HUN HUN, Y Bab Adöy (album disponible chez Lurid Music)
Émanation des frères Jimmy et Noé Moens, le projet instrumental bruxellois fait une entrée remarquée dans le paysage électronique mondialisé.
Hun Hun tape un grand coup avec ce premier album intitulé Y Bab Adöy dont les onze titres servent de véhicule à une dépaysante odyssée à travers l’espace et le temps. En effet, comment ne pas aimer un groupe qui cite aussi bien la musique de Tomaga ou Organ Mood que le jeu d’acteur de Cüneyt Arkin parmi ses sources d’inspiration ? Purement rhétorique, la question contient la réponse en elle-même. Bien plus amicale que les hordes d’Attila le Hun auquel le duo emprunte son nom, la musique de Hun Hun n’en garde pas moins les exhalaisons envoûtantes d’un Orient de série B.
Car les onze titres de Y Bab Adöy empruntent autant aux bandes originales de films de science-fiction des années soixante-dix qu’aux musiques traditionnelles anatoliennes. De Mando Ve Yeni Dünya à Arkin’s Trilogy (sans nul doute, un hommage à l’acteur précité), les darboukas s’invitent sur presque tous les morceaux. Sur ce canevas rythmique, les synthétiseurs vintages (parmi lesquels le DX7, le Jupiter 8 ou le CS-80) tressent un entrelacs mélodique dans lequel les arpèges sont privilégiés aux textures.
Autrement dit, on navigue quelque part entre Popol Vuh et Agitation Free (on pense particulièrement à l’album « Malesch », sans les guitares).
Vaisseau spatial musical.
Véritable vaisseau spatial musical, cet album décolle en douceur avec Princess Maria, pièce introductive planante aux airs d’ouverture de Space Opera sous influence Tangerine Dream. Des trilles synthétiques se greffent sur une mélodie répétitive tandis qu’une voix d’outre-tombe psalmodie le titre du morceau.
L’envoûtant Mando ve yeni dünya, un des sommets de l’album, assurément, monte d’un cran en intensité et voit apparaître les percussions (darbouka, donc, mais aussi daf) et les cordes (saz, oud). Ingrédients que l’on retrouve sur le non moins excellent morceau éponyme ou sur les plus atmosphériques Köy otta dunes et Centauri. La formule culmine sur PunchTürk, morceau qu’on croirait sorti du cerveau en surchauffe d’un grand-oncle ottoman de Basil Pouledouris.
Contes orientaux.
L’album des frères Moens évoque aussi bien l’atmosphère des contes orientaux (« Le Grand Bazar », « Köy otta dunes ») que les après-midis passées à trembler pour le sort de l’humanité devant un épisode de V ou Buck Rogers (« Centauri », « Princess Maria »).
Écouter Y Bab Adöy dans son intégralité, c’est un peu comme passer subitement des montagnes de Cappadoce aux plaines désertiques de la planète Tatooine, de la luxuriance de l’empire de Soliman le Magnifique à l’aridité de celui de Jabba The Huth.
Le premier effort d’Hun Hun puise également son charme dans le grain rétro des extraits de films qui parsèment presque chacun de ses morceaux (on confessera une tendresse particulière pour celui qui ouvre Göktürk ainsi que pour celui qui lance le dernier mouvement de PunchTürk où l’on croirait entendre une Sœur du Bene Gesserit sous acide réciter quelque incantation guerrière).
L’assemblage de ces éléments a priori disparates compose pourtant un univers rétro futuriste d’une grande cohérence qui ne se dément pas tout au long des quarante-cinq minutes de l’album.
Mémoire du passé sans nostalgie.
Car c’est l’une des grandes forces d’Y Bab Adöy que de convoquer la mémoire du passé sans sombrer dans la nostalgie, de s’appuyer sur une forme de bricolage sans tomber l’amateurisme, d’utiliser du matériel vintage sans céder à la facilité de la parodie ou du kitsch.
Auditeurs et auditrices ayant franchi la barre fatidique des quatre décennies retrouveront dans ces onze titres le parfum de leur enfance. Les plus jeunes, eux, goûteront le charme dépaysant de ces morceaux et découvriront une époque où le premier degré régnait en maître.
Exempt d’ironie, cet album puise son originalité dans l’hommage sincère et tendre que les frères Moens rendent à ces films délicieusement surannés où la bande-son comptait parfois davantage que l’intrigue et où se mêlaient aventure et imagination débridée. Un bon résumé de leur musique, en somme.
BEN
Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.