ASTÉRÉOTYPIE, Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme.

astéréotypie aucun mec ne ressemble à brad pitt dans la drôme3é album disponible chez Air-Rytmo.

Ce disque est probablement le disque rock le plus percutant de ce premier semestre de 2022. Oui, il y a eu d’autres disques percutants, mais pas forcément purement rock. Ici, ça envoie sec, des riffs puissants, un groove obsessionnel et dansant, des nappes électrisantes, des chants expulsés avec la force des certitudes. Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, d’Astéréotypie, est une bonne claque dans la gueule, reçu un matin comme tant d’autres, un de ces matins où la banalité du quotidien nous dicte une conduite en pilote automatique et qu’une prise de conscience différente vient nous remettre les yeux en face des trous.

Cette prise de conscience, elle peut provenir d’une lumière particulière, d’un pépiement d’oiseaux entendu alors que le brouhaha urbain vient subitement de se taire. Comme une connexion avec un autre réel en somme. Comme sortant d’un rêve, on met quelques instants avant de réaliser ce qu’il se passe, on percute enfin. Mais merde, la vie, MA vie, c’est ça ? Alors, comme Néo, on décide d’avaler la pilule bleue, ou la rouge, on ne sait plus, et on quitte la Matrice pour le vrai monde.

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En mode pacha !

Premier constat, le premier titre de l’album, Le pacha, nous met d’équerre. Une histoire improbable, d’un type qui raconte que son grand-père connait par cœur l’histoire d’Arménie, qu’il en est un descendant, et que, issu d’une grande famille de ce peuple, il veut vivre en mode pacha, qu’on fasse tout pour lui, qu’on aille au Mc Do pour lui, qu’on écrive ses sms pendant qu’il se prélasse au jardin avec ses amis.

Rythmique imperturbable, attaques nerveuses des guitares, spoken word haut en couleur, avec une voix pas banale, l’empreinte Astéréotypie se dessine sans mal dans le paysage rock français (qui a quand même tendance à piétiner) par une originalité doublée d’une énergie rock sanguine, loin des carcans du genre. Pourquoi ? Parce qu’elle possède une poésie d’aliens, un regard sur le monde à la fois drôle et terrifiant.

Un titre comme Mon chat a 44 ans est aussi improbable que flippant. Faut-il tout prendre au premier degré ? Si oui, alors on fait caca dans notre culotte direct, avant d’aller pleurer dans les jupes de nos mères. Mais fort heureusement, il ne s’agit pas de premier degré, simplement d’une drôle d’interprétation de signes banals, qu’on ne voit pas forcément mais que l’œil des auteurs et autrices du collectif Astéréotypie, eux, chopent toujours dans l’air du temps.

Ça déroule et ça dérouille.

La musique nous bouscule dans nos retranchements. Elle semble provenir du tréfonds de l’âme, illustrant ses errances, ses peurs, ses atermoiements etc. Chaque nouveau titre joue sur une énergie démentielle, porté par des mélodies imparables. Peu de chant, juste un chanté parlé qui laisse K.O. Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme revient sur ce constat simple que, dans la vraie vie, aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme, même si certains autres mecs, en France ou bien à la télé, pourraient leur ressembler. Mais la vie réelle n’en demeure pas moins agaçante.

L’amour, l’argent, tous les thèmes sont posés sur le tapis de jeu d’Astéréotypie. La donne de ces cartes provoque des textes complètement hors des radars, d’une puissance simplement hallucinante parce que la poésie qu’ils dégagent est d’une autre nature que celle qu’on nous assène d’ordinaire dans le monde de la chanson, à quelques exceptions près.

Ne cherchez pas forcément de cohérence, les idées se suivent, se bousculent, se télescopent, favorisant les cas de fibrillation ventriculaire avec une constance métronomique. Et puis, elles sont interprétées avec une conviction inébranlable, comme si la vie des différents chanteurs en dépendait. Bonjour revient par exemple sur le fait qu’un « bonjour ça va ?» laisse comme un goût d’inachevé, comme si la personne qui vous l’assène n’était pas vraiment intéressée par la demande qu’elle formule. C’est un peu comme s’il manquait quelque chose, et ce manque peut vous irriter comme il irrite Stan dans le cas du présent narrateur.

astéréotypie

crédit Chloé Rafat

Dérangeant parce que…

Ce disque peut s’avérer dérangeant parce qu’il est terriblement juste. À la fois pertinent et impertinent, drôle et sérieux, toujours passionné, il dénote des autres disques par une singularité quant à ses auteurs et autrices et interprètes.

En effet, ce collectif est né suite à des ateliers d’écriture ayant vu le jour dans un IME (institut médico-éducatif). Les ateliers, menés par Christophe L’Huillier, alors éducateur, aujourd’hui à la guitare, concernent des jeunes gens autistes. Ce sont eux qui chantent ici, qui écrivent les textes et apportent un regard inédit sur le monde. Parmi eux nous retrouvons Claire Ottaway, Yohann Goetzmann, Stanislas Carmont et Aurelien Lobjoit. Aux instruments, outre Christophe L’Huillier, se trouvent Arthur B. Gillette et Eric Tafani, tous deux membres du groupe Moriarty. Enfin, Félix Giubergia, l’homme de l’ombre, signe trois des 13 textes.

Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme est un disque fantastique. Non pas parce que ces auteurs sont autistes, mais parce qu’il est d’une force dingue, d’une originalité inédite, qu’il est extrêmement bien fait et interprété. Mais surtout, il déclenche en nous des sensations inédites, une fascination pour des textes stupéfiants, d’une sensibilité inconnue. Et il nous prouve aussi que la musique est et reste un moyen d’expression pour tous, et que son importance dans la vie de quiconque est loin d’être anecdotique. Magnifique !

LE titre d’Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme.

Il faut bien en choisir un, et le choix est délicat. Pourtant, l’un d’eux nous touche particulièrement, parce qu’il est à la fois drôle, loufoque, mais aussi symptomatique d’une époque où le pognon compte parfois plus que les relations humaines (tout en décrivant dans le même temps la difficulté d’une personne « différente » à rencontrer la femme de sa vie). Ainsi, 20 euros raconte l’histoire improbable d’un type qui a une relation avec un billet de 20 euros. 20 euros est elle-même fille de 100 Dollars, petite-fille de 100 euros, son grand-père, qui est très gentil, et de 200 euros sa grand-mère, très gentille aussi. Le mariage aura lieu à la banque de France et le prêtre sera le président de la banque centrale européenne. Tout ça pour quoi ? Tout ça parce que avoir une relation amoureuse avec un billet de banque, c’est mieux que d’avoir une relation amoureuse avec une vraie fille. Tout est dit, non ?

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