ROZI PLAIN, Prize

Prize rozi plain Déjà disponible chez Memphis industry/Bertus

Il y a, dans Prize, cinquième album de Rozi Plain, deux disques en un. Les deux s’articulent et coulissent parfaitement l’un dans l’autre, comme deux pièces indispensables aux rouages créatifs de la britannique. Avec une grâce qui n’appartient qu’à elle, Rozi Plain propose une lecture intimiste et un peu folle de sa vision musicale.

Sage.

Il y a d’un côté un disque pop folk sage. Avec sa base guitare basse batterie, la chanteuse autrice compositrice se livre avec pudeur. Il y a de la chaleur, une ferveur qui se transmet à l’oreille par cette voix pleine de spontanéité et de sourires. Mais il y a aussi ce caractère plus personnel qui se devine, provenant par un choix de laisser nu certains éléments.

Au premier abord, il y a la voix qui n’est jamais trafiquée à outrance. Elle reste naturelle, claire, enjouée, parfois plus grave, mais ne sombre jamais dans une quelconque forme de mélancolie. Ensuite, c’est la basse et la batterie qui forment une paire rythmique pleine de vie, de sensualité et de groove. Osant parfois les arythmies discrètes, elle retombe toujours sur ses pieds et délivre une forme de puissance tranquille qui ne relâche jamais la tension, sans que celle-ci ne soit d’aucune manière oppressante.

Enfin, il y a ces guitares, ou plus exactement cette guitare, électrique, modèle créé par Rozi Plain elle-même. Elle délivre son lot d’arpèges un peu magiques, propulse la musique dans des contrées inédites, sans pour autant dégager un sentiment d’insécurité ou inquiétude. Un sentiment de plénitude et de zénitude plane en effet sur Prize, sentiment qui ne peut que transporter les oreilles lasses vers des terres accueillantes.

Exubérant.

Aux antipodes de cette base sobre et relativement classique (la formule couplet/refrain/pont n’est jamais très loin), la luxuriance et la diversité des arrangements ne manque jamais de dérouter, d’étonner et, pour finir, de rallier les incrédules ou les méfiants à la beauté du disque de Rozi Plain.

Outre des cordes, des synthés et divers apports électroniques, c’est le caractère indomptable des différents effets et arrangements qui détone dans l’univers souvent trop poli de la pop musique. Ici, apports jazz, désynchronisation, effets titubants, parfois hors rythme, renforcent les côtés plus sages du disque. Mais inversement, ces derniers peuvent aussi nourrir le caractère instable des arrangements en leur fournissant une base propice à l’expérimentation tous azimuts.

L’effet produit est souvent surprenant. Le son, jamais linéaire, s’avère parfois explosif, parfois en sourdine, et est sans cesse nourrie par ces facéties qui ne doivent rien au hasard. Parfois, l’impression d’assister à l’effondrement d’un château de cartes se fait ressentir. Pourtant, celui-ci, comme dans un montage vidéo qui repasserait tout en marche arrière semble se reconstruire par lui-même comme par magie. Ainsi, une boucle se forme, une sphère représentant l’univers sonore de la musicienne dans tout ce qu’il possède de plus doux et de concret/complet.

Un art de la composition sur le fil.

Ainsi, ce disque collaboratif (de nombreux musiciens se sont joints à Rozi Plain lors de l’enregistrement de Prize, dont Kate Stables, aux paroles sur Agreeing for two, Amaury Ranger à la basse et Jamie Whitby Coles qui effectue un travail remarquable sur les rythmiques et la production, avec Rozi Plain, pour ne citer qu’eux) s’avère extrêmement homogène et solide, quant bien même ses expérimentations auraient pu détourner l’attention de sa vérité première.

Pas loin d’être un chef-d’oeuvre, ce cinquième long format de Rozi Plain est une pleine réussite, assurément un disque aventureux, proposé par une musicienne hors normes, pas aussi sage qu’il y paraît, mais toujours d’une pertinence rare. Prize reste une œuvre unique, un moment passé hors du temps, donc, forcément, indémodable, comme tout grand disque se respectant.

Patrick Béguinel

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