit rien, puisant dans le quotidien le matériau de ses expérimentations sonores. Sonorités et références se répondent, construisant un dialogue à travers le sens et le temps : sur « Voices From Graceland, Sligo » et « New Potatoes« , Natalia Beylis utilise des samples du « Drum Track for Further Use » de Willie Stewart auquel le titre de « Creaking for Further Use » fait lui-même écho. Tandis que son contenu évoque en creux les « Variations pour une porte et un soupir » de Pierre Henry.

Décidément inspirée par la musique concrète, l’artiste clôt l’album en apothéose avec les presque quinze minutes du morceau éponyme. Sculptant la matière sonore à partir d’un enregistrement d’orage, Beylis manie le sens des mots avec malice : « stick » (un bâton) évoque aussi « matchstick » (une allumette) soit tout le contraire de ce qu’elle donne à entendre. Ici, ce sont les tracés que font les gouttes de pluie lorsqu’elles descendent du ciel. Chacune produit un son unique, chacune possède une résonance qui lui est propre. En les rangeant dans une bibliothèque sonore, Natalia Beylis joue avec les formes et nous offre une bien étrange proposition en forme d’oxymore musical.

https://nataliabeylis.bandcamp.com/album/library-of-sticks

BenBEN

Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.

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