Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
AGNÈS OLLARD, La chaise rose de Virgile
roman paru aux Éditions Spinelle.
Un accident de voiture, à quelques jours de Noël, conduit un sculpteur parisien de renommée internationale à s’installer à Sauvaitre, petit village des Charentes refermé sur lui-même. Il y a fait la connaissance des habitants, d’un étrange voisin et du poids des secrets. Le lendemain d’un 14 juillet, un corps sans vie, assassiné, est découvert aux abords du village. Il fera voler en éclats l’apparente sérénité de celui-ci. Dans La chaise rose de Virgile, roman à la fois policier et social, Agnés Ollard nous propose une plongée dans la psyché d’une campagne bourrée de codes, mais aussi dans celle d’une horreur tristement banale.
Tout n’est qu’une question de rythme. Ce rythme répétitif et monotone de la campagne, ou chaque jour ressemble à celui qui précède, et à celui qui suivra. C’est dans ce cadre qu’un sculpteur parisien prend place, tombé sous le charme d’une bicoque abandonnée. Sa vie part en lambeau. La femme qu’il aime l’a quitté, tout comme l’inspiration. Pourtant, elle revient et, dans l’atelier attenant à cette baraque qui l’a appelé, il sculpte la pierre sous l’oeil admiratif de son étrange voisin, Virgile, un colosse aux yeux dorés et brillants.
Tout ne s’est pas fait si vite, ils ont dû s’apprivoiser mutuellement. Il faut dire que Virgile, accompagné de son corbeau Cervus, n’est pas des plus loquaces. Les habitants du village l’ont même mis en garde. Il est bizarre ce type-là. Il est louche. Mais eux, ne le sont-ils pas tous ?
Un crime.
Le village est réuni pour une représentation théâtrale, le 14 juillet. Il s’y joue une pièce mettant en scène le meurtre d’Henry IV par Ravaillac. Tout le village y est… Enfin ceux qui jouent la pièce, et le sculpteur, comme unique spectateur. Les autres habitants sont occupés à l’extérieur à préparer les festivités du jour. Tout se passe bien. Mais le lendemain, l’annonce tombe. Un homme a été découvert, mort, et cette mort n’est pas naturelle. Bientôt, la gendarmerie débarque, interrogeant les villageois. Les soupçons se tournent vers Virgile, parce qu’il est différent. Parce que, comme le sculpteur, c’est un étranger.
Pourtant, il est sensible à l’art Virgile, et s’il a des comportements bizarres, il s’entend bien avec l’artiste. Il se noue une amitié rare entre les deux hommes, faite de silences, de regards, de cette sorte de compréhension qui peut unir deux âmes jugées différentes mais réunies par la force de l’art. Alors que l’enquête avance, menée par un étrange et charismatique inspecteur, presque aveugle mais qui « voit » tout, un deuxième drame survient. Un villageois se fait tirer dessus (sans tenir compte de l’empoisonnement d’un chien, qui y succombe). On accuse Virgile, une fois encore. Mais l’inspecteur doute de ces accusations à l’emporte-pièce.
Lent comme la vie campagnarde.
Nous avons un peu de mal à entrer dans le roman. Il faut dire que les premières scènes, peut-être un peu longuettes, ne nous y aident pas vraiment. Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin de La chaise rose de Virgile que nous comprenons le pourquoi de cette entrée en matière. En effet, Agnès Ollard plante, quasiment dès les premières lignes, le décor. Celui d’un temps suspendu, celui de cette campagne où rien ne presse puisque s’y déroule une vie à des années-lumière du caractère pressé, trépidant, de la ville.
Elle y met déjà des grains de sable de psychologie, celle de ses personnages. Nous pourrions croire qu’ils sont stéréotypés, et il y a peut-être un peu de ça, mais c’est fait avec tellement de tact que nous n’y voyons finalement qu’un reflet de ce que nous pouvons découvrir dans des bourgs ruraux. Le patron de bar, l’épicier, la boucherie charcuterie, la boulangerie… Les grandes gueules, le(s) pilier(s) de comptoir, la gloire locale, l’idiot du village. Les ragots, les ouï-dire, les commérages… Tout y est dépeint avec une langue « tranquille », une langue observatrice de ce que bien souvent nous ne voyons pas (ou que nous voyons plus distinctement une fois que le doute et la suspicion nous assaillent).
Sensible comme Virgile.
Et puis, il y a de la sensibilité dans cette plume. Une sensibilité qui apparaît en pointiller. Le sculpteur (qui est le narrateur) est brisé par le couple qu’il a détruit par son égoïsme. Le colosse Virgile qui, s’il est étrange dans ses manières, éprouve une attirance magnétique pour le travail de l’artiste. L’art relie les Hommes, nous l’évoquons plus haut, c’est un fait. Il touche aux émotions et les émotions, que nous soyons « bizarres » ou pas, sont les mêmes pour tout le monde, bien que nous les ressentions de manière potentiellement différente.
Plus que le simple caractère policier de ce roman, qui est présent, mais pas forcément aux avant-postes, c’est une humanité à petite échelle qui est mise en place par l’autrice. Avec sa petite dizaine de personnages, elle parle du monde entier, avec ses petites traitrises, ses petites horreurs, ses préjugés, sa peur de l’autre, mais aussi sa générosité et une forme d’amour de l’autre qui ne se dit pas vraiment, qui se devine. Les hommes y sont décrits avec une pertinence aiguisée, avec malice aussi puisque Agnès Ollard détruit certains clichés avec habileté. Et puis, il y a aussi cette douleur que nous ressentons à la lecture du livre. Une douleur qui apparaît en fin de roman, quand le fin mot de l’histoire nous est dévoilé.
Une horreur hélas banale.
Nous ne vous dirons pas de quoi il s’agit, mais nous pouvons presque vous dire que, comme un fait divers lu dans le journal, ce qui se passe à Sauvaitre a des racines profondes, qu’elles remontent à loin et qu’elles nous font monter une boule d’angoisse dans l’œsophage. Une boule d’angoisse ou de tristesse, on ne sait pas trop. Et aussi un sentiment d’amour, comme celui qui lie le sculpteur à son voisin.
La chaise rose de Virgile aurait pu aller plus vite à ce dénouement. Nous nous sommes dit, parfois, qu’il y avait trop de zigzag dans cette histoire, zigzag nous empêchant d’aller à l’essentiel. Pourtant, une fois achevé, ceux-ci nous apparaissent finalement comme précieux. À la vérité, les personnages nous manquent, tout comme ce village pourtant pas très accueillant. Preuve s’il en est qu’Agnès Ollard a réussi à nous embarquer dans son monde et à éveiller chez nous quelques zones endormies.
Ce roman à la langue parfois étonnante (des jeux de répétitions lui donnent un rythme chantant) nous a encore démontrés (comme le très bon Fantaisie villageoise que nous avons chroniqué il y a quelques mois) que la campagne et sa solidarité sont un monde à part, un monde que la ville étouffe peu à peu, comme elle étouffe les personnalités, les originalités, en les noyant dans la masse, alors qu’elles ressortent, pour le bon et le mauvais, dans ce cadre un peu plus circoncis. Un cadre ressemblant un peu à un tableau à la beauté discrète. Et ce tableau, il nous habite longtemps et ne manque pas, à chaque fois que nous y pensons, de nous émouvoir. Il en va de même de La chaise rose de Virgile.