JÉRÉMIE FERREIRA-MARTINS, Rédemption
Roman auto-édité
La vie est une garce. C’est elle qui décide, pas vous. En d’autres termes, quand c’est l’heure, c’est l’heure, et ça, vous n’avez aucun pouvoir dessus. Alban en fait l’amère constatation, lui qui, depuis de longues semaines déjà, patiente dans un lit d’hôpital, attendant que le cancer se fasse la malle (ou qu’il y succombe). Mais quand un spectre lui apparaît, lui fournissant un répit dans ses douleurs s’il accepte que « bien ssoit rendu ! », il se dit que peut-être la chance enfin lui sourit. Rédemption, de Jérémie Ferreira-Martins possède un titre qui parle de lui-même, mais qui traite aussi de la mort, de la maladie, de l’altruisme, en bien ou en mal.
Alban est jeune. Il est amoureux. Surtout, il est gravement malade. Le crabe lui bouffe les intestins. C’est injuste, il a à peine plus de 20 ans. On croit avoir la vie devant soi, on a des rêves plein la tête, et pourtant, ce qu’on a devant les yeux, ce sont les murs blancs d’une chambre d’hôpital que nous sommes souvent trop faibles pour pouvoir quitter. La première fois qu’une entité fantomatique surgit, un mardi soir, Alban est terrifié. Puis, lors de la seconde visite, il s’accoutume. Il vient de faire la connaissance de Chris, un spectre avec qui il découvre posséder un lien très particulier, presque pervers.
Fantastique.
Le fantastique possède de nombreuses vertus. Parmi celles-ci de raconter des histoires bien plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Les fantômes sont des mythes qui, le plus souvent, représentent des âmes en peine, errent entre le domaine des cieux et celui des entrailles de la terre. Chris n’y fait pas figure d’exception. Il revient d’entre les morts pour tenter d’apaiser son âme et ainsi regagner l’un ou l’autre, le paradis ou l’enfer. Même si ces endroits ne sont pas cités, Jérémie Ferreira-Martins s’appuyant simplement sur des principes mythologiques plutôt que théologiques, nous comprenons vite, comme Alban, que le fameux Chris a des choses à se faire pardonner.
Un peu à la manière d’un policier, Alban, au fil des pages que nous tournons, va dénouer les fils de la vie de Chris et comprendre, avec sidération, que leurs vies, bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés, sont (ou étaient, vu que l’un des deux protagonistes a déjà passé l’arme à gauche) inextricablement liées. Quels seront les choix du jeune homme pour apaiser les souffrances liées au cancer ? Quelles en seront les conséquences ?
Un délire médicamenteux.
Nous dévorons littéralement le livre. Sans doute parce que plusieurs éléments forts nous mettent les sens en ébullition. Le fantastique, en toute fin de livre, peut nous sembler comme étant en fait le fruit d’un délire médicamenteux, d’un homme affaibli par les traitements visant à anéantir la maladie. En ayant pour socle cet ancrage très réaliste, Jérémie Ferreira-Martins déjoue les codes de l’imaginaire pur pour l’introduire dans une dimension plus terre à terre. Certes, durant tout le livre nous sommes plongés dans un imaginaire concret, en présence d’un spectre aux motivations inconnues, jouant presque d’une forme de manipulation égoïste pour parvenir à quitter les limbes.
Paradoxalement, quand Alban fait des choix d’altruisme pur, ce spectre parvient à amoindrir les douleurs du malade, même s’il ne lui propose jamais la guérison. Il lui permet de faire le bien, comme si le personnage principal devait également obtenir le pardon. Or, ce jeu de dupes nous trouble car, que nous le voulions ou pas, nous nous identifions à ce personnage malade, dont on pressent qu’aucun traitement ne parviendra à le sauver. Condamné, que pourrait-il faire pour rendre le bien alors que lui-même va si mal dans sa chair ? Que gagne-t-il à permettre au spectre d’alléger le fardeau de son âme ?
Immersion immédiate.
La force de l’auteur est ici de nous faire pénétrer dans son univers de façon immédiate, sans que nous puissions ressortir du livre avant la dernière ligne. L’écriture est simple, directe, ne décrit que peu les choses dans un premier temps pour les développer, par touches successives, au fur et à mesure de la lecture. Les histoires de vie, la psychologie des personnages, Alban et Chris, grandissent et s’épaississent petit à petit, maintenant notre curiosité en éveil. Comme un livre de suspense, Rédemption nous tient en haleine.
Il nous fait aussi nous poser pas mal de questions. Parmi la première, celle-ci ; le cancer d’Alban n’est-il pas le fruit de l’événement traumatisant que lui et sa famille ont vécu ? La dernière sera celle-ci : doit-il s’en vouloir de son ultime choix et, par voie de conséquence, devra-t-il, lors d’un hypothétique jugement dernier, obtenir lui-même le pardon ?
Entre ces deux questions, se posent celles de l’altruisme/égoïsme, de la force de vie, de l’espoir, de la sagesse, de la douleur (physique ou spirituelle, morale), de comment continuer à vivre alors que la vie, justement, semble s’échapper de nous ? Et puis, peut-être aussi se pose la question du poids de nos décisions, plus encore de celui de nos actes.
Prenant.
Forcément, le livre, avec son rythme semblable à la vie, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, sans temps morts, nous brinqueballe, d’un bout à l’autre du spectre émotionnel. Nous avouons trouver la fin particulièrement retorse, dans le sens où… Non, nous ne vous en dirons pas plus, il vous faudra le découvrir par vous-même.
Ce roman, œuvre de divertissement mais également d’introspection, se dévore littéralement et pose les fondations des œuvres à venir et dont nous publierons les chroniques dans les jours à venir.
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