Interview de Timothée Cueff, auteur.

Quelques questions.

Nous avons posé quelques questions à Timothée Cueff, auteur d’un premier roman, Les pieds dans l’eau (aux éditions Lunatiques), qui nous a beaucoup ému. Il nous en dit plus dans cette interview plus qu’intéressante.

les pieds dans l'eau timothée cueff

Litzic : Bonjour Timothée. Première question classique, comment vas-tu ?

Timothée Cueff : Bonjour ! Ça va plutôt bien, merci.

L : Peux-tu te présenter rapidement : qui es-tu ? Depuis quand écris-tu ? Quelles sont tes références littéraires, les ouvrages qui t’ont marqué et qui ont façonné ton univers ?

Timothée Cueff : Je suis auteur et slameur. J’ai 26 ans et j’habite actuellement du côté d’Orléans. J’écris depuis que je suis gamin, mais j’ai davantage développé mon écriture, telle que je la présente aujourd’hui, durant mes études ; j’ai fait un Master de Création littéraire, à Toulouse.

Mes références littéraires ? Vaste question ! Tout de suite, je pense à Jean-Michel Espitallier. Notamment son roman « La Première année » qui m’a énormément touché. Mais dans l’ensemble, tout son travail m’amène à questionner ma propre écriture. C’est un artiste qui, je trouve, permet une ouverture du champ des possibles artistiques. Et la poésie de ses mots est juste magnifique. C’est très souvent vers ses œuvres que je me dirige lorsque je me retrouve dans un vide littéraire ou un questionnement sans fin, et Les Pieds dans l’eau n’a pas échappé à ces deux-là !

Roman ou nouvelles ?

L : Pourquoi avoir choisi ce nom, Les Pieds dans l’eau, pour ton premier roman ?

Timothée Cueff : À l’origine, Les Pieds dans l’eau n’était pas un roman, mais une série de nouvelles. Et la première nouvelle – qui est devenue, depuis, le premier chapitre du roman – était intitulée « Les Pieds dans l’eau », en référence à la situation de deux de mes personnages, Raphaël et Titouan, qui ont, littéralement, les pieds dans l’eau.

Par la suite, j’ai conservé le titre parce que c’est ce qui, selon moi, rapproche tous mes personnages. Ils sont tous très différents, mais s’ils ont bien un point commun, c’est le fait qu’ils ont les pieds dans l’eau. Tout simplement !

L : L’histoire se déroule en Bretagne, à Brest. Quel rapport entretiens-tu avec la région et en particulier le Finistère et le Morbihan, tous deux cités dans le roman ?

Timothée Cueff : Déjà, petite rectification, tout le roman ne se situe pas à Brest !

L : oups, je me suis mal exprimé. La ville de Brest occupe une deuxième partie du livre, la première étant plus basée dans le Morbihan.Mea culpa.

Timothée Cueff : Pour ce qui est de ma relation avec la Bretagne, je me suis toujours senti proche de cette région par mes origines finistériennes du côté de ma grand-mère. Je n’y ai pas grandi, mais sans savoir comment l’expliquer, la Bretagne, c’est la maison.

Et quand j’ai commencé l’écriture des Pieds dans l’eau, j’avais besoin de ça : besoin de me sentir appartenir, besoin de me sentir « à la maison », besoin d’être ancré dans un endroit où je me sente en sécurité. J’étais dans une période très difficile, et ouais, j’avais ce besoin d’accroche. Et direct, je me suis dit « faut que j’aille en Bretagne » ; ça semblait être l’unique solution. Sauf que tout quitter du jour au lendemain, c’est pas simple (surtout quand la vie est déjà très complexe). Donc, j’ai commencé à écrire sur la Bretagne pour combler ce vide, en fait.

Et finalement, un peu par hasard, un peu comme par magie, la Bretagne m’a passé un coup de fil et je suis monté dans le Morbihan. J’y ai passé tout l’été 2018, et tout naturellement Les Pieds dans l’eau sont nés.

Et depuis, j’y suis retourné, encore et encore, j’ai rencontré plein de gens, et l’amour que j’ai pour cette région a grossi et grandi. Mais je crois que c’est né de ce moment d’écriture là. De ce sentiment d’appartenance. Et de cette évidence, finalement.

« Je n’y ai pas grandi, mais sans savoir comment l’expliquer, la Bretagne, c’est la maison. »

L : Qu’est-ce que raconte ton livre ?

Timothée Cueff : Ah ! La question compliquée… Les Pieds dans l’eau, c’est un roman fragmentaire qui parle d’enfances, de passage à l’âge adulte, de traumatismes oubliés ou ignorés – ceux qu’on refoule dans un coin de nos têtes en se persuadant qu’ils ne réapparaitront jamais, de relations tordues et d’autres magiques, de douceur, de Bretagne, d’imaginaire, d’insouciance, et plus que tout d’innocence.

L : Le rapport avec l’enfance y est très fort, dès les premières pages, puis se dilue un peu par la suite, même si la vie des personnages est finalement une résultante d’enfances cabossées. La perte de l’innocence est-elle, pour toi, un naufrage duquel on ne se remet pas ?

Timothée Cueff : J’ai envie de dire « oui » et « non ». Pour moi, on ne perd jamais complètement l’innocence que l’on a étant enfant. Elle évolue ; elle se transforme… Mais il en reste toujours un fond. Et justement, je me suis rendu compte, en écrivant ce roman, que j’ai conservé une grosse part d’innocence enfantine, et je crois que c’est ce qui rend les histoires que je raconte touchantes.

Et en même temps, dans un sens, oui ; je pense qu’aujourd’hui les enfants grandissent dans un univers d’adultes. Et c’est violent. Profondément violent. On subit des traumatismes dont on ne guérit pas. Parce qu’en fait, tout le monde les vit et on agit comme si c’était pas grave, comme si c’était un passage obligé pour « devenir adulte ». La société, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, tue les enfants. Prétendre le contraire, c’est l’une des plus grosses hypocrisies et bêtises de l’être humain.

« Parce que j’en suis moi-même une ? »

L : Ton écriture est poétique. Elle est vive aussi, pas loin d’être nerveuse (elle ne l’est pas pour moi, nerveuse, mais plus une succession d’images, d’impressions, un peu comme la mer un jour de tempête autrement dit). Comment l’as-tu élaborée ? Était-ce simple ou t’es-tu heurté à des récifs pour la mettre en place ?

Timothée Cueff : Merci ! Sans aucun doute, elle a évolué et elle a bu la tasse un bon paquet de fois.

En débutant le Master Création littéraire, à Toulouse, je n’avais pas du tout cette poésie dans les mots. Puis, j’ai rencontré d’autres jeunes auteur.e.s ultra talentueux.euses, et ça m’a motivé à écrire, écrire, écrire… Jusqu’à me rendre compte que ce que j’écrivais ne faisait plus sens. Je ne m’y retrouvais plus. Et, un peu par hasard, j’ai découvert le slam. Ça a bouleversé ma manière de raconter les choses.

J’étais très en colère, à l’époque (je le suis encore). Mais je n’avais pas l’habitude d’écrire durant des phases d’émotions négatives. Je n’y arrivais pas. Sauf que le slam, c’était ça, ça ne pouvait être que ça. Et plus je slamais, plus j’avais de la colère, de la tristesse, de la hargne à exploiter. Comme, en même temps, je commençais l’écriture des Pieds dans l’eau, automatiquement ça s’est mélangé. J’ai complètement redécouvert ma manière d’écrire à ce moment-là.

L : Les destins s’entrecroisent pour tisser une humanité bousculée. Les causes « perdues » semblent particulièrement t’inspirer ? Pourquoi ?

Timothée Cueff : Parce que j’en suis moi-même une ?

Une question : est-ce que tous les adultes actuellement sont doux, ouverts, tolérants, sains, tranquilles, posés, stables, en sécurité, imaginatifs, créatifs… ?

L : Au-delà de ça, tu sembles en vouloir aux parents d’avoir « perverti » l’âme des enfants. Tu portes un regard assez dur là-dessus. Pourtant leur rôle est essentiel dans la construction et dans les fondations de qui seront les enfants une fois devenus adultes, non ?

Timothée Cueff : Une question : est-ce que tous les adultes actuellement sont doux, ouverts, tolérants, sains, tranquilles, posés, stables, en sécurité, imaginatifs, créatifs… ? Je ne dis pas que toutes les figures parentales sont mauvaises. Il y en a, d’ailleurs, quelques-unes assez belles dans le roman. Mais dès lors qu’un enfant n’est plus écouté, ça coince, ça vrille.

On écoute rarement les enfants ; on les tire vers l’âge supérieur. C’est très souvent le cas. Et pour moi, ce genre de construction, c’est un problème. J’en veux aux parents de modeler, de projeter, de prévoir, et je vais être un peu fort, mais de jouer à la poupée. Pourquoi façonner un être lorsqu’il est déjà là ? Je ne dis pas qu’un enfant doit se construire et grandir seul, loin de là, mais un enfant, c’est un être humain (souvent bien plus futé qu’un adulte) et l’écouter, réellement, sans forcer, sans pousser dans une direction particulière, pour moi, c’est à partir de ce moment-là qu’on aura des adultes sains. Et donc, des parents sains. Et donc, une société plus saine.

L : Tu décris la ville de Brest comme je ne l’avais jamais lue, mais au contraire comme je l’ai vue dans sa globalité. Elle possède une couleur particulière cette ville, nous sommes d’accord là-dessus une musique unique aussi. Comment as-tu réussi à la capturer d’aussi près, cette essence ? Était-ce compliqué de le faire ou, au contraire, très simple vu le sentiment d’attachement que tu as à la ville ?

Timothée Cueff : Alors, petite anecdote très drôle, la seule fois où je suis allé à Brest, c’était lors de l’écriture des Pieds dans l’eau. Je m’étais dit « tu n’écris pas de la soirée, tu profites ». Bien sûr, ça n’a pas fonctionné. On était chez Kim, et j’ai écrit tout un passage dans ce bar, en observant les gens. On a continué à errer dans les rues jusqu’à 6h du matin. C’était fou. Résultat : j’ai passé l’une des meilleures soirées/nuits de ma vie et Brest m’a collé à la peau.

L : Tiens d’ailleurs, quel endroit de la ville préfères-tu, et pourquoi ?

Timothée Cueff : Le Kiosque, pour les ondes et la réverb’.

Collectif Kalamar

L : Si Les Pieds dans l’eau est ton premier roman, tu écris depuis longtemps, notamment au sein du collectif Kalamar. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce collectif, en quoi il consiste, quel est son but ?

Timothée Cueff : Oui, bien sûr. Le Collectif Kalamar, c’est un collectif composé de sept artistes-auteur.e.s dont le but est de travailler l’écriture en commun, mais également, depuis son passage en association, de promouvoir les arts en général. Récemment, le Collectif a fondé un podcast afin de donner la voix à des artistes, ou mettre en lumière des formes artistiques. Et actuellement, le Kalamar porte un roman-feuilleton dont l’écriture se fait en commun. C’est un lieu d’expérimentation littéraire, mais aussi musicale, visuelle… Tout ce qu’il est possible d’imaginer !

L : Si tu devais mettre une bande-son sur ton roman, quelle serait-elle ?

Timothée Cueff : Très belle question, en même temps, si difficile ! Je pense que ce serait l’album « Jamais Seul » de Coriolan. Je l’ai beaucoup écouté durant l’écriture du roman, et je l’écoute toujours énormément. C’est un artiste de pur talent. Il est incroyable. Puis, faut dire que Les Pieds dans l’eau, je lui dois un peu : c’est lui qui m’a fait réaliser qu’il s’agissait d’un roman. Donc, oui. C’est plein de douceur. Ça te transporte. Ça te fait voyager. Ça te calme, et en même temps ça te réveille. Et je trouve que ça accompagne bien la tendresse que j’ai essayé de conserver dans Les Pieds dans l’eau, malgré la tempête et les drames.

L : As-tu actuellement des projets d’écriture, des choses que tu mets en place pour un futur plus ou moins proche ?

Timothée Cueff : Oui, j’ai un deuxième roman terminé qui est prêt à partir en quête de publication, et je suis sur l’écriture de mon troisième. Je travaille également sur mon premier EP de slams. Je me suis remis à la scène et à la musique grâce au Prix Nougaro, et j’ai très envie de m’investir davantage là-dedans. Donc, c’est tout un équilibre à trouver !

L : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter de beaux dans les jours, semaines, mois à venir ?

Timothée Cueff : Que Les Pieds dans l’eau se retrouve sous le sapin ?

C’est difficile comme question. Y’a plein de choses. Mais, pour faire simple, je dirais : plus de créations, plus de créativité, et de la tendresse par milliers.

L : Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.

soutenir litzic

Nous retrouver sur FB, instagram, twitter

Ajoutez un commentaire