BEN AND THE TRINITY, Music for yoga
Premier album disponible chez Foolish Records
Projet tricéphal, Ben and The Trinity propose un premier album d’une grande richesse, entre expérimentations, folk et… new age.
En Septembre dernier, Arnaud Chatelard, grand manitou de Foolish Records et autrement connu sous le nom d’artiste Innocent But Guilty, jetait en pâture à la vindicte populaire un morceau intitulé Penguin Popstar. Ce titre devant servir de base à un album collaboratif du même nom, la crème de la crème du (vrai) underground se ruait sur la carcasse dudit pingouin pour en donner sa (très) libre interprétation. Et ainsi, de Julien Ash à R$kp, de Jordane Prestrot à KHAOMAN, chacun, chacune des seize artistes répondant à l’appel du producteur girondin donnait libre cours à son imagination. L’histoire aurait pu s’arrêter là.
Une relecture attire cependant l’oreille d’Arnaud Chatelard ; celle de Ben Coudert. Poète, musicien et disquaire de profession, l’homme de Vitry Sur Seine a notamment commis plusieurs recueils de poésie (parmi lesquels le remarquable Le Printemps Dans Ton Cul que l’on devine absent de la liste des pages littérature du Figaro). Il est aussi guitariste, officiant entre autres chez Haïkupunkture. Et sa version de Penguin Popstar, renommée Adieu Pingouin, toute en guitares orientalisantes et en ambiances lysergiques, suscite un tel enthousiasme chez les deux musiciens que Coudert et Chatelard se lancent dans l’écriture d’un album complet. Le premier propose au second l’adjonction d’Olivia HB, autrice et artiste visuelle irlandaise dont la superbe voix transcendera le projet. Ben and The Trinity est né.
Le projet naquit et…
Formellement, les sept titres de l’album (plus un bonus track, les suiveurs de Foolish Records savent que le patron tient aux nombres impairs pour les tracklists de ses albums) orchestrent le périlleux mariage d’harmonies indianisantes et de paysages sonores synthétiques profondément ancrés dans les canons ambient. Les thuriféraires de la doxa musicale tremblent, les dépositaires du bon goût ont les genoux qui s’entrechoquent. On les comprend. L’évocation de termes tels que « new age » évoque chez certains les réminiscences d’un après-midi passé dans la boutique Nature & Découverte d’Eragny Sur Oise à la recherche d’un cadeau pour une cousine éloignée à la veille de Noël.
Ce serait compter sans le talent de notre triumvirat. Car c’est sur un empire de bon goût que règne celui-ci. D’Adieu Pingouin à Dance Of The Cockatoos, c’est une orgie mélodique qu’organise Ben & The Trinity. Cuivres soyeux, claviers aériens, guitares mystiques, voix éthérée : tout, jusqu’aux dissonances et bêlements qui achèvent « Je Reviendrai », s’agence à la perfection, faisant naître sous les paupières des auditeurs et auditrices des rêves enfumés de contrées mystérieuses.
Difficile de mettre en avant un titre plutôt qu’un autre tant l’ensemble fait preuve de cohérence. Notons tout de même que « Lady O » s’impose par sa subtilité sensible, que Je Reviendrai possède le même pouvoir apaisant qu’un coucher de soleil sur les eaux du Gange et que Dance Of The Cockatoos clôt l’album dans une luxuriance rythmique du meilleur effet. Relevons également le psychédélisme sombre de L’Abomination d’un Sandwich, porté par une cavalcade de cymbales, les claviers stellaires d’Arnaud Chatelard et les dissonances inspirées de Ben Coudert.
Bon goût.
Arnaud Chatelard, Ben Coudert et Olivia HB s’inscrivent ici dans la lignée des Sagittarius, David Axelrod, Bobby Callender et consorts. On pense aussi au « Mass In F Minor » des Electric Prunes, oratorio psychédélique composé en latin -ce qui, sous notre plume, est un compliment. Music For Yoga, cependant, s’affranchit des formats pop pour leur préférer ceux de l’acid rock des années soixante-dix. A mille lieues d’un easy listening creux, Ben The Trinity propose au contraire le véhicule idéal aux transports de l’esprit.
Car si la richesse de la musique compte pour beaucoup dans le charme de l’album, la beauté des textes vient idéalement compléter l’ensemble. Comment aurait-il pu en être autrement alors que la formation compte en son sein une poétesse et un poète ? Pourtant, aucune esbrouffe ici : Ben Coudert et Olivia HB optent pour l’épure et la sobriété. En atteste le texte sublime de Je Reviendrai. Construit autour de la répétition en fin de strophe du titre du morceau, celui-ci esquisse tout le mystère d’une vie passée et à venir en magnifiant les instants si précieux qui donnent au quotidien sa dimension unique.
Ici, la simplicité fait mouche : des formules telles que « dans le rouge des cerises et dans le blanc des cerisiers » ou « dans le craquement du plancher […] dans l’odeur du café« , banales dans un autre contexte, parviennent à émouvoir par leur accumulation et, surtout, leur sincérité. En quelques mots, Coudert propose une histoire dans laquelle chacun, chacune, pourra se projeter, reliant de fait l’intime au cosmique, l’infiniment petit à l’infiniment grand. Il saisit dans ce texte l’essence de ce qui fait la beauté de la vie -et ce n’est pas rien.
On peut lire dans le titre de ce morceau la promesse d’une réincarnation (l’ambiance musicale y invite et, sur Days Of Porcelain, Olivia HB et Ben Coudert, en Anglais, filent la métaphore en affirmant l’idée d’effacement comme la poursuite d’un idéal : « My turn has not come to speak / My turn will never come »). On peut aussi voir les choses différemment. Les défunts, les disparus, se rappellent davantage à notre souvenir dans l’ordinaire que dans l’exceptionnel.
Musique for yoga.
Lorsqu’elle se fait plus lyrique, la Trinité n’en garde pas moins son élégance. Pièce maîtresse de l’album, Lady O expose toutes les nuances de l’arc poétique de Ben Coudert. Ode à un idéal féminin, prière à une déesse admirée depuis son piédestal, cet avant-dernier morceau de l’album compose un portrait fantastique à mi-chemin de Théophile Gautier et d’Edgar Allan Poe. Formules à la splendeur évocatrice (« elle a calligraphié mes rêves au pinceau« ), jeu sur les mots et leur sonorité (le premier couplet et l’antanaclase « port », « porc », « pore », l’allitération « les zébrures des ombres »). Et si la poésie d’Olivia HB verse davantage dans l’abstraction (les textes de Days Of Porcelaine et de In Memory of a Dead Bird), l’ensemble n’en garde pas moins sa cohérence, la partition foisonnante d’Arnaud Chatelard apportant le contrepoint baudelairien aux textes des poètes.
On l’aura compris, cet album séduit autant par sa luxuriance et la multiplicité de ses portes d’entrée que par sa capacité à jouer simple. Music For Yoga se démarque par son parti-pris à rebours des tendances actuelles, revisitant des influences maintes fois explorées pour leur insuffler une fraîcheur inédite. Par dessus tout, il y a ces compositions aériennes portées par une grâce intemporelle : un sans faute.
Lien bandcamp https://apocalypsesounds.bandcamp.com/album/music-for-yoga
BEN
Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.