[ BEAU LIVRE ] MARTIN D’ORGEVAL, Sur face.
Sur face, album de photographies de Martin D’Orgeval (texte d’ Erri De Luca), paru aux Editions Steidl.
Il y a la lumière. Il y a aussi la couleur. Enfin, il y a le détail. Nous pourrions aussi évoquer l’oeil, la poésie, l’impulsion, le désir de saisir ce que nul ne saisit. Avec Sur face, Martin D’Orgeval capte la beauté de ce qui pourrait paraître insignifiant. De minuscule, d’infinitésimal, il devient géant, infiniment grand. Plus que de simples photographies, ce sont des sensations qui nous sont ici montrées. Les explications sont inutiles, il faut simplement s’imprégner de la magie qui surgit du commun. Dès lors, il devient exceptionnel.
Tout pourrait être une histoire de perception. Souvent, l’oeil du photographe se fait poète. Le poète, cet artiste qui sous la grâce de ses mots magnifie le banal, en tire une beauté tactile, ou parfois subliminale. Dans Sur face, Martin D’Orgeval, en tout cas comme le montrent les premières photos, part du grand pour aller vers le petit. D’une prise de vues globale, il fonce vers le détail. Apparaissent alors les matières. De loin, elles sont invisibles. De près, même sur papier, elles laissent apparaître leur rugosité, leur géométrie, leur douceur ou leur rugosité. Si l’oeil est forcément mis à contribution, le toucher est lui suggérer. Sensuel.
Lumières et moment présent.
Le photographe sait aussi jouer avec la lumière, poser, immobile, appareil à la main, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement dans l’axe qu’il recherche, dans la continuité de l’oeil et du bras. Peut-être, des fois, doit-il être vif, et choper la balle au vent quand elle s’impose à lui. Dans ces photographies, nous n’avons aucune idée du temps qu’il a fallu à Martin D’Orgeval pour réunir toutes les caractéristiques qu’ils souhaitaient pour ses photos. Cela ne les rend que plus magiques.
Bien évidemment, cela peut paraître abstrait, irréaliste, mais il n’en est rien. La force des détails est si réaliste que nous en venons à toucher l’écran pour vérifier qu’il est toujours lisse, et non rugueux comme cet éclat de bois, ou comme ce grain de peinture affleurant de la carrosserie d’un véhicule mal repeint. D’ailleurs, la peinture délivre ici les secrets de sa matière, qu’elle soit liquide ou pulvérisée depuis une bombe. Les coulures sont des éclats de lumières, noir et blanc hyper texturé. Sensuel.
Couleurs chaudes et froides.
Noir et blanc, souvent. Surexposition d’une lumière qui fait ressortir les aspérités d’une porte ou de la pierre. Impression psychédélique d’une neige rouge, comme éclairée, de nuit, par les feux arrière d’une voiture, impression psychédélique aussi d’un iceberg jaune, dont on ne sait finalement s’il est de neige et de glace ou s’il s’agit là d’une éponge dans une baignoire. Magie d’une poésie d’un moment suspendu où l’imaginaire fait sa propre mise au point.
Chaque photographie est une histoire à elle seule. Inutile d’en dire beaucoup plus au final, il suffit de se laisser guider, de se laisser happer par ce qui ne s’explique pas toujours (et qui ne le devrait pas). Nous faisons confiance à nos sens, nous laissons dériver dans un instant hors de nous. À contempler les photos, nous en ressortons avec l’envie de nous pencher au plus près de ce qui nous entoure, pour en explorer ce que nous ne prenions plus la peine de regarder. Sensualité, encore et toujours.
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