FLORENT LUCÉA, Souffle ma flamme (Théâtre)

souffle ma flamme florent lucéaPièce en un acte (paru aux éditions EX-Aequo).

Comment, en s’inspirant des comédies de Molière ou des codes de la comedia dell’ arte, peut-on transcrire les tristes actualités concernant les violences faites aux femmes, avec légèreté, mais sans en dénaturer l’abject ? Avec une plume vivante, un rythme soutenu, évitant les pièges du pathos tout en restituant la gravité des faits avec finesse, Florent Lucéa, avec Souffle ma flamme, offre une pièce pleine d’humanité et d’intelligence.

Tout se déroule dans le cadre familial, ou presque. Le couple de Sganarelle et Colombine n’est pas si rose que ce qu’il paraît aux yeux de tous. Lucinde, leur fille, n’est pas dupe en découvrant diverses marques sur le corps de sa mère. Libérant sa parole, grâce à son compagnon Léandre, elle lui fera avouer l’inavouable. Son mari la bat, l’humilie, la rabaisse. Le sang de Lucinde ne faisant qu’un tour, elle prévient Arlequino, policier et cousin de Colombine.

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Une histoire de famille.

Tout se joue donc ici en famille. Rien de très original, hélas, car ce cocon que l’on espère protecteur se révèle, parfois, trop souvent sans doute, le tombeau des paroles qui jamais ne parviennent aux oreilles de qui elles devraient – à savoir celle de la police. Donc, le cercle familial est théâtre des pires atrocités domestiques, jouant sur les rouages bien connus de la peur et de la soumission.

Il faut dire que Sganarelle sait s’entourer. Ami du maire, lui-même ami du Comte de la bastide (dont la femme est la maîtresse de Sganarelle), il essaie de corrompre son cousin par alliance. Usant d’une langue habile, il tente de le manipuler avec perfidie. Colombine sera-t-elle entendue ? Sera-t-elle sauvée ? À force de péripétie, Florent Lucéa parvient à faire monter la tension, pour un final qui nous électrise et réserve ses surprises.

Délicat exercice que de rendre vivant une pièce simplement exposée sur une presque centaine de pages. Pourtant, l’auteur parvient à nous faire vivre celle-ci comme si elle se déroulait devant nos yeux, sur scène, avec un verbe haut, une dynamique parfaitement huilée, et avec des personnages, comme ceux de Molière, fortement typés, flirtant avec les stéréotypes mais n’y sombrant jamais (fort heureusement). Hauts en couleurs, ils représentent un peu tous les types de victimes et de bourreaux, rendant nécessaire le fait que cette pièce soit jouée un jour sur les planches (sans parler du fait que le sujet s’y prête fortement).

Réalité/fiction.

La frontière entre réalité et fiction est mince. Nous y retrouvons différentes figures bien connues : la femme maltraitée, l’homme bourreau, souvent aviné, une personne de confiance qui libère la parole (ici la fille, mais il peut aussi s’agir d’une bonne amie, ou d’un bon ami, d’un voisin, d’une passante…), la personne représentante de l’état, souvent un policier, pas toujours bien armé pour traiter au mieux cette question toujours délicate puisqu’elle meurtrit les âmes et les corps. Il y a aussi ce personnage de l’avocat, plus protecteur qu’un représentant de l’ordre dans bien des cas. Le rapport à la réalité et donc ténu, apportant une dimension à la fois symbolique et concrète à Souffle ma flamme.

Pourtant, nous sommes bel et bien dans une fiction, théâtralisée. Les paroles sont fortes, portées haut, avec conviction ou détresse, avec amour ou avec ce que l’on croit être de l’amour. La finesse de Florent Lucéa réside dans son appropriation des codes d’antan, les modernisant par la force des dialogues, les détournant pour rester dans une forme de comédie (les stratagèmes de Sganarelle pour corrompre Arlquino sont assez cocasses, comme la réaction du policier) sans perdre en force de persuasion, sans que son message ne soit appauvri, ou devienne inaudible .

Puissance du message.

Ainsi, en un acte, Florent Lucéa parvient à faire passer son message avec force. La scène 17 est particulièrement forte et émouvante puisque chaque personnage, une fois le dénouement tombé, vient s’exprimer et dévoiler une réalité, celle d’un fait ou d’un événement survenu, et qui s’avère fortement tragique.La femme qui tombe amoureuse du mauvais homme, celle qui est la cent quarantième femme tuée par son compagnon cette année, celle qui voit sa mère rouée de coups. Pire, ces femmes qui prennent leur courage à deux mains, se rendant au commissariat de police et qui y sont considérées comme coupables alors qu’elles ne sont que victimes. Et encore tant d’autres, et surtout tant de questions dues à la douleur de la perte d’un être cher…

Alors que cette violence demeure, alors que l’état peine à faire appliquer des lois, des décisions de justice, il est toujours bon de remettre le sujet sur le tapis, d’être le grain de sable qui vient démanger l’aveuglement systémique. Avec finesse et force, Florent Lucéa parvient à faire passer un message plein d’humanité, malheureusement toujours d’utilité publique. Il ne reste plus qu’à trouver des acteurs, des actrices, et un metteur en scène pour donner vie à cette pièce.

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