JULIEN ASH & PETE SWINTON, Cave Crawlers
Album disponible chez Nouvelles lectures cosmopolites
Spéléologues musicaux, Julien Ash et Pete Swinton exhument de leurs synthétiseurs la bande son des profondeurs de la terre. Ils nous y servent de guides le temps d’un album particulièrement immersif, carrefour de nos émotions les plus primaires.
Nombreux sont les lieux qui fascinent autant qu’ils effraient : une forêt, les fonds marins, un cimetière? les ruines d’une abbaye… La caverne est l’un d’eux. Objets de multiples projections et interprétations, les profondeurs de la terre ont inspiré de nombreux artistes et penseurs à travers les âges. Du « Voyage au centre de la Terre » à la métaphore éponyme de Platon, cette thématique irrigue l’imaginaire humain depuis des siècles. Mais moins que celle du philosophe grec, « Cave Crawlers » de Julien Ash et Pete Swinton évoque davantage les cavernes dans lesquelles se répercutèrent les premiers vagissements de l’Humanité.
Explorer le subconscient.
Astucieusement, les deux musiciens entament leur album avec le bien nommé « The Descent« . Commencé dans la quiétude sourde d’infrabasses synthétiques, le morceau se termine dans un déluge de bruit blanc évoquant les parasites saturant les talkie-walkies de voyageurs imprudemment descendus trop bas. Impossible de ne pas penser au film du même nom. Tout lien avec la surface étant désormais coupé, l’exploration peut commencer. Et à travers celle des différentes galeries, c’est le subconscient de l’être humain que Swinton et Ash s’apprêtent à sonder.
L’inquiétude et la peur du noir suintent, par exemple, tout au long des treize minutes de l’anxiogène « Swarm of Bats« . Ouvert par les stridences sinusoïdales des synthétiseurs du duo franco-anglais, le titre progresse vers des basses caverneuses, métaphores d’une descente qui se fait toujours plus profonde. Ce morceau, c’est un trou béant et obscur, réceptacle des peurs primitives de l’Humanité (quiconque à vu le dernier épisode de la fantastique série « Les Revenants » sait de quoi il retourne).
« Main Gallery » explore le sentiment confus d’insignifiance et d’émerveillement devant la puissance minérale des profondeurs à travers les nappes grandioses qui sous-tendent les presque sept minutes de ce morceau. Perdu dans le dédale naturel de la Création, l’Homme est une bien petite chose, prise en étau, écrasée par l’immensité qui s’étend à la fois sous ses pieds et au-dessus de sa tête.
Minéral liquide.
L’évidence ne s’impose pas d’elle-même, mais l’élément aqueux tient une place d’importance dans l’univers souterrain. Ainsi, « The Underground Lake » répond à « Unquiet Water« , la quiétude du second servant de contrepoint au tumulte du premier. Ces eaux primitives, matrices de toute chose, calmes ou déchaînées, apaisantes ou inquiétantes, Swinton et Ash en rendent toute la diversité. Trilles synthétiques et sinusoïdales angoissantes pour le second, nappes tranquilles à la douceur mélodique pour le premier, le duo parvient, avec beaucoup de subtilité, à évoquer la complexité de sentiments souvent paradoxaux qui naissent de cette exploration souterraine. On pense aux images du lac fantastique du chef d’œuvre de Jules Verne précédemment évoqué ou refuge lacustre de Louis II de Bavière.
Avancer dans « Cave Crawlers« , c’est reculer dans le temps. Comme un portail vers les âges immémoriaux, cette grotte semble entraîner auditeurs et auditrices toujours plus loin dans le passé. C’est donc naturellement que l’on arrive à cette cavité ornée d’un mystérieux symbole (« The Place where the Symbol hangs« ). Percussions sourdes, basses grondantes, répétitives, craquements lointains, tout évoque ici les traces d’êtres à jamais disparus et dont les derniers témoignages ne se révèlent qu’aux plus téméraires aventuriers. Sont-ce les vestiges de nos ancêtres ou de quelque forme de vie antérieure à l’humanité ? Le morceau laisse à chacun loisir d’échafauder ses propres interprétations. Reste le mystère de l’emploi du singulier. C’est « un symbole » et un seul qui attend les explorateurs égarés. A quoi ressemble-t-il ? Quelle est sa nature ? Des heures d’intenses cogitations en perspective qu’accompagnera l’écoute de cette pièce puissamment évocatrice.
Les sentiments humains en question.
S’il n’y avait le dernier titre (un « Back to Surface » étonnamment optimiste après cette odyssée obscure), on eut pu tergiverser à l’envi sur cette lumière au bout du tunnel dont les envolées angoissantes et les stridences bruitistes évoquent davantage les enlèvements extraterrestres d’un épisode d’Au Frontières du Réel ou une Expérience de Mort Imminente que l’espoir de sortie incarné par celle-ci. Les boyaux obscurs de notre mère Gaïa, Pièce majeure de l’album, ces seize minutes d’immersion totale parachèvent ce « Cave Crawlers » déjà riche en émotions contradictoires.
BEN
Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.
Julien Ash et les Nouvelles Lectures Cosmopolites - LITZIC
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[…] presque 35 ans d’activité (dont un hiatus de 14 ans), Julien Ash et ses Nouvelles Lectures Cosmopolites n’ont cessé de créer, innover et fasciner. Depuis son retour aux affaires en janvier 2021 […]
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