STÉPHANIE POMMERET Quand éthique rime avec poétique
Alors que la COP 24 vient de se terminer sur un constat d’échec et qu’une pétition regroupe actuellement un million six cent mille signatures pour assigner l’état en justice pour non-implication dans le combat écologique, une artiste plasticienne nous propose, à travers le recyclage et l’économie de matières, de redessiner le monde à de plus justes proportions. Stéphanie Pommeret répond à notre interview avant de s’envoler pour l’Inde, dans quelques jours, pour une résidence d’artistes.
Litzic : Peux-tu expliquer en quoi consiste ta démarche artistique et comment est-elle apparue ?
Stéphanie Pommeret : Les cartes sont d’abord liées à mon enfance, elles me permettaient des voyages immobiles, elles sont devenues le sujet central dans mon travail depuis quelques années.
Avec ces cartes, je souhaite prendre du recul et montrer nos différents rapports à la planète, amener à la réflexion sur des questionnements environnementaux, politiques, sociétaux, etc.
Je cherche à créer de nouvelles cartes du monde, soit seule, soit en laissant les autres faire à leur manière, ou encore en collaborant, par exemple avec des artisans dont le savoir-faire est un langage poétique à mes yeux. Le geste, l’action, c’est déjà la finalité de l’œuvre.
J’ai pu collaborer avec des jeunes de Gaza, par l’intermédiaire de l’association Amani, centre d’aide psychologique pour les enfants. Grâce à une amie pédopsychiatre, Jeanne Dinomais, qui a créé le centre avec Nabila Kilani de Gaza, une nouvelle carte a été créée par les jeunes de Bait Lahiya (un quartier de la ville) faites de fleurs, de reste de balles, de gravats, etc. J’ai voulu qu’une grande partie de la création de cette œuvre m’échappe en les laissant libre dans le choix des matériaux et ce qu’ils représentaient pour eux, engendrant de l’imprévisibilité.
L : Tu utilises des éléments recyclés dans tes œuvres démontrant que ta démarche et l’écologie fonctionnent ensemble : était-ce une évidence pour toi ?
Stéphanie Pommeret : Oui, mes premières cartes étaient en plastique d’emballage récupéré dans nos poubelles, j’en avais fait une de la même manière qu’un patchwork, au lieu d’utiliser la matière coton, j’utilisais du plastique.
Restituant mon travail dans le contexte des pionnières américaines qui, par souci d’économie, rapiéçaient à cause de la rareté du tissu. J’allie une technique qui existait au XIXe siècle pour réutiliser la matière rare qu’était le coton aux matériaux que l’on a en profusion dans notre société de consommation.
L : Pourquoi ?
Stéphanie Pommeret : Enfant, j’ai été touchée par l’ampleur du naufrage de l’Amoco Cadiz (1978), en foulant les rochers encore noirs sur les côtes bretonnes, 10 ans plus tard. Ce pétrolier supertanker libérien s’est échoué un jour de tempête provoquant la pollution des côtes sur plus de 150 km, notamment à Portsall (Finistère).
Dans l’intimité de nos maisons, nous nous empoisonnons, c’est invisible, microscopique, le plastique nous l’ingérons à notre insu. D’ailleurs cette folie du plastique forme un sixième continent de la taille de l’État du Texas.
L : Tu as souvent représenté le monde selon la projection de Peters. Pourquoi cette (double) symbolique est-elle importante pour toi ?
Stéphanie Pommeret : Une carte est le produit d’une projection de la terre sur une surface plane. Évidemment, la tâche n’est pas aisée et elle subit des déformations. Il existe une grande quantité de projections, changeant les perspectives du monde.
En 1569, le géographe Gerardus Mercator, a créé une projection qui sert de base pour la plupart des planisphères depuis quatre siècles. C’est cette représentation que nous connaissons et trouvons d’ailleurs en 1er résultat dans une recherche Google. Cette projection est idéale pour tracer des itinéraires aériens et maritimes. En revanche elle ne respecte pas les surfaces.
Sur cette projection, l’hémisphère nord de la planète est surdimensionné, alors que le Sud, lui, est sous-dimensionné. Le géographe et historien Arno Peters (1916-2002), et avant lui le pasteur James Gall (1808-1895), vont créer la projection de Peters qui prend en compte les proportions réelles des continents, mais déforme les contours. C’est cette carte, aux propriétés égalitaires en surface, que j’ai choisi d’utiliser la plupart du temps, car elle est peu familière, et ne correspond pas à l’image donnée par le point de vue dominant du Nord.
L : Quels sont tes projets en cours ?
Stéphanie Pommeret : Je prépare mon départ pour l’Inde en janvier, où je ferai une résidence avec l’Alliance Française de Lucknow et l’Institut Français de New Delhi.
Madhavi Kruckeja, directrice de l’association Sanatkada m’invite à participer à un festival sur la culture indienne dans lequel je travaillerai avec les artisans locaux, en particulier avec les femmes qui sont au cœur du projet pour leur promotion et leur émancipation, tout cela autour de techniques traditionnelles telles que le chikan, le point d’ombre, etc.
L : ceux à venir?
Stéphanie Pommeret : Je vais retourner au Maroc, à Fès, cette fois dans le but de poursuivre le travail engagé à l’Institut Français de Tétouan, au mois de Juillet, à la Villa Dar Batha.
Travailler avec les artisans qui perpétuent un savoir-faire issu de traditions millénaires nourrit et inspire mon travail.
Ainsi, ce travail permettra de raconter des récits singuliers qui, matérialisés par des objets, et n’étant pas des mots, laisseront à chacun la possibilité de s’approprier ces œuvres. Par ces récits que je veux paraboliques, je souhaite susciter des questions, faire ressentir des émotions.
L : Que peut-on te souhaiter pour les mois à venir ?
Stéphanie Pommeret : Peut-être participer à BIENALSUR 2019, la biennale Internationale d’Art Contemporain d’Amérique du Sud, à laquelle je suis pré-sélectionnée.
Mais surtout continuer à faire de belles rencontres, évoluer dans ma démarche et continuer ce travail qui me passionn.
Autre artiste plasticien Emmanuel Pajot