chronique roman, nouvelles, récit
PITCHAYA SUDBANTHAD, Bangkok déluge (éd.Rivages)
Photographies généalogiques.
Voyage en Asie, dans la ville de Bangkok, Krungthep, où nous faisons connaissance avec l’histoire. Cette histoire, elle se recoupe par un jeu de personnages qui, âmes en voyage, en perdition, en quête d’eux-mêmes sont relié par un fil ténu, celui de la ville, celui de la pluie, celui d’une généalogie familiale ou amicale. Ce premier roman de Pitchaya Sudbanthad, paru il y a quelques moirs aux éditions Rivages nous ballotte au gré de courants intimes.
Un peu comme le personnage de Sammy, photographe déraciné, pourrait le faire, nous découvrons cette ville comme une série de clichés pris à différentes époques. Sans continuité narrative chronologique, passé et futur se croisent, se mêlent et se démêlent pour livrer un porte folio de personnalité ayant pour toile de fond cette ville que nous découvrons d’un œil innocent.
Violence.
Il y a de la violence dans Bangkok Déluge. Violence d’une épidémie de choléra, violence d’une répression armée survenue dans les années 1970 qui tirait à balles réelles sur des étudiants, violence des relations familiale distendue, parfois par lâcheté, violence enfin de la montée des eaux à l’heure du réchauffement climatique.
Imperturbable règne la ville, qui mute, croît, se noie, revit. La plume de l’auteur ne la place pas toujours au centre des attentions, ne procède pas à une description pure et dure de ses ruelles. Mais elle est pourtant ultra présente, que ses personnages se trouvent aux États-Unis, en Angleterre ou au Japon. Dans leur cœur, dans leur racine, la ville, en hors-cadre, les hante, d’une manière ou d’une autre.
Par un parent, par une fuite, les liens du sang comme ceux de l’appartenance à un endroit sont visibles, ténus, font partie intégrante de tous. Ce monstre noyé sous des mètres cube d’eau reste présent, comme une ombre à la fois sinistre et rassurant. Il fait partie de leur âme, de leur sang.
Relations.
Les relations qui existent entre les différents protagonistes sont souvent distendus, comme dans certaines familles, surtout lorsque celles sont sont expatriées. Loin de leur pays, de leur ville, il la recherche, l’appelle de leur vœux. Quand ils y sont, ils ont à la fois envie de la quitter et envie de s’y cacher. Ce mélange attirance répulsion, quand bien même tout semble sur le point de s’écrouler, est vibrant de vie, de contrastes entre amour et haine.
Les photographies décrites par l’auteur sont des instantanée de vie. Nous n’en connaissons jamais ni les prémices ni les aboutissements. Cela nous frustre parfois, cette non linéarité, cette incompréhension de certains choix, mais cela nous habite également, bien plus longtemps que nous l’aurions cru ou espérer.
Par sa langue sinueuse, Pitchaya Sudbanthad parvient à s’insinuer dans les rouages de notre cerveau, à y faire son nid. Il nous attire au plus près de ces personnages, nous invite, avec peu d’effet, à nous introduire dans leur quotidien, dans leur intimité, avant de soudainement nous en exfiltrer de force. Là où nous espérions comprendre les pourquoi, il laisse des points de suspensions, rompt le fil temporel, nous propulse ailleurs.
Repères.
Dès lors, il nous déboussole, nous contraint à changer de pied d’appui, à retrouver un fil conducteur. Il sera toujours ce point d’ancrage mémoriel, celui de Bangkok, de sa nourriture, de ses coup d’état, de cette peur de tout perdre, de ce constat que rien n’est éternel, sauf la ville elle-même. Si l’eau détruit tout, elle lave aussi les peines, les doutes, les peurs, les chagrins, qui se retrouvent ainsi ancré dans les corps, les pensées inconscientes, la psycho généalogie.
Rien n’est véritablement simple. Pas même la plume de l’auteur qui, bien qu’elle soit douce, caressante, s’éloigne de nous dans un courant de fureur à la fluidité insaisissable. Le choix de l’emplacement des mots en eux-mêmes suit lui aussi un chemin tumultueux, fait d’images, de sensations, d’émotions. Finalement, ils arrivent toujours à bon port, ces mots, diffuse une vérité des lieux bien loin d’un dépliant d’agence de tourisme. Celui d’une ville qui ne cesse de s’inventer, de grandir.
Ainsi, nous quittons à regret cet album photo mémoriel et amoureux de la capitale thaïlandaise avec l’impression qu’il ne s’agit pas d’un adieu, mais plus d’un au-revoir puisque nous avons compris l’invitation à la découvrir en vraie, si toutefois la course du monde nous le permet. La véritable menace, présente dans ce roman, réside dans la montée des eaux, peur réelle de l’auteur qui anticipe déjà l’engloutissement de Krungthep. Espérons que le futur lui donne tort, même si nous sommes hélas assez pessimiste de ce point de vue.