[ROMAN] THIERRY GIRANDON, La corde ou la cagoule
Thierry Girandon, La corde ou la cagoule (Utopia Éditions)
La plume de Thierry Girandon, dont nous avions déjà pu chroniquer Amuse-Bec (chez Sans crispation Editions) et Quand fleurissaient les cow-boys (déjà chez Utopia Editions), virevolte, dans La corde ou la cagoule, entre poésie lunaire à la Boris Vian et critique sociale à la Ken Loach.
Un enlèvement foiré d’avance.
Jean et Maud se perdent dans leur histoire d’amour. Jean se perd dans son taf également. Il y fait la connaissance de Jérôme, plus paumé encore que lui. Ensemble, ils décident de kidnapper Marquette, PDG des supermarchés Marquette. Celui-ci est l’employeur de Maud, femme à tout faire du magnat et de sa famille dysfonctionnelle.
Avec l’aide d’Émile, le « père » de Jérôme, ils enlèvent l’industriel pour récolter une rançon qu’ils espèrent d’autant plus forte que le Président de la République doit assister à l’inauguration du nouvel hypermarché du groupe. Mais tout cela va foirer, lamentablement.
Extrait d’un dialogue entre Jérôme et Jean. Jérôme dit :
« – Je traficote, quoi. À un moment donné, je me suis dit, c’est la corde ou la cagoule. J’ai pas encore franchement enfilé la cagoule mais je m’éloigne quelque peu de la corde.
Sa main enserra son cou.
– Je vais te dire un truc Jérôme. J’ai également pensé à la cagoule. Ras-le-bol des boulots merdeux et mal payés. Ras-le-bol des boulots à durée très déterminée quand on ne l’est pas et des lettres de motivation quand on ne l’est plus du tout. »
Choisir entre la corde ou la cagoule.
Voici le terrible choix qui s’impose à nos doux rêveurs. Parce qu’ils font un boulot débilitant, qu’ils ne peuvent rêver à rien de plus beau que ce triste et banal quotidien partagé par les quelques 90% de la population, ils choisissent l’option cagoule, bandits romanesques aux convictions sociales fortes, notamment concernant la redistribution des richesses.
Tous deux dans des passes difficiles, voire totalement inextricable, kidnapper Marquette s’impose comme une idée brillante. Parce qu’ils sont à bout voyez-vous ? Alors, avec la beauté des loosers célestes, ils mettent sur pied un plan d’un amateurisme touchant, qui forcément s’avérera plein de failles.
Visionnaire ?
La corde ou la cagoule dresse le portrait de personnages hors du temps, tout en étant totalement en prise totale avec les mouvements sociaux de ces derniers mois (oui vous avez bien compris de quoi nous parlons). Pourtant, La corde ou la cagoule date de 2015, preuve que Thierry Girandon avait déjà bien humé l’air du temps à cette époque où la grogne était encore sourde. Bref, un peu à l’image d’auteurs comme Zola en son temps.
Nous n’oserions qualifier notre auteur du mois de visionnaire, de précurseur, mais comme tout auteur qui se mérite, il a l’art de saisir au vent ce petit quelque chose qui flotte dans l’air, de le tourner et le retourner dans tous les sens pour en capter l’essence, la substance. Bref, il dépeint le quotidien tristement normal de ces petites gens qu’il affectionne tant (Amuse-Bec était un recueil de nouvelles tissant des portraits à la fois noirs et poétiques de dingues et de paumés) avec un humour plein de tact et une poésie lunaire.
Satire ou constat.
Les personnages de La corde ou la cagoule sont tous fortement sympathiques, et nous font penser, dans une certaine mesure, à ceux dont le duo Délepine/ Kervern tissent les contours dans leurs films. Des personnages exubérants, fiers, à la marge de la réalité (donc complètement dans le vrai), pauvres (d’argent) mais riche (de cœur) quoi.
Les « grands » de La corde ou la cagoule sont, eux, fortement antipathiques, comme le fils Marquette, ce fils de jouissant d’une fortune qu’il n’a pas gagnée, ce Premier ministre vivant dans les calbutes en soie de son président (président qui, étrangement, aspire à une certaine normalité). Enfin, nous disons fortement antipathiques mais ce terme n’est pas juste car ils sont tout de même risibles, englués qu’ils sont dans leur mécanisme, eux aussi défaillants, comme ceux de nos 3 lascars.
Avec une finesse satirique, et avec une drôlerie n’appartenant qu’à lui, Thierry Girandon développe son histoire, sans jamais virer du côté obscur de la farce, notamment grâce à la poésie dont il disperse les pollens tout au long de son histoire et dont nous nous délectons tel un nectar de jouvence.
Pris au hasard (vraiment au hasard), en voici un extrait :
“Jean se perdrait dans d’ahurissantes trouées noires, guidé seulement par ce que, deci ou delà, clairait la lune de coup de craie : les antennes sur les toits, les chéneaux, une arrête, la ferronnerie des balustrades et des garde-fous ; plus bas, la rondeur d’un capot, d’une aile, une tache d’huile, et les grilles d’égouts qui étincelaient parfois à la manière ciselée d’une arme dans le poing d’un maniaque dissimulé par l’ombre. »
Souvent sublime, toujours subtile, la plume de Thierry Girandon rend merveilleux le quotidien tiédasse et blasé des laissés-pour-compte, comme pour leur redonner de la dignité. Ce qu’il réussit à merveille dans ce roman atypique, drôle, aérien et, cela va de soi, diablement efficace.