Alexis Brunet, Grossophobie.

grossophobie Alexis Brunet
Disponible aux éditions Ovadia, collection Au-delà des apparences

Alors qu’il est accusé à tort du meurtre de sa compagne, simplement parce qu’il est gros, Kévin décide de prendre l’air, de quitter Hyères pour rejoindre Paris. Sa petite vie bien rangée de dépanneur chez Free, partagée entre gloutonneries diverses et visionnage en bonne et due forme de BFMTV ou CNEWS, va suivre une succession de petits événements qui lui permettront de « grandir ». Avec Grossophobie, roman drôle mais lucide, Alexis Brunet nous embarque avec lui dans l’univers d’un personnage qui a tout pour être détestable, mais qui finit par être totalement aimable.

Il faut dire que l’auteur force quelque peu le trait. Son héros est un de ces hommes qui prend un peu trop pour paroles d’évangile ce que peut dire des personnalités comme Pascal Praud. Résolument de droite, n’aimant pas particulièrement les migrants, ce métis à la mère guyanaise et au père, qu’il n’a jamais connu, français « de souche », en surpoids, se trouve accusé de meurtre simplement parce qu’il est gros.

En effet, un de ses voisins, présent le soir du meurtre à sa fenêtre, voit un gros à l’heure du crime présent sur les lieux du crime. Pas de doute, il s’agit Kévin. Or, celui-ci est absent et, caméras de surveillance à l’appui, prouve son innocence. Au vent des informations, un comité de lutte contre la grossophobie prend la défense de Kévin. Mais l’activiste, Barbara, chargée de le défendre, une femme « contre » par nature (contre la grossophobie, contre le racisme, contre les violences faites aux migrants, contre celles faites aux femmes, contre tout quoi) se retrouve en face d’un homme presque à ses antipodes. Là commence le périple de Kévin dans une France marquée par l’après covid, par la misère également.

Drôle et lucide.

Alexis Brunet nous dépeint un personnage peu aimable auquel on finit très vite par s’attacher. Avec une plume d’une drôlerie parfois loufoque, l’auteur pointe une société qui ne sait plus trop à quel saint se vouer. Problème de communication, préjugés rapides, justice rendue par le peuple sur foi d’une simple image/vision, tout y passe et dépeint d’une façon plus habile qu’il n’y paraît ces discours chargés de bonne conscience mais dont le fond s’avère bien souvent poreux.

Ainsi, la femme chargée de défendre Kévin (contre son gré, il n’a rien demandé à personne, lui qui aime plutôt bien la police qui nous protège des migrants sous crack) s’avère sourde à tout avis contraire au sien, surtout si celui-ci n’est pas politiquement correct. Le décalage entre cette femme et Kévin est assez cocasse, marque à quel point les opinions peuvent être divergentes dans notre société.

En toile de fond, la misère, les flux migratoires, les abus de la police, entre autre, pour autant, si le roman s’avère relativement modeste dans ses ambitions bien que son écriture soit irréprochable, vive, rythmée, simple mais efficace, il est en revanche très lucide sur la société qui est la nôtre à l’heure actuelle. Cette lucidité saute littéralement aux yeux. Malin, l’auteur, sous couvert d’une écriture facétieuse, mais très précise et rythmée, démonte et démontre ce que les « merdias » en continu pointent d’incohérences et de prises de position douteuses.

Un no-life qui devient héros.

Mais plus que tout, c’est Kévin qui rend Grossophobie si attachant. Ce lourdaud (terme n’ayant rien à voir avec son surpoids) s’impose comme un homme tendre, un peu paumé, qui a du mal à se remettre de la mort de sa mère. Il subit finalement plus sa vie, même avant la mort de sa compagne, qu’il ne la dirige. Cet événement tragique le mettra face à lui-même, mais également face à quelques personnages qui lui sont antagonistes.

Au fur et à mesure de son road trip, il reprendra pied dans la vie, la vraie. Il fera même preuve d’un courage insoupçonné, même si celui-ci est motivé par l’envie d’impressionner Barbara (et accessoirement de la mettre dans son lit). Cette évolution le rend sympathique, quand bien même ses aspirations de droite, très marquées, le rendent un peu, voire totalement, obtus.

C’est cette ambivalence que nous aimons dans ce livre. Cette vivacité à pointer le politiquement incorrecte, cette faculté à faire dire tout haut à son personnage ce que pensent pas mal de personnes totalement décomplexées, nous amène à croire que l’auteur tente de démonter des mécanismes récurrents par l’absurdité de certaines séquences. Et ça fonctionne ! Le livre est très plaisant à lire, se dévore littéralement, et montre un certain talent comique, tout en sobriété, ou en pince sans rire, d’Alexis Brunet.

Bref, une très bonne surprise que ce Grossophobie.

Patrick Béguinel

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