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JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Elven, la mort est si douce
Roman autoédité disponible.
Bruno, jeune professeur des écoles fraichement diplômé quitte sa Bourgogne natale pour Elven, petit village du Morbihan. Il doit y faire ses premières armes d’enseignant de la république mais se heurte très vite à l’accueil mitigé de la population locale. Plus encore, il découvre sur ces terres de légendes un des mythes les plus tenaces et effrayants qui soient : celui de l’Ankou. Il se trouve d’ailleurs que ce dernier est extrêmement actif dans le coin, trop peut-être, et qu’une étrange relation semble les lier.
Nous sommes à la toute fin des années 1800. Ses fonctions de professeur de la république sont mal acceptées par une partie de la population locale. Une autre, faite « d’immigrés », est bien plus tolérante. Nous sommes dans un village presque bicéphale dans lequel le jeune homme est un peu malmené, d’autant qu’il est pris en grippe par le clan du maire Salaün, des « purs souches » qui voient son arrivée d’un très mauvais œil. Par bonheur, il y découvre aussi l’amour.
Sleepy Hollow.
L’Ankou est un personnage fort de la mythologie bretonne. Il symbolise la mort et se déplace avec une cariole dont le grincement sinistre vous fait vous cacher dans vos chaumières, de crainte que ce bruit s’arrête devant votre porte. Si tel est le cas, vous n’avez plus votre vie devant vous. Un peu à la manière du film de Tim Burton, jérémie Ferreira-Martins lui donne corps dans un petit village breton (Elven, bien réel), décors légèrement gothiques, où se trament des affaires louches. L’arrivée d’un jeune étranger coïncide avec ceux-ci, et il pourrait bien être le bouc émissaire de l’activité débordante du mythe.
Ce thème surnaturel, cher à l’auteur, tout comme le thème de la mort (relire la chronique de Rédemption), trouve ici un enracinement historique à une période où les superstitions et les croyances sont fortes. La télé n’existe pas et l’ambiance de la fin du 19é siècle est restituée avec une fidélité saisissante. Peu de descriptions fastidieuses (marque de fabrique de l’auteur), mais une immersion totale par quelques éléments factuels choisis avec soin. Nous prenons place dans ce village, assistons aux événements inquiétants comme si nous étions nous-mêmes un villageois, quand bien même tout est ici exprimé à la première personne du singulier.
La force persuasive de Jérémie Ferreira-Martins est utilisée au service d’un thriller fantastique finement mené, dévoilant ses informations au compte goutte, nous entrainant dans la vie de Bruno et nous rendant extrêmement proche du personnage. Ce qui lui arrive n’en dégage que plus de force, épaissie également le mystère notamment lorsque des visions surprenantes hantent le professeur (et lui joue de mauvais tours).
Rythme crescendo.
Au fur et à mesure que nous sentons le professeur des écoles s’installer dans son idylle, de même que plus il s’intègre dans la ville, plus nous sentons le danger imminent. Pour autant, cette progression de la tension se fait par paliers successifs, presque de façon détachée du roman. C’est-à-dire que les scènes « banales » du quotidien sont les plus nombreuses et la présence de l’Ankou finalement, jusqu’au dénouement final, assez anecdotiques, quoique toujours présentes en hors cadre.
Ainsi, si la tension se fait en pointillé, à chaque nouvelle apparition de la faucheuse elle gagne d’un cran, jusqu’à devenir presque insupportable. Forcément, le thème de la mort est ultra-présente, mais nous voyons aussi, même si transposé dans un siècle qui paraît à des années-lumière de ce que nous vivons aujourd’hui, le thème de l’immigration ressurgir, avec une forme de racisme malheureusement très commun (et, c’est le pire, très « compréhensible » à la vue des superstitions et mentalités de l’époque, même si certains personnages, progressistes, amènent cette touche salvatrice de nuance).
Eros thanathos.
Nous voyons dans ce Elven les thèmes de l’amour et de la mort entremêlés. Rien de bien nouveau, mais cet éclairage porté par le biais du mythe lui donne une dimension particulière, la place dans un contexte où tout devient concret. Nous en venons à nous demander si l’un ne conduit pas à l’autre (dans le sens amour vers mort, ou plutôt l’amour ne nous fait-il pas redouter la mort de manière plus inconcevable?). Les deux thèmes sont les fils conducteurs du roman, lui conférant une dimension très concrète, presque commune, à cette histoire de vengeance.
Un peu comme pour Rédemption, nous y voyons cette question de ce qui est impalpable (et une grande énigme du vivant), à savoir que reste-t-il de nous après avoir succombé ? Si l’on excepte les jeux de pouvoir qui sont ici prégnants (contrairement à toute notion de religion, absente, et c’est très bien, du roman), il reste cette question de savoir ce qui advient de l’âme après le trépas. Il est aussi question de deuil , mais ces thèmes, plutôt lourds, sont ici rendus plus légers par l’apparition d’un surnaturel qui tend à rendre l’histoire totalement divertissante, sans pour autant, dans un second niveau de lecture, amoindrir ces interrogations que nous nous posons tous à un moment donné de notre existence.
En maniant art de l’intrigue, rythme et surnaturel dans un cadre précis, plus ou moins historique, ce qui lui confère une aura particulière, Jérémie Ferreira-Martins confirme l’impression que nous avions de lui, notamment celle concernant son talent de conteur. Ce deuxième roman nous fait donc une très bonne impression, se lit d’une traite, et nous transporte dans un univers dans lequel nous n’aurions pas aimé vivre, c’est un fait, mais que nous adorons découvrir à travers ses mots.
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Partie 1 du prologue Le schisme des douze.