SHOEFITI, CityT error
Premier album disponible chez Le cèpe records
Porté par le single, qui ouvre aussi l’album, American Girld, Shoefiti avait mis le feu à nos oreilles avec son post punk groovy et explosif. Mais quid de CityT error est sa faute de frappe aussi géniale que j’men foustiste ? Eh bien un joyeux mélange de maîtrise, d’inventivité et de lâcher prise au service d’un rock qui éclate les codes et les attentes.
Tout commence avec le fameux titre d’ouverture, aussi « disco » (enfin façon de parler) que furieux. Prenant le temps de nous conduire sur une fausse piste avant le déferlement de fureur en fin de titre, Shoefiti montre déjà un énorme talent de composition. Cela saute littéralement aux tympans, ce groupe a pigé ce petit mystère qui fait la différence, qui transforme l’inspiration en déflagration, qui relègue aux oubliettes la tiédeur d’un plagiat faussement éludé.
Car en effet, si les codes post punk sont de la fête, Shoefiti les envoie balader d’un coup de Doc Marteens en proposant sa vision personnelle de la chose, en osant quelques écarts de conduite les conduisant sur les sentiers détournés d’une pop inspirée. Et forcément, ça rassure et ça stimule.
Compositions explosives.
Tout commence donc avec des compositions explosives qui ne laissent pas transparaître à la première écoute toute leur magie. En effet, l’effet instantané des différents titres pourrait laisser croire à une facilité d’écriture, celle qui permet de pondre des hits à la chaine sans forcer. Évidemment, la vérité est tout autre puisqu’il est aisé de comprendre que tout cela n’est pas le fruit ni du hasard ni de capacités hors du commun (que les différents musiciens possèdent peut-être cela dit), mais bel et bien d’un travail rigoureux sur les architectures tout autant que sur le travail du son.
Car l’un des points forts du disque, c’est bien le son, à commencer par celui de la basse. Elle gronde, semble ronronner comme un tigre (sous le capot), paraissant presque comme un gros chaton mais qui vous déchiquète à la moindre incartade de sa patte aux extrémités griffues et tranchantes comme des sabres. Elle groove, fait rouler ses muscles de façon parfois presque subliminale, mais toujours saignante. Avec elle, la batterie appuie, renforce ou détourne les effets, comme pour mieux défébriliser les cœurs atrophiés à force de trop de mièvreries goth. On est, ici, dans un rock qui exprime une vérité profonde sans la noyer sous des tonnes d’effets de manche.
Présence concrète ou abstraite.
Les guitares sont dans un registre dans lesquelles nous les attendons plus, à savoir électriques, cinglantes, mais aussi parfois plus romantiques (et pop comme signalé plus haut). Elles n’hésitent jamais à se montrer aux avant-postes, sans non plus ramener la couverture à elles. Les effets sont réussis, ne sentent jamais le mauvais plat réchauffé, mais au contraire la tambouille toute fraiche. Pas de réverbérations dégoulinantes, ni d’échos masquant le manque de technique. Bref, du bon.
Reste la voix lead, et les autres, aux choeurs ou en scansion. Tout fonctionne du tonnerre, avec force, conviction, tendresse (So simple par exemple), avec fureur, avec des couilles, avec un cœur. Les choeurs sont au diapason, maintenant l’ensemble à un haut niveau d’exigence. Les effets de production leur donnent une assise parfois très concrète, comme si les voix nous parvenaient de l’extérieur du casque et qu’elles nous appelaient par-dessus la musique qui s’écoule dans nos esgourdes. Troublant parfois, mais toujours superbement réussi.
Parfois, elles s’éloignent un peu, mais jamais bien loin. La juste balance de la chose fait que cela tue d’emblée toute forme d’attente, car rien, dans ce disque, n’est systématique. Comprendre par là que l’originalité est au rendez-vous, sans formule toute faite, comme si les musiciens suivaient leurs envies à l’instant précis où ils les jouent. Cela donne une spontanéité très live au disque, quand bien même on imagine que les compositions ont été bossées jusqu’à la moelle.
A la vie à la mort !
En résulte une urgence, une véhémence, une énergie presque incontrôlable, parfois aussi insouciante, qui alterne titres plus posés avec de véritables coups de fouet (Cold Jacket avec sa minute vingt-cinq en est un parfait exemple). Là non plus, impossible de se reposer sur nos lauriers, tant la diversité est présente. Pris à rebrousse-poil, ou à contre pied, on s’adapte et on savoure, tout simplement, en se disant que cela fait du bien de contourner les longs fleuves tranquilles en choisissant les rapides tortueux et chaotiques du rock en pleine montée de sève.
L’électricité pleut, la colère froide aussi. Pourtant, le disque n’est pas pessimiste, à peine mélancolique sur certains titres. Il laisse même l’amour s’inviter sur quelques titres, principalement en deuxième moitié de disque, moins tourmentés. CityT error est plutôt comme un cri de rage, comme une envie de bousculer le monde trop propret pour y inséminer de belles mauvaises graines de rébellion. Celles-ci donnent d’ores et déjà un bel arbre au tronc tortueux mais aux racines profondément ancrées dans le sol.
Qu’importe si celui-ci est friable, ou meuble, ou dur comme du béton, Shoefiti reste debout, sans ciller, et nous amarre au sol avec sa musique lourde comme une chape de béton, mais légère de créativité et de ce sentiment qui nous fait nous dire qu’on restera jeune toute notre vie.
Décidément, ce groupe a tout pour plaire. Et fait partie des grands espoirs de demain. Assurément.
Patrick Béguinel