CONCRETE JANE, Sole mio, helvète underground
Nouvel EP disponible chez echo orange/Le pop club records.
Passez-nous ce jeu de mots un peu foireux sur le titre de cet article. En effet, Concrete Jane est suisse, et effectivement, il produit une musique underground, souterraine, bien que lumineuse. La pop du musicien, faite à la maison, est en effet un miroir aux massifs alpins, une musique du grand air, une pop vivifiante, qui gonfle nos poumons d’un air pur légèrement grisant comme peut l’être l’ivresse des hauteurs. Sole Mio fait un bien fou.
En 20 minutes et 6 titres, celui qui se cache sous le nom de Concrete Jane (Julien Zumkehr) nous plonge dans son univers avec un tact solaire, sans nous contraindre. La magie opère en effet dès les toutes premières secondes du disque par la douceur de sa voix, par ce frottement sensuel, presque érotique de ses doigts sur les 6 cordes de son instrument. Et par cet art de la composition qui fait mouche. Ici, c’est un parfum de décontraction qui plane au-dessus de Sole mio. Mais ce terme ne signifie pas que l’EP manque de sérieux, bien au contraire.
Faire croire que…
Lorsque débute l’EP avec The bee, morceau pastoral fait d’arpèges de guitare folk, d’une voix, parfois doublée en choeur, d’une rythmique à base de percussion et d’une basse minimaliste, nous tombons sous le charme. Charme charismatique il va sans dire. Mais de ce genre de charisme qui s’impose avec élégance, avec une forme de détachement, comme s’il s’en foutait royalement de plaire. Nous sentons que la musique de Concrete Jane provient du fin fond de lui-même et jaillit en plein jour comme l’eau d’une source trouvant soudainement un moyen de sortir de terre et de ruisseler en torrent jusqu’à la vallée.
Ainsi, la pop de Sole mio semble tout sauf domptée, même si nous nous rendons bien compte qu’une telle musique ne jaillit pas comme ça, par hasard. Nous avions évoqué les références à Syd Barrett sur le single The lover, influence qu’on imagine s’être fichée quelque part dans la tête de l’artiste pour y murir lentement (avec d’autres artistes pop majeurs). Elle y a fait son petit bonhomme de chemin, ressurgissant au travers d’une composition lumineuse, solaire, définitive à la manière d’une comptine composée par le Lunatic. On pense aussi à un musicien comme Liam Finn, par cet aspect presque sacré de la chose pop, musique tout sauf creuse que l’on se doit de respecter profondément.
Pour autant, les autres titres chantés, comme Nothing, Cornfields & cigarettes et Small Empire, nous montrent un musicien capable de briller par sa propre personnalité. Outre les aspects folk, nous retrouvons également sa guitare légèrement électrifiée qui s’exprime avec fluidité, tant par sa technique que par les motifs qu’elle tisse. Le tout nous donne l’impression d’être produit à la cool, sans pression, comme si Tout était nimbé d’une sorte de bien-être, d’une décontraction tout sauf blasée.
Parfum légèrement rétro.
Les ambiances nous évoque une randonnée au grand air, sur un chemin traversant une forêt de conifères où, par endroit, pépient quelques oiseaux. L’ambiance est également un peu feutrée, jamais produite dans la surenchère tant la qualité de production nous ramène à quelque chose de basique, naturel, pouvant être reproduit dans n’importe quel espace scénique (bar, scène, en électro-acoustique en extérieur etc.). Ce caractère basique signifie ici qu’il n’y a aucun gros effet, aucun « m’as-tu vu », bref une humilité terrienne absolument déconcertante. Dans le monde de la musique, il faut en mettre plein la vue, et Concrete Jane lui, nous en met plein les oreilles comme en se mettant en retrait de lui-même, effaçant le musicien derrière son oeuvre. Sa musique en ce sens s’avère un peu magique (et pleine d’une humilité sincère).
L’instrumentale Sole Mio qui donne son titre à l’EP est simplement réjouissant. Petits effets surf music sur la guitare (réverbération aérienne), léger parfum 60’s, rythme pépère mais qui donne envie de se balancer, comme en transe, avec notre voisin, autour d’un feu de camp. On se sent juste détendu à l’écoute de cette musique qui nous apparaît tout de suite familière mais qui pourtant nous surprend à chaque nouvelle écoute par un élément nouveau qui jusqu’alors était caché derrière ce qui nous sautait littéralement aux oreilles.
Cet EP renferme donc des secrets de composition faisant que la pop « maison » de Concrete Jane nous touche autant. La suisse n’a pas réputation d’être une terre pop par excellence, pourtant, ici, elle damne le pion à l’Angleterre de façon magistrale. Comme si Concrete Jane, telle une plume détachée du corps d’un oiseau d’altitude, écrasait avec douceur toute forme de concurrence. Ce Sole mio est tout simplement superbe.