Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
ISABELLE TEMPLER, Une vie arrêtée
Deuxième roman paru chez MVO éditions.
Isabelle Templer a été, en septembre 2020, notre autrice du mois. À l’époque, nous avions découvert et chroniqué Meurtrissures, son premier roman, ou plus exactement une auto-fiction, plein de poésie, mais aussi terrible par la violence que le livre dégageait. Nous découvrons cette fois-ci Une vie arrêtée, livre lui aussi violent, parfois à la lisière de la désespérance, mais qui nous montre aussi que la vie, le combat pour s’y sentir bien, n’est jamais vaine.
Il est question de violences faites aux femmes. Si le thème peut paraître rabâché, Isabelle Templer parvient à s’extirper de la nasse des ouvrages fadasse par un propos clair, des transitions poétiques, mais aussi par la force d’un vécu que lui a conféré son expérience professionnelle. Ainsi, c’est la véracité de situations tues qui nous saute ici en plein visage. Le livre s’avère dès lors d’utilité publique.
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Du Maroc à la France.
Nous suivons les pas d’une jeune fille, puis jeune femme marocaine, dernière de sa fratrie, vivant dans des conditions très précaires. Ses parents, sans le sou, dont son père revenu de France le corps et les espoirs douchés par la dureté de la vie en hexagone lorsque l’on est immigré, n’hésite pas à brader leurs maigres revenus lorsque la famille de Rachid leur apprend que ce dernier a des vues sur elle.
Elle, elle rêve déjà d’un ailleurs plus doux, de la France où le couple se rendra, dans leur maison. Mais la vérité est toute autre : mari violent, belle famille complice et tortionnaire, réduite en esclavage, la jeune femme n’imagine pas de porte de sortie. Quand son fils nait, elle croit un renouveau possible. Hélas, les choses dégénèrent, et la naissance de sa fille n’y changera rien.
Nous suivons le parcours de cette femme, ce combat contre l’insupportable, des débuts presque ydiliques jusqu’à une fin heureusement tournée vers l’espoir.
Une base si commune.
Indépendamment du fait que nous suivons un couple d’origine maghrébine, c’est toute l’histoire des femmes qui est ici exprimée. Celle des femmes confiées à un homme, ici une famille, dont on ignore tout. Elle y subira le viol conjugal (qui n’a de conjugal que le nom), la maltraitance d’une belle-mère sadique, Cerbère qui surveille en permanence cette bru et lui empêche toute liberté de mouvement, et qui voue une admiration à ce fils symbole d’une virilité dévoyée, la soumission d’une belle-sœur, l’enfer des coups qui pleuvent, d’abord sur elle, puis les châtiments sur les enfants (une scène terrifiante dans laquelle le père pose la main du garçon sur le poêle brûlant pour le punir).
L’envie de fuir, pour protéger ses enfants aussi. Car sans doute que sans des enfants, la femme se serait laissée mourir. Mais dans un sursaut de lucidité, d’espoir, de vie pour eux, elle tentera tout pour fuir.
Une narration prenante.
La narration est puissante, prenante. Exprimée à la première personne du singulier, elle nous invite à nous identifier à cette femme. Nous avons accès à ses pensées, à ses doutes, à ses espoirs, ses douleurs, ses craintes et peurs, son élan de (sur)vie. Avec elle nous ressentons la peur indicible de voir arriver l’autre, de le découvrir de mauvaise humeur. Enfermé, sans aucun contact avec l’extérieur, sans pouvoir appeler ses parents restés au pays, elle devra faire preuve de patience,de courage et de malice pour échapper au courroux de son bourreau.
Entre chaque chapitre, symbolisant un moment clé de cette existence ravagée, piétinée, quelques lignes, poétiques, expriment la douleur, le mal. Nous sommes dans l’expectative durant tout le livre, ne comprenant que dans un dernier tiers de celui-ci de quoi il retourne exactement. Ces espaces, loin, de nous embarquer ailleurs, loin de nous apporter un moment de laisser aller, amplifient encore le malaise. La douceur des mots, de leur rime et de leur aspect chantant, contraste avec la douleur terrifiante, psychologique, physique, qu’ils recouvrent.
Le rythme ne se relâche jamais. Un peu comme si nous étions nous-mêmes pris dans l’engrenage de destruction de cette femme. Comme si, comme elle, nous attendions le moindre interstice pour fuir. Cela n’arrive que dans les dernières pages, lorsque nous comprenons qu’enfin, la vie va s’adoucir.
Fort.
Sans jamais verser dans le sensationnalisme, dans le pathos, en gardant un sang froid de conteuse, Isabelle Templer fait d’Une vie arrêtée un excellent tableau d’une réalité sournoise, malsaine, que l’on ne voit pas, que l’on n’entend pas. Nous avons mal pour cette femme, mais également pour toutes celles qui vivent pareil drame. Il n’y a pas de gradation : une simple gifle et aussi violente qu’un coup de poing, peut-être pas physiquement, mais psychologiquement. Nous suivons aussi cette « acceptation » de la femme dans son rôle de martyr. Par envie de protéger ces enfants, par envie de se protéger elle-même, bien que cela souvent échoue.
Enfin, en tant qu’homme, il convient de dire que ceux qui battent leur femme, ou leur enfant, n’en sont pas. Ils sont juste des animaux, des rebuts n’ayant d’homme que le nom. Lâches, minables, ils profitent de leur force physique, ou de leur emprise mentale dans un but simplement égoïste. Si Isabelle Templer avait rendu son personnage masculin un tant soit peu plus humain, elle aurait raté son pari de faire de ce portrait une vérité, une justesse de ce qui se passe.
Il n’y a rien de glorieux à frapper une femme. Il n’y a rien de glorieux à la violer. Non, absolument rien. Une vie arrêtée est un livre très fort, un livre sur la femme, sur les combats malheureusement ordinaires qu’elle livre. Jusqu’à ce qu’enfin les choses s’améliorent pour de bon.