[ ALBUM ] BRUCE BRUBAKER & MAX COOPER, Glassforms

Bruce Brubaker et Max Cooper propose Glassforms (disponible chez InFiné), projet hybride piano/machine articulé autour du travail de Philip Glass.

Philip Glass, pour ceux qui l’ignorent, est un musicien, auteur-compositeur de musique contemporaine. Associé au courant minimaliste, il a travaillé avec des personnalités comme Twyla Tharp, Allen Ginsberg, Woody Allen, Paul Simon ou David Bowie. Travaillant à partir du motif, il s’intéresse tout particulièrement aux effets psychoacoustiques de la musique. (source 1). Le projet Glassforms, lui, réunit Bruce Brubaker (piano) et Max Cooper (machines) et est né en live, suite à une commande de la Philharmonie de Paris et a donné lieu à une série de dates (Cité de la musique à Paris, Barbican à Londres, au Sonar Festival à Barcelone). Le résultat de la coopération des deux musiciens est pour le moins captivant.

Les musiciens.

Les deux auteurs de Glassforms proviennent d’univers a priori insolubles l’un dans l’autre. Le pianiste Bruce Brubaker et Max Cooper, scientifique-artiste de musique électronique, collaborent ici pour créer la toute dernière expression musicale de Philip Glass. Ils réécrivent à deux, à partir du matériau brut de Philip Glass, un album hybride, à la fois onirique et tellurique, magique et inquiétant, pieux et profane.

L’éthique.

La recherche intellectuelle autour de ce projet nous laisse pantois. Plutôt que de mal dire les choses, nous les copions ici (source  2) :

« Plutôt que de se contenter de les retravailler ou de les augmenter par des moyens traditionnels, Max Cooper et Bruce Brubaker repensent fondamentalement les formes de Glass d’une manière normalement impossible avec des outils de composition humains. Max a construit un nouveau système d’expression musicale grâce au codage inventé par le développeur Alexander Randon, créant un outil qui permet de récupérer des données du piano en direct pour les transformer en de nouvelles formes, intimement liées, qui conduisent ses synthés sur scène.

Le résultat est que chaque pièce de Glass devient son propre « instrument » électronique. Un instrument que Bruce joue en plus et de façon simultanée avec l’œuvre originale. Pendant que Bruce joue du piano et contrôle les synthés grâce à son jeu, Max module et augmente les plages sonores, ajoutant parfois ses propres mélodies pour former des variantes hybrides.

Max Cooper dit : « je lutte constamment avec plusieurs niveaux de sons génériques, chaque pièce de musique est construite comme un organisme électronique vivant qui erre à travers des mondes sonores sous ma direction, mais jamais totalement sous mon contrôle. En tant que résultat, chaque pièce pour chaque spectacle sonne différemment à chaque fois, et Bruce réagit aux nouvelles formes avec sa propre volonté, avec une nouvelle approche. »

La musique.

La démarche intellectuelle est une chose, la musique en est une autre. Nous pourrions même dire que l’une et l’autre peuvent ne rien avoir en commun. Un peu comme le piano, instrument acoustique, et les machines, instruments électroniques. Pourtant, force est de constater que les deux instruments cohabitent de façon incroyablement sensuelle, tout comme le concept s’harmonise à la perfection avec le rendu final.

Les parties de piano sont incroyables. Nous ne sentons pas une prouesse technique de dingue, et c’est tant mieux, car la technique étouffe, quand elle est mal dirigée, l’émotion. Nous ne doutons pas une seule seconde que Bruce Brubaker possède une technique démoniaque, mais il la laisse au placard dans Glassforms pour nous proposer une musique très chargée en émotions. Le peu de note, si nous pouvons l’exprimer ainsi, porte directement au cœur. La précision avec laquelle elles nous ébranlent, ces notes, est chirurgicale, mais absolument pas aseptisée. Ces notes tutoient le ciel et nous mettent à genoux. Nous sentons gonfler notre cœur, comme si nous nous apprêtions à pleurer toutes les larmes de notre corps (autant de joie que de tristesse).

Les machines.

Autour de ses arpèges rôdent les machines. Leur présence électronique est audacieuse dans le sens où elles dégagent quelque chose d’animal. Nous pourrions presque symboliser les choses ainsi : le piano est un animal, les machines de Max Cooper en sont un autre. Soit il est de la même espèce, mais de sexe opposé, et commence alors une parade amoureuse. Soit il est d’une espèce différente ou du même sexe et commence un jeu d’intimidation pour savoir qui est le plus fort. Résultat : une musique organique, féline, ondoyante.

Alors les deux parties se jaugent, se séduisent, se chassent, dansent ensemble ou se repoussent. Si le piano est aérien et parfois minimaliste, les machines représentent la terre et le métal en nous ramenant invariablement dans un état de conscience aigu. Soit de danger, d’inquiétude (certaines sonorités sont en effet proches de l’idée de tonnerre ou de séisme), soit dans l’idée d’élévation (comme si notre âme montait rejoindre le piano, quelque part dans les cieux).

Les compositions.

Sur certaines compositions, le piano nous entraîne dans une pensée répétitive, obsédante, une ritournelle de laquelle nous ne pouvons nous échapper. Elle nous maintient en haleine, dans l’attente d’une délivrance. Sur ces motifs, les machines créent des nappes élégiaques, presque métaphysiques, évanescentes. Un léger courant électrique nous parcourt dès lors l’échine. Il est le côté étrangement concret, celui qui nous ramène paradoxalement sur terre.

Un bourdonnement se fait entendre, bourdonnement qui roule et trépigne sous nos pieds. Il nous lie aux éléments, évoque notre attachement à ce qui a de l’importance,. Il nous connecte donc à l’essentiel, tout en nous permettant une forme d’évasion. Parfois, comme c’est le cas sur un titre comme Two pages, le ciel semble s’ouvrir pour nous laisser décoller. Mais en avons-nous envie ? Le libre arbitre s’impose et guide nos pas dans la direction que nous souhaitons, intimement, prendre.

L’imaginaire.

Et puis des fois, Bruce Brubaker délivre des motifs liquides, une cascade qui éclabousserait tout en s’écrasant sur le sol. Les machines l’accompagnent, font ressortir, par contraste, l’impact de chaque gouttelette lorsqu’elle heurte le sol et se démultiplie. Ce contraste se caractérise par la matérialisation d’une idée volubile, impalpable. Une vue de l’esprit en quelque sorte qui prendrait corps soudainement, nous laissant perplexe face à la forme qu’elle prend sous les bidouillages de Max Cooper.

Tour à tour aux avant-postes ou à l’arrière-garde, les deux musiciens alternent les plaisirs, déroutent nos sens ou au contraire les dirigent comme pour mieux nous surprendre ensuite. Ils épousent nos idées de douceur ou au contraire nous indiquent que cette dernière n’est pas la seule voie à emprunter. Qu’il faut parfois, aussi, se faire violence pour atteindre cet objectif de sérénité. Il y a dans Glassforms quelque chose de magique, qui touche à l’aléatoire.

Expression de nos états d’âme.

Glassforms est l’expression de l’état émotionnel dans lequel nous nous trouvons au moment de son écoute. Quand nous sommes dans un bon état d’esprit, il révèle des tonalités, chaudes. Nous nous focalisons plus sur le piano et ses arpèges. Dans un état émotionnel plus contrasté, notre écoute se dirige naturellement vers les machines, vers leur côté palpable, parfois des plus troublants parce que reflétant un caractère inédit, celui que notre esprit crée de façon spontané et éphémère.

Car Glassforms, sur scène, prend des tournures inédites à chaque représentation. Nous pourrions croire qu’une fois gravé sur le disque il en serait de même, et pourtant non. Car si la musique est effectivement figée pour l’éternité sur un support, nos états d’âme, eux, sont toujours fluctuants et nous invitent invariablement à réinventer l’écoute de ce disque absolument saisissant et définitivement intriguant. Mais toujours d’une incroyable justesse.

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On pense à Slumb.

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