Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
JAMES SALLIS, Sarah Jane/Willnot
Double actu pour James Sallis chez Rivages/noir
À l’occasion de son nouveau roman Sarah Jane, les éditions Rivages, et leur collection Noir, en profitent pour rééditer, au format poche, le précédent roman de James Sallis, Willnot. L’occasion de (re)découvrir la plume de cet auteur américain faisant figure de référence en matière de roman noir.
Si vous avez aimé le film Drive, de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling dans le rôle d’un cascadeur/chauffeur taciturne, sachez que ce long métrage est tiré du livre du même nom de Sallis. Cela vous donne une idée de l’ambiance habitant ses romans. Car en effet, on retrouve cette atmosphère dans Willnot et Sarah Jane, à savoir celle d’une chape de silence, de solitude et de fatalité. Ces constantes sont comme celle d’un corps humain, à savoir des obligations pour faire de ces romans des œuvres personnelles parlant à tout le monde.
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Willnot.
Nous sommes propulsés à Willnot, petite ville des États-Unis. Des corps y ont été découverts, dans une fosse commune. Qui les a enterrés ? Pourquoi ? Nous suivons, à partir de ce fait divers la vie du médecin de la clinique locale, Lamar, vie ponctuée par ses visites médicales et la réapparition de l’un de ses anciens patients, marines revenu sur les lieux de son enfance de façon inattendue.
Plus que l’histoire de ces corps inconnus retrouvés dans cette fosse, plus que l’histoire de Lamar, c’est l’histoire de cette ville paisible qui nous y est évoquée. Un portrait de l’Amérique que l’on ne lit que chez ceux qui ont un jour côtoyé la banalité de l’existence. De noir, l’ouvrage n’en a que le nom, puisque, pour nous, il s’agit presque d’un livre sociétal, tirant au plus juste des portraits d’habitants lambda.
Une notion d’ennui se répand au travers de ces pages. Un ennui fait de petits hauts et de petits bas, un ennui fait de routine, un ennui sans but. Lamar, comme le shérif Hobbes, comme Richard (le compagnon de Lamar) suivent la trajectoire qui est la leur, sans chercher à faire autre chose que leur boulot. Entre considérations intimes et réalités universelles, ce roman nous hypnotise, instille un sourd poison dans nos veines, comme une envie de rébellion, de tout envoyer valser pour enfin vivre un petit frisson d’excitation.
Sarah Jane.
Sarah Jane est une ancienne militaire. Ayant fugué enfant, son parcours chaotique la conduit dans la petite ville de Farr où elle devient shérif. Elle y fait la rencontre de Cal, se lie d’amitié avec lui avant qu’il ne disparaisse (et lui cède par la même occasion le fameux costume de chef des forces de police « municipale ». Comme lui, elle a beaucoup vécu. Comme lui, elle a des choses à se faire pardonner. Nous suivons son existence à travers ses interrogations, à travers cette idée aussi que le destin a déjà tracé toutes les routes qui nous guident jusqu’à la mort.
Le portrait de celle que son père surnommait Mignonne est incroyablement prenant. Nous retrouvons une certaine similitude avec ce qui faisait Willnot (une petite ville, des personnages « subissant » leur vie) et Drive (le côté taiseux qui suggère plus qu’il ne dit), même si, de par la fonction de Sarah Jane, la violence y est plus présente (même si malheureusement banale). Son portrait est une suite de vies en pointillé, d’existences en sursis, des questions sans réponses, d’une quête de soi.
Nous nous identifions plus aisément au personnage qu’est Sarah Jane qu’au personnage de Lamar. Sans doute parce que, comme le nom de ses ouvrages le suggère, les personnages centraux de ces livres sont notés sur la couverture.
La plume.
Qu’il s’agisse de Willnot ou Sarah Jane, la plume de James Sallis est lente. Elle pose un décor, un cadre dans lequel évolue ses différents personnages. Ce cadre est fixe, ne souffre aucun écart,mais ne dégage pour autant pas de sensation de claustrophobie, bien que nous sentions que celle-ci asphyxie en partie les différents protagonistes des histoires. Une fois le cadre posé, une fois qu’il contient tous les éléments nécessaires pour que l’on comprenne de quoi il retourne, Sallis prend le temps de dérouler ses idées.
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Toujours avec une certaine lenteur, il nous confie dans le creux de l’oreille tout ce que son regard a perçu de l’être humain. Même si ne nous identifions pas forcément pleinement aux personnages, nous y retrouvons des traits qui nous sont étonnement familiers. En fait, ils nous sont tellement familiers que nous pourrions penser que Sallis les a extraits de notre caboche pour les coucher sur le papier. Ainsi, un léger sentiment de malaise, mais aussi d’appartenance se met en place, au fur et à mesure des pages que nous tournons.
Qui sommes nous, qui sont-ils ? Des gens sans histoire, des gens avec une multitude d’histoires, comme nous en fait. Car là où Sallis appuie, ce n’est jamais sur le sensationnel, sur l’exubérance, mais sur des points de détail, sur l’humain, sur une empathie débordant d’humanité. Il n’y a pas, comme dans trop de romans noirs, cette course à l’hémoglobine, aux esprits torturés et malades de psychopathes, mais au contraire une marche lente vers ce qui habite chacun de nous, avec sa juste proportion d’âmes en quête d’elles-mêmes.
Le rythme.
Nous avons évoqué plus haut que celui-ci est lent, mais c’est une lenteur qui va progressivement imposer sa vélocité. Les deux romans se lisent vite, d’une traite, mais restent imprégnés en nous pendant longtemps. Parce que, comme un rouleau compresseur, ils aplatissent nos certitudes. Il y a tant d’amour dans ces pages que l’on ne peut que s’interroger sur notre propre capacité à aimer nos prochains. En effet, les personnages de Lamar et de Sarah Jane ne sont pas là par hasard, ils occupent tous deux des positions sociales d’importance.
En effet, qui mieux qu’un médecin « de campagne » et qu’une shérif d’une petite bourgade pour nous en dire long sur ce qui fait l’Amérique d’aujourd’hui, une Amérique des armes à feu pouvant retentir à n’importe quel moment, pour n’importe quel prétexte (une scène à la fin de Sarah Jane et Willnot nous glace particulièrement les sangs). Il y a aussi cette notion de fuite, dans le travail pour Lamar, pour sa survie pour Sarah Jane. Une fuite vers l’avant qui finalement les installe tous deux dans la réalité de leur être.
Inexorablement, nous voyons qu’ils se trouvent exactement là où ils doivent se trouver, réimpliquant ainsi cette notion de destin tout tracé. Il nous arrive tous, quand nous évoquons la mort, de dire que « quand c’est l’heure, c’est l’heure », il en est de même dans ces romans. Pas forcément à propos du trépas, mais à propos de la vie elle-même. Elle nous mène là où nous devons nous trouver, elle nous offre ce que nous devons recevoir, ce que nous méritons. Quoi que nous fassions pour accélérer le tempo, pour remplir les vides, ils le seront toujours de la façon dont le destin l’aura décidé.
Une leçon.
Dans un cas comme dans l’autre, ces romans sont une leçon. Une leçon à voir ce et ceux qui nous entourent, de ne pas les juger, d’accepter qui nous sommes autant que qui ils sont. Même si nous évoquions le destin, un caractère presque inexorable nous conduisant là où nous devons nous rendre, nous sentons malgré tout des personnages libres d’être ce qu’ils sont profondément. Des êtres apeurés, profondément humains, ayant leurs blessures qui les auront façonnées tels qu’ils sont, ayant développé cette capacité à entrer en relation, en oubliant d’être aveugle aux sirènes d’une modernité absente de ces histoires. Des terriens les pieds solidement plantés dans la vie en somme, même si celle-ci ne les épargne pas.
Nous ressortons de ces deux livres avec une sorte de jubilation interne s’apparentant peut être à une espèce de filiation. En lisant ces personnages, nous retrouvons un peu de nous, comme si nous aussi nous pouvions devenir des personnages de roman, d’histoire de rien du tout pourtant sublime. Si le noir habite les pages et les âmes de Willnot et Sarah Jane, James Sallis le rend brillant par sa capacité à dessiner l’humain dans ce qu’il a de plus beau. Et ça nous touche au-delà des mots.
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