DANIEL JEA, En Suspens // Catharsis

daniel jea en suspensQuatrième album (disponible chez Siparka)

Qui a dit que les artistes n’avaient plus rien à dire ?! Aujourd’hui, on cherche à nous faire croire que tout va bien ! Tout est policé, rien ne sort du cadre. Nous avons le sentiment que ceux qui ont des choses à dire sont évincés. Il était une fois un rock alternatif et vindicatif? Nous en sommes nostalgiques à souhait.

Même la culture hip-hop qui est aujourd’hui sur le devant de la scène, semble fade, creuse et sans réel message (à quelques exceptions près). Le mainstream et le capital ont pris le dessus. Nous devons garder les esprits sous cloche. Dans la dernière newsletter de Litzic, Notre rédac’ chef posait la question suivante: Quelles traces laisseront les artistes dans l’histoire? Avec en guise de conclusion que « Finalement, dans 200 ans, on se souviendra peut-être du meilleur vendeur. » Vendre et rester politiquement correct.

L’artiste dont nous parlons aujourd’hui, n’est pas là pour faire de la figuration, n’a pas la langue dans la poche et n’hésite pas à égratigner nos chers dirigeants. Son nom ne vous dit certainement rien, musicien de l’ombre pour certains artistes comme Saez, La Grande Sophie ou Florent Marchet pour ne citer qu’eux, c’est accompagné de France Cartigny (synthés, percus, choeurs) et Émilie Rambaud (Batterie, choeurs) que Daniel Jea revient avec un quatrième album, l’indigné En Suspens.

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Un sarcasme sans pareil

Après A l’instinct à l’instant sorti en 2020, En Suspens est le deuxième volet d’un triptyque à mi-route entre rock et chanson française. Étant de nature curieuse, nous avons jeté un œil à la définition donnée sur ce terme En Suspens. Alors la voici. Il est question d’indécision, d’incertitude, d’attente. Qui est relatif a quelque chose ou à un événement dont le sort, la fin n’est pas connue. Mais cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose? Le « Lockdown ». Ces périodes longues et douloureuses durant lesquelles nous n’avons eu qu’à nous soumettre et à attendre patiemment que les choses passent.

C’est cette période de doute, d’appréhension, de flottement et de fatalisme que Daniel Jea met en exergue sur cet album. Le fatalisme… Nous retrouvons ce thème sur le morceau Tu Peux. Lors des couplets, le narrateur nous crache à la figure avec un sarcasme sans pareil une triste réalité, celle de notre résignation, de notre renoncement, et de notre douce obéissance face aux événements et aux décisions imposées sans notre consentement. La chanson est aussi un coup pied au derrière dans laquelle l’artiste nous rappelle que ce fatalisme n’est pas irrévocable et qu’il tient qu’à nous de changer les choses.

Dire ce qui doit l’être

A travers le titre Ne Pas, Daniel évoque plus que jamais cette notion de docilité, d’infantilisation que nous avons subi lors de la crise sanitaire “Parait que c’est la guerre, c’est papa qui l’a dit, plus rien d’autre à faire qu’à obéir à tout ce qu’on dit, sinon ça sera panpan cucul…” Ce titre n’est pas sans nous rappeler le “Fais pas ci Fais pas ça » chanté par Dutronc en 1968. Au-delà de ce côté paternaliste, Daniel Jea enfonce le clou avec le titre Avance. Le morceau démarre lentement, nous sentons qu’il va se passer quelque chose. Et c’est le cas. Le riff de la guitare est fiévreux et tendu. L’artiste exprime son ressenti sur les méthodes et le discours utilisés par nos dirigeants lors de la crise sanitaire. Un brin directif et ferme pour rester modéré. “Avance et ferme ta gueule” résonne comme une entrave à nos libertés et comme une vieille aigreur.

Prisonnier coincé entre quatre murs

“La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute”, ce n’est pas de nous,c’est de Confucius, mais c’est aussi indirectement ce que Daniel Jea cherche à dire avec Tombe. Une fois de plus, le rythme est haletant, oppressant. A mi-morceau, nous sommes plongés dans une valse sonique obsédante. Des chœurs séraphins nous bercent et nous hantent tel le chant des sirènes pour les vieux loups de mer. Prendre le pas. Faire un pas de côté. De ce pas. Autant d’expressions qui expriment le mouvement, l’action, le changement.

Nous sommes en plein dedans avec le titre Un Pas (pour lequel nous avons un faible). Le titre est plein de fougue et est beaucoup plus enjoué que les autres. Nous sifflotons et avons envie de pousser la voix tant nous sommes portés par le rythme et la musique. Une fois n’est pas coutume, les chœurs y jouent pour beaucoup aussi.

Et après? Après résonne un puits de questions parfois sans réponse. Lors de cette crise sanitaire, surtout dans la période durant laquelle nous avions du mal à se projeter à très court terme, souvent chacun d’entre nous souhaitait revenir au monde d’avant. Sauf que rien n’est et ne sera comme avant. Parlons plutôt du monde d’après.

Une forme d’exutoire

Nous voulions terminer avec les trois morceaux En Suspens I, II et III qui servent un peu de structures à l’album. Ils interviennent comme des variations que nous pouvons retrouver en musique classique. Sur En Suspens I & II, le décompte des chiffres censé nous rappeler le nombre de jours confinés, éveille en nous ce prisonnier coincé entre quatre murs, inscrivant dessus à la craie blanche chaque jour passé afin de ne pas perdre la notion du temps. En Suspens III étant instrumental uniquement laisse présager une légère amélioration. Néanmoins ces variations arrivent à différents stades de l’album comme une sensation de déjà vu oppressant et une langueur anxiogène.

A l’image de chacun des titres, au nom très court, pas plus de un ou deux mots, Daniel Jea nous livre un album brut, immédiat comme s’il avait pris une photographie à un moment donné et qu’il nous en racontait, non pas les détails mais son ressenti, son émotion qu’il a en la regardant.  Cet album est une forme d’exutoire pour l’artiste, un déversoir pour son incompréhension, sa colère, son angoisse durant cette période. En fait, il crie tout haut ce que beaucoup d’entre nous ont vécu, plus ou moins facilement. Cette période entrera indéniablement dans notre histoire, et cet album est là pour y laisser une trace sur nos états d’âme face à cette crise et à sa gestion.

LGH

LGH
(Le Gosse hélicoptère) j’adore découvrir de nouveaux artistes encore inconnus du grand public
et chercher ceux qui dans le passé ont fait ce qu’est la musique aujourd’hui.
La musique m’accompagne en permanence et tient une place primordiale dans ma vie.
Mon maître-mot est l’éclectisme même si mon cœur balance pour le rock sous toutes
ces formes. J’affectionne également la littérature et plus particulièrement la littérature
anglo-américaine (Bret Easton Ellis, Don Delillo, Jonathan Franzen,…).

Relire la chronique de The great destroyer

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