PICTISH TRAIL, Island Family
5é album déjà disponible chez Fire records.
Nous ne connaissions pas cet artiste, ce sont des choses qui arrivent. Quand nous avons reçu Island Family, c’est d’abord la surprise qui nous a sauté au visage. Puis, au fur et à mesure des écoutes, l’album de Pictish Trail (Johnny Lynch de son vrai nom) révèle des charmes toxiques ne nous conduisant jamais là où nous le pressentions.
Il faut dire que le garçon possède pour ce faire de sérieux arguments. Tout d’abord, pop, car il maîtrise à merveille l’art des refrains accrocheurs. Ensuite, électro, notamment concernant les rythmiques pleines de groove, mais également grâce à pléthore de bidouilles qui surprennent et, paradoxalement, donnent corps à l’album. Enfin, nous dirions que ce disque possède aussi une âme foutrement rock, avec ce côté parfois presque scandaleux, ou en tout cas irrévérencieux (surtout car il se détourne volontiers des codes pour proposer un univers ultra coloré, même si pas forcément toujours dans des teintes joyeuses).
Un cocktail molotov d’idées assumées.
En dix titres, Pictish trail brasse une foule d’idées toutes plus exigeantes les unes que les autres. La première consiste à mélanger instruments analogiques et électroniques pour en tirer les forces respectives et ainsi en créer une bien à part, propre au disque. Island Family ne tranche jamais, et même un titre totalement parti sur une note folk pop peut cacher une sucrerie en mode 8 bits. Oui, vous savez, ce genre de bruitages que l’on retrouve dans les jeux vidéo des années 90. Cela renvoie, parfois, vers des mélodies presque enfantines, qui fonctionnent de manière démoniaque car elles éveillent notre imaginaire vers d’autres abords que ceux d’une musique bucolique, pittoresque, champêtre.
Par certains côtés, on pense à The Flaming lips ou Mercury Rev, voire à un groupe comme Broken Social Scene. Pas étonnant puisque Pictish Trail s’en est inspiré pour Island Family (en tout cas pour les deux premiers noms cités), tout comme il s’est inspiré de Beck par exemple. Ces premières références nous conduisent bien souvent au bord d’un psychédélisme déjanté, mais, une nouvelle fois, pas forcément coloré de manière joyeuse. En effet, nous sentons, dans les mélodies de l’artiste, une profondeur qui se décuple par les paroles.
Les thèmes.
Ainsi, pêle-mêle, les titres évoquent la mort, les fantômes et les liens qui nous unissent, les excès des fêtes insulaires, qui se transforment en effroi et en regrets existentiels, la perte de la notion du temps dans le cycle des saisons et le fossé entre la mémoire et la réalité. Tout s’harmonise à merveille dans cet album qui paraît, à la première écoute très hétérogène. Il faut véritablement s’approprier l’objet, s’isoler avec lui et le chérir pour en comprendre la substance profonde.
Elle ressort des teintes mineures, d’une pudeur qui oblige souvent l’artiste à maquiller ses propos dans un aspect festif, comme pour détourner l’attention. Car l’envie de danser est puissante (un titre comme It came back en est un parfait exemple), même si nous sentons toujours une gravité se promener au second plan. Preuve qu’il fait partie de ce genre d’artiste que nous affectionnons, c’est que quand il se met véritablement à nu, sur le magnifique Thistle, il nous met une claque magistrale.
Parfois pop, parfois presque indus, parfois électro, d’autres aux limites d’un hip-hop bizarroïde, Johnny Lynch brouille les pistes, mais la vérité finit néanmoins par ressortir. Il est un artiste complexe, mais au propos qui s’infiltre en nous par petites touches indélébiles.
Rêver les yeux ouverts.
Nous contemplons une dizaine de paysages totalement différents. Certains sont lunaires, cosmiques, d’autre pastoraux, d’autres plus urbains. Mais tous se parent de décors qui leur sont complémentaires. Ainsi, un décor de friche industrielle possédera, pour atténuer ses contours tranchants, un ciel étoilé surnaturelle. Ou bien encore, un décor verdoyant de vallée anglaise sera éclairé par un soleil gigantesque, dont on pourrait toucher les rayons (et jouer, pourquoi pas, à les lancer comme des javelots).
Superbement mixé, et ce de manière assez complexe, ce qui fait que le son de Pictish Trail est immédiatement reconnaissable, l’album déroute et demande un moment d’adaptation. Mais très vite, il devient un disque de chevet, parfois foutraque (le « terrifiant » Remote control qui part un peu dans toutes les directions pour notre plus grand plaisir, mais qui demande quand même à ce que nous soyons bien assis et concentrés à son écoute), parfois limpide (Melody Something). C’est bien simple, Island Family joue sans cesse les contrastes comme pour mieux nous mettre devant nos propres incohérences et mauvais fonctionnements.
Bref, ce disque se mérite. Mais, d’une grande force, il finira par vous séduire comme il nous a séduits. Brut et raffiné, Island Family est sans conteste l’album curiosité de ce mois de mars.
LE titre d’Island Family.
Le disque étant un peu écartelé entre ses inspirations, définir un titre susceptible de le représenter paraît impossible. Alors, nous nous rabattons sur le titre qui ouvre l’opus. Pourquoi ? Simplement car il donne une indication du son de l’album, sur ses intentions, même si, à cette simple écoute, il manque encore pas mal de clés pour le comprendre. Néanmoins, dès ce titre, on comprend qu’on a affaire à un disque pas comme les autres, dont la richesse risque bien de nous mettre la tête et le cœur à l’envers. Ce que les chansons, par la suite, ne feront que confirmer.
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