GABRIEL KEVLEC, Cordons (collection Alcôve)
Trouver l’amour (et la paix intérieure)
Ce premier roman de Gabriel Kevlec, Cordons, auréolé de la mention spécial de jury du roman gay, nous retrace l’histoire d’Andrew Wells, flic resté avec un pied coincé dans l’adolescence et qui enchaîne les conquêtes comme certains enchaînent les verres (ce qu’il fait également). Mais le jour où Milton Montgomery refait surface dans sa vie, celle-ci se trouve bouleversée du tout au tout.
En abordant plusieurs thèmes liés à l’homosexualité, Garbiel Kevlec, à travers ce roman pimenté de scènes érotiques ultra explicites, nous dépeint une réalité dont on entend parfois la triste réalité à travers des faits divers sordides (ceux relatant les passages à tabac, encore aujourd’hui, de personnes homosexuelles). Pourtant, ici, de sordide il n’y a que les solitudes qui, au fil des pages, trouvent une échappatoire bienvenue.
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Un flic abimé.
Andrew Wells mène une existence bien réglée. Entre son boulot de détective à Londres, son amie d’enfance Kathryn et ses conquêtes d’un soir dont il ignore jusqu’au nom, tout s’imbrique à merveille dans le monde de cet éternel adolescent ne vivant que dans l’instant présent. Sûr de son succès, autant professionnel que purement physique, il use et abuse, tire sur les cordons de sa vie au point de parfois se brûler les ailes au désespoir d’une vie solitaire.
Le jour où le central recrute un psy, son passé le rattrape. En effet, ce psy n’est autre que Milton Montgomery, un ancien élève de son pensionnat. Mais pas n’importe quel élève : celui qui le faisait autant fantasmer qu’il le martyrisait. Son retour marque un profond changement et remet en question tout son train-train quotidien, au point de l’ébranler dans ses fondements les plus intimes.
Cruauté.
Si la trame de Cordon est assez classique, le système narratif l’est moins, alternant, sans régularité (ce qui a le bon goût d’apporter un rythme très personnel au bouquin) les points de vue des deux personnages masculins. Avec tact, et avec aussi un développement progressif, nous nous trouvons rapidement au plus près de leur ressenti, qu’il s’agisse de scène de sexe ou d’émotions en relation directe avec leurs vécus respectifs. Le rapprochement avec leur psyché se faisant crescendo, l’auteur nous maintient sous tension du début à la fin de l’ouvrage.
Ainsi, nous n’ignorons alors progressivement plus rien de leur blessures profondes. Celles-ci sont orientées autour de ces a priori qui ont la vie dure quant à l’homosexualité : parents qui rejettent leur enfant (ici, ils proviennent d’un milieu plutôt huppé), brimades ou violences d’autres élèves à l’école. Dur, quand on est homo, de s’épanouir d’une manière insouciante. Les deux hommes en ont amèrement payé l’addition, ne parvenant pas, une fois adulte, à trouver la place qui est la leur.
Alors l’un d’eux s’abime encore plus dans une escalade de débauche et de solitude obstinée qui le fait plus souffrir que d’accepter d’exprimer (et de s’avouer) simplement ce qui lui pèse. L’autre, lui, prend la fuite, blessé au plus profond de son être par des attitudes révoltantes qui, bien que marquantes, ne lui font pas perdre de vue l’essentiel, d’où un déchirement entre ses espoirs et la réalité de sa vie.
Pudeur.
La plume de Gabriel Kevlec est pleine de pudeur. Oui, les scènes de sexe sont explicites, se passent de commentaires, sont parfois crues, mais servent également à dresser un portrait (parfois peu reluisant) au plus près de Wells. Mais aussi qualitatives soient-elles, le véritable point fort de l’auteur réside dans les descriptions relatives aux sentiments et aux questionnements intimes qui sont de pures mines d’or.
En effet, son œil (et son cœur) analyse à merveille les comportements humains, leurs errances, leurs doutes, leurs envies, parfois même quand elles ne sont pas exprimées distinctement. Sans en faire trop, avec beaucoup de discernement, il nous esquisse des personnages dont la sensibilité malmenée trouve peut-être la voie d’une guérison bienvenue. Avec une poésie charnelle, parfois proche du bitume comme elle peut s’élever dans les cieux, Gabriel Kevlec photographie des existences avec une approche quasi naturaliste.
Il n’y a jamais de pathos, juste une acuité aiguisée qui nous laisse à penser que, sans doute, lui-même est passé par des états similaires de violence, à la fois induits par les autres, parfois créés par lui-même (l’auto-dévalorisation de Wells est totalement bouleversante, celle de Milton l’étant tout autant, mais sur un registre un peu différent néanmoins).
Une plume qui coure.
La plume de l’auteur virevolte sur le papier. Ses développements sont dans le bon tempo, ne créant jamais de temps mort dans ce roman qui se dévore comme les amants font l’amour, avec passion. Si l’érotisme est très présent, il n’écrase pas les aspects plus sociétaux/familiaux qui en définissent les contours. Comme disait Gainsbourg, « l’amour physique est sans issue », Gabriel Kevlec nous démontre exactement que les sentiments sont le véritable moteur de tout homme.
Cordons nous touche donc profondément par son humanité, certes blessée, mais qui, une fois l’amour au rendez-vous, se répare petit à petit.
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