[LIVRE D’ART] PHILIPPE JAFFEUX, Pages//affiches la musique
Pages, de Philippe Jaffeux (aux éditions Plaine page, Calepins)
Nous qualifions ce livre de livre d’art faute de mieux. Pourquoi ? Car le parti pris de Philippe Jaffeux, dans Pages, et justement de regrouper 52 de celles-ci dans une sorte de recueil. Ces 52 pages sont en fait 52 affiches, exposées durant un an, dans la galerie Les Frangines (Toulon), à raison d’une affiche par semaine (52 étant le nombre de semaine dans une année).
Mais que sont-elles, ces affiches ? Elles sont des pages, noircies d’écriture et mises en relief par ce que nous nommerons une illustration. Mais pas n’importe laquelle puisque cette illustration, ou ce design, sert à retranscrire visuellement une impression ressentie à l’écoute d’un morceau de musique. Autrement dit, cette mise en œil retranscrit sensoriellement, instinctivement ou plus cérébralement parfois, ce que l’oreille perçoit. Bon, ce n’est pas très clair, on vous explique plus en détail.
Lignes de crêtes.
Vous avez tous vu, à un moment ou à un autre des moniteurs afficher des lignes de crête lors de la diffusion d’un morceau. Celles-ci accompagnent la musique, en épousent les contours, les haussent de ton ou bien au contraire leur effacement progressif en fin de morceau. Ici, c’est un peu ce que cherchait à reproduire Philippe Jaffeux, c’est-à-dire traduire par un visuel simple l’impression que lui donnait une musique donnée ou un style musical.
Le pari est risqué car comment représenter le reggae ou le ska, Ornette Coleman ou Charlie Parker, les Who ou Led Zeppelin ? Avec une inventivité folle, Philippe Jaffeux parvient à nous les représenter visuellement, de façon très juste, parlante, ce qui en soi n’est pas une mince affaire. Fort heureusement, il y a l’écriture pour le seconder. Car ces affiches, ce sont aussi des textes pour synthétiser, avec des mots clés, l’esprit d’un musicien, d’une musique, ou d’un instrument de musique.
Les textes.
Tout part de la page. Un rectangle sur lequel se posent des lignes, lesquelles contiennent des mots. Ces mots parfois se chevauchent, se bousculent, se retournent, chutent, s’éclatent. Ils expriment le rythme, la cadence, la couleur, l’impulsion, la folie, la rigueur, la personnalité. Ils sont des phrases, des lignes, des cadres, des espaces de possibles, des visions, des ressentis, des émotions.
Chaque mot est choisi minutieusement. Il se trouve là où il se doit. Chaque texte est une composition, une symphonie à lui tout seul. La musicalité de ces mots confère une sonorité à la musique dont il parle. Même si vous n’avez pas connaissance d’un style, les mots, accompagnés de l’image que crée Philippe Jaffeux, vous permet de l’effleurer en quelques minutes. Le voyage sensoriel est saisissant et pourrait en quelque sorte, être assimilé à cette sensation que nous ressentons lorsque de fortes basses se font ressentir au creux de notre ventre. Ou alors, nous pourrions presque dire que ces affiches sont une représentation de la musique si on ne pouvait l’entendre mais juste en percevoir des contours visuels.
L’ensemble image+texte.
Avec ces 52 pages, nous prenons un peu de distance avec notre façon de percevoir la musique. De simple objet sonore, elle devient objet visuel, objet cérébral également. Certaines de ces affiches jouent avec des codes populaires (le ska avec son damier, la cornemuse avec le motif écossais, l’onde circulaire pour l’anneau du Nibelung, une flamme pour Jerry Lee Lewis).
Personnellement, nous avons quelques coups de cœur, notamment pour les Cramps, Les Who, Charlie Parker (même si le texte est ardu à lire, mais ça colle tellement à l’essence du Bird), Miles Davis, les tablas, le Boléro de Ravel (avec son crescendo de typographie), le xylophone, Jimi Hendrix (et son méli mélo de phrases à l’endroit à l’envers représentant le jeu hors norme du légendaire guitariste). Nous aurions adoré voir ces affiches grandeur nature, pour ressentir encore plus grandement leur pouvoir, subversif, car il a de la subversion dans cette manière d’appréhender tout à la fois la musique et l’image et le texte. Brillant et original !
Un autre livre d’art ? Animaux d’¹Étienne Ruhaux
