chronique roman, nouvelles, récit
GUY TORRENS, Le vertige du bourreau
disponible aux éditions Maïa.
Un bourreau franquiste ayant quitté l’Espagne après le règne du tyran. Un réfugié syrien qui trouve refuge chez un professeur d’histoire. Une détective privée. Un tueur à gages. Tels sont les principaux protagonistes de cette histoire se déroulant sur 2 continents, histoire de vengeance, de pouvoir, mais aussi d’âmes tourmentées qui cherchent désespérément une main à saisir qui leur permettrait de faire taire toutes leurs douleurs intimes. Avec Le vertige du bourreau, Guy Torrens nous offre l’un de ses plus beaux romans.
L’auteur nous a toujours habitués à distiller au fil de ses phrases une poésie intense, parfois punk, toujours connectée à l’environnement du livre en cours. Cette fois-ci, il la délaisse quelque peu, bien qu’elle ne disparaisse jamais totalement et qu’elle ressurgisse là où nous l’attendons le moins, pour s’attarder sur des psychologies cabossées, torturées, en quête d’une certaine forme de repos. L’écriture, habile, souvent relativement minimaliste, lui permet d’esquisser des portraits à l’os. Plutôt que de tenter de convaincre en mettant tout sur la table, sans que le lecteur ait besoin de se creuser les méninges ou de faire travailler son imaginaire, il met quelques points d’inflexion à notre portée afin de pénétrer dans la psychologie de ceux-ci, de manière réelle (car comme dans la vraie vie, on ne dit pas tout, tout de suite).
À nous de comprendre où l’auteur veut nous guider, ce qu’il veut nous dire. Ce procédé, déjà utilisé auparavant dans ses romans, est ici flagrant et utilisé avec maestria.
Des destins écartelés.
Qu’on aime ou pas certains de ces personnages, nous comprenons petit à petit qui ils sont, ce qu’ils ont traversé. En peu de mots, Guy Torrens réussit à aller au plus près de Walid, Alexandra, Diego etc. et fait que nous nous sentons très proches d’eux, comme s’ils étaient de chair et de sang et non de lettres et de papier. Les phrases décrivant les tourments de chacun, mais également les situations qui les ont conduit là où ils se trouvent, claquent comme des coups de fouet. Ici, les émotions s’expriment avec pudeur, avec cette délicatesse propre à ceux qui ont trop souffert, à ceux qui ont vécu les tempêtes et les trop rares accalmies
Plus que jamais, le propos est noir. La désespérance y est palpable, concrète et se développe au fur et à mesure de l’intrigue. Pourtant, la quête de vengeance, voire de rédemption pour certains (une rédemption concernant les horreurs qui leur ont été infligées) débouche sur une libération. Cette dernière n’ôte pas tous les maux, néanmoins elle laisse apparaître une lueur brillante, une porte de sortie vers un avenir meilleur. Mais pour y parvenir, il faudra aux différents protagonistes affronter ce que l’âme humaine possède de plus vile en elle.
Horreur tristement banale.
Qui plus est, Guy Torrens aborde des thèmes très actuels, allant des traversées méditerranéennes souvent désastreuses à la traque d’anciens criminels de guerre, toujours avec cette humanité et finesse le caractérisant. Son regard, lucide sur les situations de chacun de ses personnages, ne grossit jamais le trait, ni ne le fantasme trop. Nous sommes ainsi projetés dans une réalité qui pourrait tout à fait être crédible dans ses développements. Cette véracité ne fait qu’amplifier le plaisir de lecture et l’envie de connaître le fin mot de l’histoire.
Sur fond d’enquête, c’est finalement l’humain qui nous est décrit. Cet humain, quel qu’il soit en réalité, est arrivé à ce point de sa vie par les accidents qui l’y ont conduit. En est-il pour autant pardonnable ? En est-il pour autant conscient ? Qu’est-ce qui fait de nous la personne que nous sommes ? Qu’est-ce qui guide nos actes, dirige nos pensées ? Ces questions surviennent tout au long du roman, nous forçant ainsi à l’auto-analyse de nos propres existences. Sans aller jusqu’aux extrêmes évoqués dans le livre (torture et nécrophilie, meurtre), nous avons tous nos parts d’ombre qui trouvent ici un écho, mais aussi une forme d’échappatoire.
Toujours punk.
L’essence même de l’écriture de Guy Torrens est ici magnifiée par l’ascèse qu’il y met. Il va au cœur des choses, tout en maintenant cette exigence qui consiste à ne jamais nous prendre pour des idiots en déroulant sur un plateau d’argent les tenants et aboutissants de cette histoire. Il nous laisse donc tirer nos propres conclusions.
Avec un sens du rythme et du tempo, en nous laissant parfois avec nos interrogations, Guy Torrens parvient avec Le vertige du bourreau à nous plonger dans l’indicible, sans jamais nous perdre en chemin, et surtout sans jamais être racoleur. En évitant tout pathos, il réussit un beau pari, celui de mettre à nu ses personnages et leurs histoires. Après Les Saisons de l’après, son meilleur roman, à coup sûr.
La Quatrième de couverture :
Un bourreau franquiste a fui l’Espagne à la mort du dictateur et s’est installé en Argentine, où il a prospéré. Il lui manque une seule chose, le carnet où il notait ses exécutés, volé dans sa fuite. Ce carnet représente sa jeunesse. Il mandate une détective privée qui lui est redevable pour tenter de le retrouver. Il envoie son homme de main pour surveiller la recherche, mais toute la mécanique bien huilée qu’il avait imaginée se dérègle
Patrick Béguinel
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