LAURA VEIRS, Found light (Bella Union)
12é album lumineux.
La discographie de Laura Veirs propose toujours son lot de surprises. Ce Found Light en fait partie. Nous n’allons pas prétendre connaître toute sa production, qui commence à devenir longue comme le bras, nous ne connaissions que 4 de ses albums avant celui-ci ( à savoir The Triumph And Travails Of Orphan Mae, Carbon Glacier, Years Of Meteors et The Lookout). Chacun possédait ses points forts, certains points moins forts également, mais restait une découverte stimulante (à l’exception d’une mauvaise surprise). Quoi qu’il en soit, ce nouvel exercice s’avère une pure réussite, relativement inattendue.
Le dernier album que nous avions découvert de cette artiste américaine était le décevant The Lookout. Décevant car manquant d’une réelle direction, ou plutôt manquant de cette petite étincelle que nous lui connaissions précédemment. Pas étonnant car l’artiste vivait des moments compliqués dans sa vie personnelle, laquelle était à l’époque inextricablement liée à sa vie artistique puisqu’elle composait avec son compagnon.
Depuis elle a divorcé. Cela a eu son lot de conséquences, parmi lesquelles le doute et la peur de ne pas parvenir à écrire un nouvel album. Pourtant, elle reprend peu à peu son travail, dégagée d’un poids, ou plutôt guidée par un instinct profondément ancré en elle, instinct qu’elle avait peut-être fini par oublier elle-même. En résulte un disque lumineux, inspiré, et plein de belles surprises.
Le même crédo.
Laura Veirs ne révolutionne pas fondamentalement sa musique. En effet, elle poursuit son exploration d’une pop fortement teintée de folk, de country, mais avec, toujours, une petite part d’exploration plus moderne (quelques touches électroniques sont en effet présentes sur le disque, sans compter un gros travail d’arrangements, de superpositions de voix et/ou instrument, ainsi qu’un gros boulot sur les tessitures sonores). Donnant une place importante aux mots, la singer songwriteuse en délivre une tout aussi importante aux mélodies, tant vocales qu’instrumentales.
Dès l’entame du disque, ces mélodies nous habitent. Elles nous offrent même un cocon réconfortant dans lequel il fait bon se glisser. Ici, pas de heurts. Une batterie très limitée sur le disque donne l’impression d’un disque semblable à une rivière suivant tranquillement son chemin, évitant les obstacles comme on danse. Tout ressemble à s’y méprendre à un ballet, où les émotions négatives seraient lentement dispersées par une lumière douce.
Chercher la lumière…
Celle-ci, on aurait pu le croire, ne gagne cependant pas en intensité, mais en chaleur et avec un sentiment de confort. Jamais ronronnant, au contraire sans cesse en mouvement, l’album repousse les zones d’ombre, comme pour mieux permettre à son autrice d’avancer en sérénité. Pour nous auditeurs, le plaisir est de se laisser guider, sans rien attendre de particulier. Et c’est là où la beauté nait. Car sans a priori, Laura Veirs se renouvelle, modifie imperceptiblement ses codes pour nous entrainer dans une musique dont l’âme semble régénérée.
Des images naissent, plutôt contemplatives, orientées vers une forme d’introspection tout sauf nombriliste puisqu’elle s’adresse à nos propres vécus qui y trouvent alors un écho leur permettant de s’affranchir des douleurs passées.
Se souvenir de soi.
Il n’est pas impossible que le divorce de la musicienne l’ait plongé dans une profonde quête d’elle-même. C’est le cas pour quiconque, pourquoi serait-elle différente ? Effectivement, comme tous ceux ayant vécu une séparation, qu’elle soit douloureuse ou non, un temps de reconstruction est nécessaire, un temps pour se dire que ce que nous pensions impossible à réaliser doit finalement pouvoir l’être avec un peu d’exercice. Ainsi, elle a avancé, a pris des risques, a retrouvé des automatismes oubliés, sinon rouillés, et s’est remise en route. Gagnant en confiance, elle a creusé ses idées, ses mots, les a posés sur une feuille, et, comme par magie, la vie a repris ses droits.
Mais plus que la vie, c’est sa musique qui a retrouvé un souffle. Une forme d’innocence, de fraîcheur qui se traduit ici par un espace de possibles à conquérir. Alors, forte de sa nouvelle condition, elle investit l’espace, avec sa guitare, sa voix, et un ensemble d’instruments dégageant une sensation de zénitude.
… et la (re)trouver
Reposant sur les arpèges, sa musique semble être jouée à la harpe, ce qui dégage une force apaisante, propice à l’évasion des sens. Des images de Japon naissent ici où là, par des inventives parties de piano par exemple. Certains titres de l’album sont d’ailleurs des références, directes ou indirectes, au pays du soleil levant, comme Seaside Haiku ou Komorebi, ce qui semble conforter notre idée.
Malgré cet aspect apaisé, jamais Laura Veirs ne tombe dans le délire zen. D’une part, elle réinjecte, quand il le faut une touche d’électricité (sur le même Seaside Haiku par exemple). D’autre part, sa voix exprime, par ses tonalités, son vécu duquel une pointe de douleur n’est pas totalement absente. Rien de mélancolique ou triste cependant, plutôt une lucidité sur le chemin déjà parcouru de la reconstruction, et sur celui qui lui reste à parcourir.
Un album qui porte bien son nom.
Found light porte donc son nom à merveille. Retrouver la lumière après une tempête intime, entrevoir le bout du tunnel, savoir que tout continu, certes différemment, mais peut-être pour le meilleur (certainement pour le meilleur dans le cas présent), voilà ce qu’a cherché à exprimer la musicienne.
Elle touche une forme de perfection, une sphère d’expression où il fait bon se perdre, en faisant confiance à ce que notre âme n’oublie jamais réellement. Ce dernier disque de l’américaine est donc une véritable expérience de vie, un second souffle qui, espérons-le, trouvera d’autres résonances dans les douze albums à venir. Pour nous, Laura Veirs fait assurément des grandes dames de la musique, il serait dommage de passer à côté de son œuvre.
LE titre de Found Light.
Le titre le plus surprenant, à la frontière de l’expérimentation, est le formidable Eucalyptus. Sur une rythmique électronique paraissant bancale, Laura Veirs pose un texte et une musique qui ouvre les perceptions, touche à quelque chose d’animal en nous, de primal. Proche d’un titre électro tribal, le morceau dépareille dans cet album, tout en étant l’une des pièces fondatrices par son caractère presque métaphysique.
Patrick Béguinel