LIVE REPORT Bob Dylan (par David Laurençon)
David Laurençon a assisté au concert d’une légende, Mr Bob Dylan. Il nous en fait, avec toute sa générosité, l’écho.
Samedi 13 avril 2019, Le Grand Rex à Paris. Je suis allé voir Bob Dylan en concert. C’est mon frère, Franck, qui m’en a fait la surprise et m’a offert la place. Sans ça, je n’y serais pas allé et je n’aurais probablement même pas été au courant de L’ÉVÉNEMENT. J’aime beaucoup écouter Dylan, depuis longtemps, mais me déplacer pour un concert de rock… Bof. Je l’avais fait pour Lou Reed, et c’est tout. Parce que Lou Reed tient une place à part dans l’espace mental intra-muros de ma jeunesse. Et qu’en 2012, Lou Reed était bien affaibli physiquement – un adieu.
Bob Dylan, ce n’est pas pareil. J’aime la plupart de ses chansons, et le « personnage » m’intrigue et me séduit (J’avais trouvé très intéressant le documentaire Don’t Look Back, de D.A Pennebaker ; j’étais quasi hilare, bien des années plus tard, en apprenant qu’il avait reçu le prix Nobel de Littérature – des choses comme ça. Intéressant, c’est le mot juste, sans plus, intéressant de vivre à la même époque que ce poète-chanteur américain.
Enfin bref. Le concert au Grand Rex, j’y suis donc allé avec Franck, et avec Lou, ma nièce, dix-sept ans, et Marguerite, ma compagne. Ainsi accompagné des trois personnes qui comptent le plus au monde pour moi, j’étais heureux d’être là où j’étais et d’aller là où j’allais, et je le resterai quoi qu’il en soit du concert à venir : Dylan ceci, Dylan cela, Dylan et son arthrose – Dylan sans guitare – Dylan qui ne dit pas un mot au public, ni bonjour, ni au revoir. Etc…On verra bien.
Le Grand Rex, samedi 13 avril
Le Grand Rex est plein à craquer – sans doute le public de cette dernière représentation d’une série de trois jours à Paris, trois concerts à guichets fermés, a compris la consigne : ça commence à vingt-heures pétantes. Dans la salle, il n’y a pas que des vieux. Il y a même beaucoup de jeunes, contrairement à ce que j’ai lu çà et là dans la presse. J’ignore où sont placés les journalistes et les critiques lors de ces concerts, ce qu’ils peuvent bien voir, mais moi aussi « j’y étais » comme ils disent, et je vous assure qu’il y avait beaucoup, beaucoup de spectateurs de moins de trente ans. Jeunes, donc. Et j’ai trouvé ça plutôt chouette : pas d’étude sociologique sur le public des « légendes vivantes du rock ». C’était juste chouette, bizarrement ça m’a fait plaisir pour Bob Dylan qui, je pense, ne doit pas trop se préoccuper de ce genre de chose.
La salle encore éclairée, j’ai observé la scène, où étaient installés les instruments. Il y avait aussi, sur cette scène, des projecteurs, tout simples mais imposants par la taille, haut-perchés et il y avait, au fond, un rideau de velours, couleur neutre. C’est tout. À cet instant, le seul décor était encore celui de la salle en elle-même : sur les deux côtés, des sortes de décor de théâtre en relief (du carton-pâte au Grand Rex?)
Le noir s’est fait à vingt heures et quelques.
Deux heures…
On distingue le groupe qui prend place. Dylan est au piano (Il prendra souvent l’harmonica, et le son de l’harmonica de Bob Dylan, de plus en plus rare, entraîne vers la septième région des cieux. Véridique).
Le groupe est donc en place, les projecteurs s’allument, légers, tamisés, intimistes. Le concert commence par Things have changed. L’acoustique est bien et surtout, surtout ! La voix – chaude et expressive. Elle le sera tout le temps du concert, qui durera deux heures. Deux heures que je ne vois pas passer. Deux heures superbes et inoubliables. Deux heures brillantes, avec des musiciens au top. À ce que j’en sais, un des deux guitaristes du Band s’en est allé on ne sait où : une seule guitare au lieu de deux, donc, ce qui je suppose change la donne, question sonorités rock – cohérent avec l’ambiance profondément intimiste du Tout, et je parie mille contre un que l’énergie pure s’en est mieux portée.
Comme je ne connaissais pas la plupart des chansons jouées ce soir-là, je ne vais pas m’amuser à une description-énumération-critique d’une quelconque set-list que je serais bien incapable de fixer. Mais ceci : inénarrable émotion, à vous tirer des larmes de joie pure, pour Don’t think twice, It’s all right : Dylan seul avec la contrebasse ; Like a Rolling stone : je comprends que c’est Like a Rolling Stone, seulement en entendant le refrain « How does it feels ? » Génial. (À propos des morceaux revisités : les titres sur disque ont été entendus un million de fois, Dylan offre et propose des versions originales stricto sensu : bien plus que des cadeaux (et certainement pas des caprices ou des massacres) :la preuve que chacune des créations de Bob Dylan est VIVANTE POUR DE BON.
Il y a Dylan qui chante Scarlet Town debout au micro. Je le regarde, et n’oublierai jamais cette silhouette très-classe, à jamais iconique.
… Et c’est déjà fini.
Je redis : deux heures que je n’ai pas vu passer et j’en arrive à la fin, déjà : It take a lot to laugh it takes a train to cry, dernier morceau de Dylan avec Dylan (car il y a une suite à cette fin).
Bob Dylan vient se poser devant le public, demeure là quelques secondes, puis il salue en levant les deux pouces. Et parce qu’il est lui-même souriant et ému, c’est être comme dans un rêve (une gestuelle signifiant : je me suis senti très bien, tout va bien, je vous dis au revoir et à bientôt).
Dylan s’en va et The Band entame l’instrumental de Just Like Tom Thumb’s Blues, au cours duquel les musiciens quitteront eux aussi la scène, à tour de rôle :
Donnie Herron [ violon, banjo, mandoline, lap steel ; Charlie Sexton [guitare]; Tony Garnier ; [basse / contrebasse] ; puis George Recile [batterie], qui balance ses baguettes après un solo pas croyable : cette fois c’est terminé.
Garder ces images en mémoire
Dehors, les Grands Boulevards grouillent de monde et je n’ai qu’une envie, me retrouver loin du vacarme. J’entraîne Marguerite, Franck & Lou dans le métro, je suppose qu’ils se demandent pourquoi je suis si pressé de rentrer. Et c’est vrai que je fonce. Pour mieux pouvoir me poser, garder le plus longtemps possible un pied et la tête dans l’OEuvre de Dylan.
Un peu plus tard, à la terrasse d’un café du 18è, nous discutons du concert, bien sûr. Puis je dis à Lou qu’elle vient de VIVRE UN MOMENT HISTORIQUE. Peut-être que je vais lui faire un speech. BOB DYLAN, PRIX NOBEL DE LITTÉRATURE, DYLAN, 77 ANS, L’UN DES PLUS GRANDS ARTISTES VIVANT EN CE MONDE, ETC.
Lou est consciente de tout ça, et me répond simplement : « Bob Dylan : il est trop beau ! ».
Heureuse synthèse.
La seule qui vaille.
David Laurençon était éditeur aux Éditions Sans crispation, en plus d’être un fidèle de Litzic. Un énorme merci pour sa participation… Il est également à la tête du site Amuse-bec, site d’appréciations et de chroniques