chronique roman, nouvelles, récit
VICTORIA MAS, Un miracle
Deuxième roman paru chez Albin Michel
Entre Roscoff et l’île de Batz, un jeune garçon est sujet à des visions. La vie des habitants se trouve ainsi bouleversée. Un miracle a lieu et, croyants, ou non, se trouvent confrontés à une manifestation d’ordre divin les dépassant. Gris comme un ciel d’hiver breton, ce roman de Victoria Mas nous questionne sur notre rapport à la foi, à l’invisible, mais aussi à ce que l’humain renferme de plus sombre en lui.
La Bretagne est une région restée très longtemps croyante. Cette empreinte spirituelle, qui était déjà au centre du roman Elven de Jérémie Ferreira-Martins, se trouve exacerbée lorsque la sainte Vierge apparaît à un adolescent orphelin de mère. Ce miracle éprouvera nombre de personnages qui y verront soit une injustice, soit une hérésie, soit véritablement un miracle. Et ce ne sont pas forcément les personnes les plus pieuses qui s’avèrent au final les plus ravies par la tournure des événements.
Une plume trempée dans le granit.
Victoria Mas, déjà autrice d’un premier roman remarqué, Le bal des folles, nous conduit donc sur la côte du nord Finistère, pays battu par le vent et la pluie, pour nous conter cette apparition divine. Pour ce faire, elle nous intrigue par son écriture aux descriptions teintées de poésie, celle des éléments en sourdine (la mer, omniprésente et pourtant absente, dont on entend le roulis, le vent qui feule…), d’une nature sauvage, de couleurs délavées, d’habitants rincés par les accidents de la vie, tout est au diapason à la fois d’une région pas toujours facile à vivre et de ses habitants souvent taiseux.
Sa plume plante un décor massif, dont est absent toute forme de légèreté. Monolithique en un mot. Petit à petit, elle insère dans son histoire quelques psychologies malmenées, non dénuée de tendresse, mais souvent enfermées dans leurs histoires tourmentées. Un père qui n’arrive pas à communiquer avec son fils depuis le décès de la femme/mère de ceux-ci. Une Soeur ayant subi la violence d’un homme, qui arrive à Roscoff car elle a interprété une prédiction qu’elle prenait pour elle. Une famille croyante au père que l’on perçoit comme tyrannique. Rien n’est laissé au hasard pour nous confiner dans un univers restreint, dans une sorte de huis clos entre terre et mer (et ciel, forcément).
Sans espoir ?
Il est difficile d’entrer dans le roman. L’autrice ne fait rien pour le rendre accueillant. Seul élément auquel nous nous rattachons, c’est la précision de la plume et du rythme qu’elle distille au fur et à mesure des pages que l’on tourne. Nous y retrouvons la mentalité d’une région que nous aimons tant, sa rudesse, ses beautés, mais aussi son passif religieux omniprésent. Le poids de celui-ci s’avère écrasant et peu enclin à ouvrir grand les bras pour accueillir ses ouailles. Petit à petit, comme la tempête qui s’annonce, nous sentons un glissement, imperceptible d’abord, puis qui accélère brutalement. Un drame aura lieu. Qui ? Quoi ? Comment ? L’art de Victoria Mas réside dans le fait de ne rien dévoiler à haute voix, gardant son dénouement pour les dernières pages.
Elle nous interroge ainsi sur le pouvoir de la communication entre les hommes. Ce point qui peut tout apaiser fait ici cruellement défaut. La parole, souvent tue entre membre d’une même famille, l’est aussi entre habitants d’une même île. Les relations se trouvent ici distantes, rudes, chacun pour soi semblant être le maitre-mot des relations. Le poids des superstitions est lui aussi écrasant. Devons-nous croire celui « qui voit » alors que nous y sommes aveugles ? Prier veut-il dire croire ? Les blessures passées peuvent-elles trouver une issue dans la solitude et le silence ? Évidemment, l’avis de l’autrice se lit à demi-mot, mais elle a la bonne idée de n’imposer aucune morale, pas plus qu’elle n’incite à se réfugier dans une quelconque forme de spiritualité.
Un livre que l’on tient à distance.
Avec Un miracle, Victoria Mas nous offre un livre abrupte, cruel, sombre, mais dont ressort néanmoins une légère nuance d’espoir. En déjouant les codes, elle impose un style puissant mais qui avance sur la pointe des pieds, comme pour mieux habiter nos os. Résultat, nous voulons garder ce livre à distance, pour ne pas qu’il nous pervertisse, pour ne pas qu’il contrebalance nous croyances, ou qu’au contraire il les attise.
Son portrait d’une population est taillé au plus proche d’une réalité. Nous sentons son amour pour une région mais également pour ses personnages, qui fait que toute humanité n’est pas absente de cette histoire un peu folle d’apparition divine. Si le livre n’est pas accueillant, il reste cependant fortement ancré en nous et nous appelle à relativiser toute forme de discours exaltés. Et quelque part, il pointe du doigt les errances de toute forme de fanatisme. Seule l’innocence, ici, se trouve massacrée. Et cette violence ne cesse de nous interroger. Sans doute parce qu’elle ressemble à s’y méprendre à la vraie vie.
Patrick Béguinel