PIERRE CORMARY, Aurora Cornu

aurora cornu pierre cormary
1er roman disponible aux éditions Unicités, collection Elephant Blanc

Pierre Cormary est né en 1970. La même année est sortie le film le genou de Claire d’Eric Rohmer, dont l’une des actrices est une jeune femme s’appelant Aurora Cornu. Originaire de Roumanie, la jeune comédienne (par ailleurs autrice, poétesse et scénariste) prête son élégance et son charme dans ce film qui, alors qu’il aura bien grandi depuis sa naissance, tapera dans l’oeil de Pierre Cormary, lequel tombera alors amoureux de cette héroïne à l’accent fort prononcé.

Il visionnera le film plusieurs fois et tentera de retrouver trace de cette femme sur les réseaux et autres plateformes (telles que Youtube) pour entrevoir, une fois encore, sa silhouette. Presque obsessionnelle, sa quête prendra une tournure concrète lorsqu’il rencontrera enfin son idole. Agé de 40 ans, et Aurora de presque le double, il tissera avec elle une relation d’amour (platonique) et d’amitié qui sera le terreau de ce livre.

Autofiction autobiographique ?

Forcément, nous sommes mis face à cette histoire sans réellement savoir si tout cela est vrai, si tout cela est fictionnel, si tout cela n’est pas simplement le fruit d’un esprit dérangé. En vérité, il est un peu tout cela à la fois car Pierre Cormary, personnage central et narrateur de l’histoire y déroule ses pensées, ses états d’âme et les conversations qu’il a pu avoir avec la dame, en maniant ses souvenirs avec humour, tendresse, poésie, et un spleen solaire facétieux.

Bien qu’ayant tendance à une sorte d’auto-apitoiement, ou d’auto-dévalorisation, ce narrateur, sorte de geek un peu désabusé, aux relations intimes se résumant à l’onanisme, mais tenace et fidèle à ses rêves, avance comme une tête brûlée dans cette romance d’un genre nouveau. Il y va avec sa bite et son couteau pour ainsi dire, n’hésite pas très longtemps à l’idée d’envoyer une lettre enflammée à Aurora Cornu dans le but de précipiter la rencontre. Cet envoi est accompagné de toute une nuée de pensées aussi drôles que surprenantes sur les trolls qui peuplent la sphère des réseaux sociaux et qui s’en sont pris à l’auteur par le passé.

On lit aussi une critique très personnelle du film de Rohmer, ponctuée de déclaration d’amour à Aurora Cornu et d’interventions, là aussi très personnelles, sur le rôle des acteurs (que Pierre Cormary se serait bien vu remplacer au pied levé). Improbable, ce résumé voit l’auteur s’exprimer, quasiment sans filtre, sur ses ressentis concernant les personnages du film, expédiant leur psychologie en la remplaçant du point de vue de l’amant platonique qu’il est. Le résultat est assez jubilatoire.

Une narration vive et presque expérimentale.

Pour rythmer son histoire, l’auteur ne se contente pas de parler et de raconter cette rencontre et les fruits de celle-ci. Il rompt la linéarité, la tord, la bouscule, passe d’une forme de récit à une celle d’une chronique cinéma, en passant par des réflexions sur des thèmes précis et récurrents (dont la religion et la famille), toujours avec ce ton particulier, presque moqueur par instants, ou du moins plein d’autodérision. La langue est riche, recherchée, mais ne perd jamais en fluidité même si l’auteur use de la virgule comme d’autres manient le bistouri, à savoir avec précision et sagacité.

Bien qu’elle soit riche, sa langue sait aussi faire des écarts dans d’autres types de registres, osant même les glissements vers un langage familier qui montre tout le talent de Pierre Cormary à raconter son histoire qui gagne là en oralité. Tout intellectuel qu’il est, il reste un homme comme un autre, et cette humanité-là (sans doute chargée de dualité) nous plait à merveille notamment quand son sang bout. Nous vivons avec la lui la surprise de la réponse d’Aurora à la missive précédemment envoyée, on est impatient comme des gosses à l’idée de cette rencontre qui va avoir lieu, et ne pouvons que nous identifier à ce narrateur manquant (un peu, ou de manière surjouée, mais touchante) de confiance en lui.

Inclassable.

Enfin, cette langue permet de mythifier, de renforcer l’image d’Aurora Cornu. De la rendre plus belle encore qu’elle n’est, l’auréolant d’un éclat lumineux singulier, portant le fantasme au firmament des étoiles du 7é art. On ne sait jamais réellement si tout ceci n’est qu’un fantasme d’érotomane ou simplement une passion personnifiée, mais toujours est-il que ce roman assez inclassable s’avère une vraie cure de bonne humeur, avec toute l’intelligence qui en découle.

Car c’est là où réside la pertinence de ce livre, dans l’élégance de cette relation, dans cet amour de cinéma, pour ne pas dire d’un autre âge, un amour à la Cyrano, un amour dévorant mais toujours respectueux, un amour véritable. Pierre Cormary démontre alors tout son talent de conteur avec Aurora Cornu, tout comme il réhabilite une actrice peu commune. Résultat : nous n’avons que deux envies : voir Le genou de Claire et envoyer une lettre enfiévrée à l’une de nos héroïnes de toujours afin de vivre, nous aussi, une folle histoire d’amour.

Patrick Béguinel

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