Fátima – Fossil ( MusikÖ Eye 10 Mai 2022).

Fátima fossilsLe doom n’est pas que lourdeur.

Quand on évoque le Doom, on pense souvent à une musique massive, sans reliefs, d’une pesanteur écrasante, mais en creusant dans les sédiments accumulés dans le temps, on peut aisément se référer dans un furtif flashback aux pionniers tels que Pentagram dont les premières compositions exhumées des archives préfiguraient de nouvelles perspectives musicales autres que les sempiternelles références à Black Sabbath. Fátima , avec Fossil, nous prouve que le doom n’est pas que lourdeur.

Une hybridation des genres.

Dès leur premier disque Moaner, le trio se lance dans une hybridation musicale ouvrant de nouveaux horizons, un point de fuite où se dessine un climax d’une étrangeté notoire. L’ADN de Fátima s’inspire du grunge avec l’adjonction de sonorités orientales. Certes ces références sont souvent évoquées mais ce serait une erreur d’en faire un simple raccourci et d’en juger les influences à l’emporte-pièce.

On découvre une musique en dehors des conventions. L’œuvre en question ici est singulière, comme une curiosité détachée de sa propre trajectoire. La production ne subit pas l’obédience d’un quelconque revival, elle en est presque préhistorique, une matière brute, collante et délicieusement addictive.
Que ce soit du premier titre « Moaner » au final  » Charioteer« , on a cette sensation d’être plongé dans le chaudron d’une sorcière : la fuzz bave et déborde telle une écume verdâtre pour se répandre dans chaque recoin, la basse vrombit et remonte à la surface formant des bulles visqueuses. Et que dire de cette batterie non académique, percussive, hypnotique ?

Chaque société a les monstres qu’elle réclame

Le graphisme est une des particularités de Fátima, une parade mêlant dinosaures et autres reptiles, en référence aux films d’horreur de la Hammer, aux symboles religieux. Une tératologie en parallèle à la nature hideuse de l’humain. Turkish Delights en est l’illustration. Paru en 2020, il fait la jonction entre deux dimensions familières du réel tout en étant antagoniste, un ailleurs ontologique.

Une des originalités de ce deuxième long format, est ce syncrétisme qui, depuis les confins de ses tonalités, nous invite à rester attentifs à ce que le groupe veut nous transmettre. Les prétentions commerciales sont ainsi remises en arrière-plan. Que ce soit l’introductif Charly Chang ou Concubines of Salem, l’album est en tout point intrigant, mais pardonnez mes propos dithyrambiques, les 8 titres se dégustent comme de petites friandises acidulées, avec à l’appui ce son cradingue, nous enfonçant un peu plus profondément dans les marais lysergiques. Combustion générale et jouissance abrupte.

Fátima

Une cartographie ontologique

Nouvelle pierre à l’édifice, Fossil monte encore d’un cran et constitue la pièce maîtresse de Fátima. Jamais rectiligne, le groupe vaporise ses cadences claudicantes, avec ses riffs pachydermiques. En s’éloignant légèrement des précédents albums, le trio nous offre une version plus personnelle. Des arabesques sonores brèves et délicates avec cet état de suspension caractéristique qui flotte tout au long de l’album. Car plus qu’aspirant à avoir une vision panoramique, le groupe semble déterminé à se consacrer avec un soin particulier à chaque détail, avec l’adjonction du saz sur King of Rat ou we the wizard joué en quart de ton, renforçant cette sensation hypnotique.

Antoine et ses deux compères signent un disque torturé, avec cette tension palpable, capable de propulser l’âme dans les hautes sphères et de la plonger ensuite dans les limbes, engluée dans une matière brûlante, visqueuse à l’image de l’atmosphère hantée dont le groupe a créé les codes. Fátima est d’ores et déjà une exception dans le paysage musical.

La version vinyle de Fossil paraîtra en septembre 2022. En attendant, procurez-vous d’urgence la discographie de Fátima.

Site du label https://www.musiko-eye.fr/etiquette-produit/fatima/
Bandcamp : https://fatima-doom.bandcamp.com/

Franck irle

Elevé dès mon enfance aux vinyles, initié au piano et à la guitare, première révélation avec les Beatles à l’âge de 8 ans issue de la discographie de ma mère. Autre révélation avec Jack Kerouac, et la beat generation durant mon adolescence. Je me suis décidé à écrire des chroniques sur un blog dédié à la musique Francophone souterraine ( Jean Le Fennec, Wertheimer, Alain Kan…) et depuis ? Je dévore les disques au quotidien, participe avec WhatTheFest en tant que bénévole pour des concerts sur Montpellier ( Lingua Ignota, Anna Von Hausswolff). Ci-joint une photo polaroid un peu floue ! Je compose aussi et travaille sur un projet solo, Zero Circle : https://zerocircle.bandcamp.com/

Lire une autre crhonique de Franck ici

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