SOL HESS & THE BOOM BOOM DOOM REVUE
And the city woke up alone (disponible le 10 décembre chez A tant rêver du roi).
Sol Hess a sorti son premier album solo en début d’année. Il surfait sur une vague acoustique aux teintes folk parfois crépusculaires, parfois lumineuses, toujours à la lisière du punk (le chant surtout), et dégageait une étrange chaleur, celle qui émane d’une sincérité bousculée, d’une urgence jamais totalement contenue, ce qui ne manque jamais de nous faire réagir de façon épidermique. Il revient le 10 décembre, avec The Boom Boom Doom Revue, pour un And the city woke up alone plus électrique, mais toujours aussi captivant, viscéral, vrai.
Sol Hess n’est pas un nouveau venu de la scène que nous qualifierons de rock, faute de qualificatif plus simple et évocateur que celui-ci. En effet, tout commence en 2010, lorsque Sol Hess, musicien bordelais, forme Sol Hess and the sympatik’s, réconciliant narration post rock et énergie punk/no wave. Par la suite, il se laisse embarquer dans Sweat like an Ap! (indie punk), avant ce premier album solo et ce nouvel album avec The Boom Boom Doom Revue.
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Après…
On retrouve donc sur And the city woke up alone un peu de tout ces courants musicaux, électrifiés, post rock, post punk, post tout ce qu’on veut parce que finalement, les étiquettes, on s’en fout pas mal. Il faut dire que le groupe explose les codes, produit une musique qui semble sortir du plus profond d’eux, à la fois expérimentale et populaire. Une musique de western urbain, qui s’acoquine parfois avec le rural. Une musique aussi pleine de fleurs, d’étoiles, parfois d’arrière-cour de bars poisseux. Beautés et laideurs semblent s’y succéder dans un tourbillon incessant de sensations diffuses.
L’électricité qui affleure de chaque composition se retrouve en grande partie dans la voix, par une intensité marquée, de celle qu’on attribue parfois aux écorchés, aux torturés. Ici, il paraît évident que cette voix est celle d’un être sensible, qui capte dans les ondes, dans les fluides, dans le non-verbal tout ce qui se cache en chacun de nous. Il exprime une vérité qui dépasse le simple cadre des chansons, une vérité énigmatique, solaire ou souterraine, mais toujours dans une forme de justesse, imparfaite dans la forme, jamais dans le fond. Imparfaite dans la forme parce que l’émotion submerge Sol Hess comme elle submerge, par son intensité, celui qui écoute. De spectateur, il devient acteur, bien contre son gré, de ce qui n’est jamais audible ailleurs qu’en lui-même).
Spectral.
Par un jeu de nappes, par un jeu du mix, ce qui se place aux arrière-plans est aussi important que ce qui s’y déroule en pleine lumière. Comme un vibrato, comme une corde raide, Sol Hess se promène en funambule, yeux fermés, cœur en avant. Ces acolytes de Boom Boom Revue, autrement dit Roland Bourbon à la batterie et Frédérick Cazaux aux claviers et bidouilles sonores, ne sont pas en reste. Par leur feeling, ils complètent la prestation de Sol Hess, ils la magnifient et c’est un peu ce qui nous plaît tant dans les vrais groupes, quand 3 hommes ne forment qu’une entité distincte, avec une âme commune, une force d’évocation incroyable.
Les trois compagnons explorent ici la tombée de la nuit, l’apparition des ténèbres, toujours avec ce petit tiraillement coincé quelque part dans la cage thoracique et qui se nomme espoir. Il y a de la vie, toujours, un cri qui pousse le trio à aller de l’avant, à creuser, explorer la face cachée de la conscience. Proche de l’improvisation, la musique de And the city woke up alone est comme un live, elle se découvre à chaque nouvelle écoute, comme si elle était directement en phase avec notre état d’esprit. Elle apparaît alors sous de nouvelles formes et couleurs.
La folk crépusculaire devient par instants lumineuse comme un midi d’été, éclairée par une teinte, venue de loin, de trompette (Jac Berrocal), par une voix de femme (celle de Marie Möör), contrepoint sensuel à celle de crooner sur le fil de Sol Hess (sensuelle aussi, sa voix, dans un autre registre). La variété des climats ne peut que nous convertir à la force narrative de ce disque. D’ailleurs, de narration il est véritablement question puisque Sol Hess ne refuse pas de voir son album comparé à un recueil de nouvelles.
Il dit d’ailleurs ceci : « J’aime bien l’idée qu’un disque puisse être comme un recueil de nouvelles… Il garde en lui des morceaux d’histoires fugaces, des fragments d’existences, des fois sans lien, et un fil invisible les relie suffisamment pour les faire exister ensemble de façon éloquente. » Forcément cela nous parle. Et forcément aussi, il a raison car son disque, bien qu’hétérogène, dégage une cohésion forte, l’identité, et l’âme commune des musiciens étant sans doute ce ciment permettant de lier l’ensemble.
Onirique et âpre, désespéré et passionné, vivant et vibrant, And the city woke up alone reste une déclaration d’amour à l’expression de ce qui nous habite. Pur, habité, intense et fougueux, doux et romantique, l’album nous embarque loin des clichés, vers une terre de possibles artistiques qui paraît renouvelable à l’infini. Puissamment émouvant.
LE titre de And the city woke up alone.
D’ordinaire, on aime bien le morceau différent de l’album, pour le mettre en avant. Mais ici, ils sont tous relativement différents, hormis dans leur traitement sonore, assez homogène. Nous aurions donc pu choisir Les Lucioles, poème en français, hyper prenant, basé sur un crescendo instrumental tandis que la voix de Marie Möör s’y dilue progressivement, jusqu’aux derniers du titre. Mais celui qui nous retourne la tête, c’est Stone. Parce qu’il est à la fois post rock, et rejoindrait assez un couple Mogwai/Godspeed you ! Black emperor dans notre panthéon personnel. Mais aussi parce qu’il introduit des notions presque free jazz dans son déroulement.
La voix y est habitée, fragile mais forte, parfois fendue en deux par une forme de détresse touchante. Mais, dans un autre registre, plus aérien peut-être, un titre comme True love will find you in the end nous touche lui aussi. Jouant sur l’impression et non sur la simple expression, il nous fait dériver vers l’introspection « joyeuse », fait ressortir le bon, le beau, qui sommeille en nous, avec là aussi une intensité crescendo pleine de sève… Choix difficile n’est-ce pas ?