[ALBUM] CLARYS, De là // sur le fil du rasoir

De là, nouvel album de Clarys (autoproduction accompagnement microculture)

Nous franchissons un seuil lorsque nous pénétrons l’univers de Clarys. Ce seuil filtre les derniers rayons du soleil, tout sentiment d’exaltation, presque d’optimisme, pour nous loger dans un milieu sombre, parfois rugueux, âpre, où une voix se fait maîtresse des lieux. Elle accompagne des textes poétiques, au parler tranchant, lourd, mais d’une justesse lucide, comme ces rythmiques qui écrasent. De là, d’ailleurs, Clarys nous offre un album à l’identité forte, viscérale.

Oubliez direct les chanteuses sans charismes, celles qui chantent les petits bobos existentiels. Oubliez aussi les chanteurs qui sonnent creux, personnage de papier à déchirer à peine les avons-nous entraperçus. Clarys est là, possède une aura magnétique, un charisme bestial, non sans sensualité féminine. Mais cette sensualité, c’est celle d’une femme qui s’exprime sans fard, s’invite, à raison, sur les terres masculines, sans revendiquer quoi que ce soit. Sa place est là, elle s’y installe, c’est normal, c’est là qu’elle doit être.

Une production moite.

Il n’y a pas de rebond, d’emphase, pas de grandiloquence, pas de sentiment épique non plus. Tout ici est ramassé, dense, électrique, minimaliste, sur un fil de rasoir tendu. L’intensité pourrait le faire rompre, comme ça, mais Clarys réussit, avec une tracklist habile, à souffler le froid et le presque chaud avec brio. Enfin, nous disons le presque chaud, nous devrions dire le chaud, car, malgré tout, il y a dans De là un brasier intense qui rayonne sur chaque titre. Celui de la passion. Celui de la raison qui voit tout, qui ressent tout, qui exprime tout.

Le côté froid pourrait résider dans cette densité qui garde les instruments cantonnés dans un cercle restreint, aux frontières resserrées d’où toute fuite semble proscrite. Guitares électriques en arpège discret, batterie mate, nappes de claviers qui instaurent une ambiance de fin du monde, petits effets électroniques discrets. Mais le chaud survient de cette voix incroyable, de choeurs sensibles et sublimes (et aux overdubs de voix bien sentis). Souvent répétitive, la base instrumentale fore nos défenses, nous déshabille de tout clinquant, nous attire à elle comme pour mieux rejeter le constat doux amer des paroles, photographie sans filtre des ressentis de la chanteuse.

Des paroles poético-réalistes.

Évidemment, tout cela ne servirait à rien s’il s’agissait de véhiculer des paroles cul cul la praline comme le font, hélas, trop d’artistes aujourd’hui (n’ayant pas le courage d’exprimer ce qui les touche véritablement). L’incandescence de Clarys réside dans la métaphore jamais facile, et l’on pense à Noir Désir. En optant pour une poésie sensuelle (là réside d’ailleurs en grande partie la sensualité de la Dame), aux images qui égratignent, ou font saigner, les coeurs, les âmes, Clarys sculpte son propos comme une magicienne prépare ses potions. Avec minutie, lucidité, pour que le poison de la beauté brute s’infiltre en nous, nous fasse réagir et adhérer à la puissance sourde du couple musique/parole.

Nous pourrions éplucher les textes, mais nous en ôterions la substance. Nous dirons juste qu’ils sont, pour nous, l’expression d’une femme consciente, en prise avec une époque où les repères ne cessent de se déliter. L’érosion des valeurs humaines au profit d’une machine financière, tout cela transparaît dans l’humeur de l’album. Elle n’est pas son sujet, mais un contexte. Son terreau. Clayrs vit dans ce monde, le nôtre, et cela l’habite. Il est ici question d’identité, d’acceptation de soit/de l’autre/du monde qui nous entoure, de relations humaines, amoureuses, encore, toujours.

Lourdeur aérienne.

Pourtant, si la musique est mate, plombée, moite, elle possède une grâce aérienne, quelque chose de presque divin. Mais un divin dans le bon sens du terme, un divin qui n’impose aucun culte, mais un divin qui dit simplement les choses de l’amour, des êtres, avec tact et violence. Les relations humaines sont le fil conducteur qui affleure de lignes de chant transcendantes. Presque parlées, elles s’envolent parfois vers des cieux plus cléments par la grâce de mélodies .

Cet album est une belle démonstration de force douce, de douceur forte, nous ne savons plus trop. Rarement nous avons ressenti une telle présence, magnétique, sulfureuse, poisseuse parfois, lumineuse toujours, même dans ses ténèbres, sur un disque. Ce charisme lucide, nous ne le voyons d’ordinaire que sur scène, mais Clarys parvient à le faire migrer sur un album. Simplement impensable, c’est pourtant chose faite ici, avec un talent rare. Magistral.

LE titre de De là.

Nous l’avons dit, l’album est dense, ramassé. Cela signifie également qu’il est très homogène. Aucun titre faible. Aucune fausse piste. Pas plus qu’il n’y a de faux pas. Santiago est fantastique, Un moment sans répondre, seul titre parlé d’une voix d’homme l’est tout autant. Memento mori, instrumental qui clôt l’album, est le seul sans parole. Pour les deux derniers, l’originalité aurait pu jouer en leur faveur, car la différence saute aux oreilles, pourtant, la cohérence est telle qu’ils sont inclus, comme fondu dans la masse, de l’album.

Alors c’est plus du côté des textes qu’il nous faut trouver la phrase magique, qui permet de différencier un titre d’un autre. Et c’est peut-être là que Mes lueurs s’impose à nous : « Que lisez-vous/mes agneaux/sur le braille/de ma peau ? », « vous ne trouvez pas l’accord/pour bien conjuguez/les corps», « caressez-moi/jusqu’au coeur/si vous voulez mes lueurs. »Sublime, d’autant que reposant sur une musique alanguie et minimaliste.

clarys de là

On pense à Fraxion Cassan

Retrouver Litzic sur FB, instagram, twitter

soutenir litzic

 

Ajoutez un commentaire