EZ3KIEL, La mémoire du feu
Nouvel album déjà disponible chez Virgin records/Kika
Cet album est d’une richesse folle. Il faut du temps pour l’apprivoiser, notamment pour en apprécier chaque contour, chaque inflexion, malgré son côté instantané. Exigeant musicalement et littérairement, La mémoire du feu dégage une force ardente, une passion inaltérable, une beauté qui ravira autant les amoureux de la chanson française que les amateurs de post rock, ou d’expérimentations plus électronique.
EZ3kiel bouscule les codes. Les siens pour commencer car il a fait appel à l’excellent Caryl Ferey auteur de polar, pour écrire ces textes . Pour ceux qui ne connaissent pas Caryl Ferey, nous citerons Haka, roman hallucinant d’une noirceur abyssale, aussi magnifique que dérangeant. Ici, point question de polar (quoi que, l’ensemble reste très sombre), mais d’une histoire d’amour, dévastatrice, carnivore, rouge sang, entre Duane et Diane, deux amants qu’une seule lettre sépare.
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Impressions.
Avant de plonger dans les textes, les impressions auditives nous placent dans un cocon très particulier, où l’émotion se fait vibrante, oppressante, libératrice, le tout séparément ou conjointement. L’impact émotionnel est aussi vaste qu’un océan ou qu’un incendie dans la garrigue. Il ravage tout, nous porte à la lisière des larmes, à ceux de la colère aussi, d’un claquement de doigt, d’une corde vocale à l’autre.
L’album souffle le chaud et le froid, l’organique et le numérique, la bluette vaporeuse vaguement ethnique (Les bras des torrents) et l’âpreté industrielle (la première partie de Rouge sang par exemple). Nos sens sont bousculés, se mettent parfois en PLS pour mieux se remettre, fièrement, sur leurs jambes. L’alternance voix féminine (Jessica Martin-Maresco au chant, Olivia Nicosia aux interludes spoken word) et masculine (Benjamin Nerot aux inflexions parfois proches de celle de Serge Gainsbourg) contribue à rendre vivant ce récit indémodable, car hors mode.
L’amour, ses affres, ses turpitudes, ses hauts, très hauts, et ses bas, très bas, le combat des amants qui se déchirent, qui se réconcilient, qui s’oublient l’un dans l’autre et qui s’oublient tout simplement, en arrive à leur propre négation. Tout n’est pas rose au domaine du sentiment amoureux, La mémoire du feu (celui de la passion), en est la preuve.
Musique en équilibre précaire.
Malgré la grande diversité des styles musicaux abordés, la cohérence et de rigueur. Qu’il s’agisse de chanson française (Les galions oubliés, Les bras des torrents), le post rock (L’absolu), le spoken word (Les amants d’antan, La chute infinie du vide, La mémoire du feu), tout s’imbrique à la perfection, déroule une esthétique ultra précise, à la production pointue. Le travail sur le son est impressionnant, crée des images de film noir avec une déconcertante facilité.
Les voix sont subliment mises en présence. Les traitements sonores qui y sont apposés, le mix, font en sorte que l’émotion passe directement des enceintes à notre cœur. Peur, passion, les deux s’entremêlent dans une danse vénéneuse, ô combien mortelle, et forcément ô combien tentante. Les graves de Benjamin Nerot sont sépulcraux, dégagent une impression de danger imminent, les aigus de Jessica Martin-Maresco dégagent eux une forme de pureté immaculée. Les guitares sont tranchantes, les rythmiques cajolantes, berçantes. Les tessitures sonores sont des déchirements de feuilles, de cœur, d’âme, les ambiances sont quant à elles cinématographiques.
Le tout cerné par une écriture au cordeau.
Une vraie histoire.
Album concept par excellence, La mémoire du feu approche, de façon certes différente, les standards du genre, en français, Histoire Meldoy Nelson en tête. La poésie qui reste évasive par moment, impose elle aussi ses images, renforçant celles générées par la musique. Elles se nourrissent l’une l’autre, accroissant toujours l’effet dramatique de cet album qui est époustouflant de Diaphane à Les spirales ascendantes.
L’architecture du disque, le choix de l’emplacement des titres, permet de garder intact l’émotion, mais aussi le fil conducteur de cette narration qui nous prend à témoin, nous déballe toute cette histoire de ses balbutiements à ses derniers développements. Presque théâtrales, les textes, portées par le couple maudit, sont d’une beauté pure et retranscrivent à merveille l’amour et ses renoncements, la vie, la passion.
On s’envole avec Diane, on sombre dans les mots fous de Duane, on vibre avec eux, on prend peur pour eux. L’éternel chambardement qu’est l’amour, qu’il nous rende fort ou faible, qu’il nous donne l’impression que chaque séparation sera une déchirure ou une renaissance, sont parfaitement mis en relief par EZ3kiel qui signe là un album ambitieux, maîtrisé de bout en bout, qui s’avère être une pure réussite.
LE titre de La mémoire du feu.
L’ensemble est tellement cohérent, comme tout album concept un minimum sérieux qui se respecte, il est très dur d’extraire un morceau en particulier. Néanmoins, l’entame du disque, particulièrement efficace puisqu’elle fait en sorte qu’on reste scotché au disque, s’avère très riche. Ainsi, les 4 premiers morceaux, Diaphane, Les amants d’antan, L’absolu et Les galions oubliés donnent à eux seuls la teneur et la richesse du disque, non seulement en matière de mélodies que d’ambiances. Et surtout, nous le répétons, fait que nous ne décrochons pas de l’album par la suite (étant donné qu’elle est une partie de ce même corps dévoilé).