CHRISTOPHE HAVOT, Eliette.


Roman disponible chez L’Orpailleur.

Derrière des atours ne payant pas de mine, Eliette réussit à nous interroger, nous émouvoir, et à nous propulser dans un monde un peu à part, celui des petites gens de la campagne. À travers une énigme relativement brève, Christophe Havot, ici auteur (il dirige depuis plusieurs années la collection L’Orpailleur), étonne par la fluidité de sa plume et par son parti pris audacieux, n’étant pas sans nous rappeler l’auteur américain David Foster Wallace.

De retour au pays où il investit la maison de son grand-père fraichement disparu, un homme reprend pied et corps dans cet endroit où, jadis, il a vécu des moments qui habitent sa mémoire. Les souvenirs d’enfance, de promenades et de jeux divers, le rattachent en effet à cette terre, plus que l’attachement au « Vieux » qui vient de mourir. Sur une décision n’appartenant qu’à lui, il décide de rénover la maison et de s’installer ici. Il laisse derrière lui un passé obscur mais qu’il n’est pas difficile d’imaginer sombre pour vivre des jours dans la quiétude, loin de tout, des autres, de sa famille. Pourtant, il va se lier avec Eliette, une jeune voisine, dont le passé, lui aussi sombre, même si peu développé, juste esquissé, dont il tombe sous le charme discret.

Lynch chez les bouseux.

Dans une ambiance presque lynchienne (dans ce sens où l’intrigue semble nous échapper tout ou partie tant que nous n’avons pas toutes les clés), Christophe Havot étire le magnétisme de sa plume sur un peu moins de 150 pages. Avec un rythme totalement atypique, développant des phrases à rallonges faites d’incises et dont nous nous demandons parfois comment il parviendra à retomber sur ses pattes tant les digressions sont nombreuses, et savoureuses, lesquelles reflètent avec tact un esprit qui part un peu dans toutes les directions mais qui n’oublie jamais la finalité de sa pensée, il développe l’intrigue l’air de rien. C’est-à-dire que ce rythme, presque indolent, progresse inlassablement vers son dénouement en nous maintenant captif de cette narration fleuve à la fois précise et incisive (mais toujours habitée d’une légère mélancolie nostalgique, comme si les personnages n’habitaient pas véritablement leur vie, laissant celle-ci décider pour eux).

Il dépeint en creux la psychologie blessée des personnages principaux, mais également les couleurs des habitants de cette campagne, gens de peu qui vivent au gré des saisons, des « on-dit » également. Le tout imprègne le texte d’ue forme de détachement plein d’amour, et témoigne d’une réelle tendresse pour ce temps en dehors des villes et du stress qui l’entoure. On retrouve quelques d’inspirations classiques (on pense à Zola par exemple, ou Maupassant), mais également à un auteur comme David Foster Wallace (dans la forme d’écriture plus que dans le fond).

Atypique mais précieux.

Complétement atypique dans sa forme, ce roman s’avère captivant et diablement attachant. Si toutes les réponses ne nous sont pas offertes, notamment le dénouement, il attise notre imaginaire, nous permettant moult interprétations de vies dont la fragilité n’a d’égale que la force de survie.

Nous comprenons encore mieux pourquoi cette collection L’Orpailleur s’avère si précieuse pour nous. L’intelligence émotionnelle de Christophe Havot ne peut qu’accoucher (ou permettre à d’autres d’accoucher) d’oeuvres littéraires totalement à la marge des standards mercantiles mais à la richesse philosophique et humaine foudroyante. Son roman n’en est qu’une preuve supplémentaire.

Patrick Béguinel

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