GUY TORRENS , Entre deux battements de cœur

entre deux battements de coeur guy torrensRecueil de textes courts aux éditions du désir.

La microfiction, la mini-nouvelle. Entre timbre-poste de roman ou mot griffonné sur une nappe en papier, le texte court peut se décliner en autant de facéties que le décide leur auteur. Entre deux battements de cœur, de Guy Torrens réunit 100 textes, pour 226 pages, 100 textes comme 100 déclarations du moi de l’auteur, 100 textes comme 100 départs sur le quai d’une gare, 100 textes comme 100 aboutissements.

La langue de Guy Torrens se fait (la) belle dans ce recueil. Elle s’émancipe du carcan parfois rigide du roman qui nécessite de développer une idée au long cours, tout comme elle s’émancipe de celui, plus malléable, de la nouvelle. Car ici, pas de début, pas de fin (à une ou deux exceptions près de textes ressemblant à des chapitres d’un ouvrage plus conséquent), juste un instantané dans la vie de personnages « clones » de l’auteur. Ses thèmes de prédilection sont là, le rock et le punk, les corps, la recherche de l’autre, la recherche de soi, la recherche d’un ailleurs où enfin exister en paix avec soi-même.

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Fuite vers l’avant.

Il y a toujours cette question de fuite vers l’avant, cette idée de mouvement : ne pas attendre que les choses se déroulent, les précipiter, les provoquer. Paradoxalement à la brièveté des textes (2 pages dans la majorité des cas), Guy Torrens prend « rapidement » son temps. Drôle d’énergie, de rythme, que celui du recueil, comme un balancier avec d’un côté de la perche les idées noires, de l’autre les idées moins noires, au milieu le funambule qui avance, aveugle au danger. Ce danger, peut-être, est celui d’être pleinement soi-même, sans autre voie que d’aller au fond de soi et y trouver ses réponses.

Cela se retrouve dans chaque texte, des plus surnaturels aux plus naturels. Même les lieux sont en attente de quelque chose. On ne sait jamais quoi exactement, peut-être l’explosion nucléaire qui anéantira tous les espoirs et tous les questionnements. Car le doute est omniprésent, peste qui ronge de l’intérieur, mais auquel on se raccroche, parce que vivre, c’est espérer, et que l’espoir fait vivre. Serpent qui se mord la queue, spleen ancestral provenant de la nuit des temps et qui habite les gênes de l’auteur et de ses personnages.

Ils sont d’un flamboyant terne, ces personnages. Comme si l’éclat qui les rend beaux se trouvait atténué par le cirage de l’existence (la patine du temps). Rêves barrés, restent le rêveur asséché. Pourtant, encore vivant, il vit du souvenir, ce qui le rend toujours un peu plus triste, un peu plus enfermé dans sa mélancolie.

Lumière de cristal.

La lumière provient parfois d’univers purement SF. Si la magie, l’inexplicable, l’irrationnel existent dans les livres de Guy Torrens, dans ses nouvelles, dans ses romans, dans ses poèmes, ils trouvent ici une dimension presque extra-terrestre, sur d’autres terres dans laquelle la projection d’une passivité devient le terreau d’une nouvelle civilisation. Pourtant, la vie, contre-toute attente, essaye de se renouveler, sous de nouveaux auspices.

Comme une marche, qui jamais ne doit s’achever, l’existence est la question primordiale d’Entre deux battements de cœur. Elle se retrouve même dans le titre de l’ouvrage. Qu’y a-t-il entre deux battements de cœur ? Deux vides de battements, un espace vierge de tout, petite mort comme une jouissance qui ne se déclare jamais, jouissance d’éteindre une bonne fois pour toute la lumière, plutôt que de devoir prendre la décision de faire basculer l’interrupteur sur OFF soi-même.

Des personnages l’attendent cette mort, sans avoir le courage de la provoquer. Pourtant, en refusant de vivre, ils s’infligent bien plus qu’une mort (ici souvent libératrice), ils s’infligent une non-vie, éteignent les rires, mettent sous couvert l’espoir, annihilent la joie, même de courte durée. Quand un bienfaiteur arrive, ils sautent sur l’occasion, comme par fausse naïveté, de lui laisser le choix des armes (Alexandre S. n’est jamais loin).

100 textes.

L’impression qui ressort de ce livre, c’est ce spleen goudronneux qui colle aux pattes. Pourtant, il est toujours éclairé d’images fulgurantes, tout comme ils tissent des liens avec chacun des livres écrits par Guy Torrens. Ce fil, symbole d’une vie qui peut rompre à tout moment, uni tout dans tout, empêche le corps de se démembrer, empêche la chute inexorable. Ce fil, c’est celui de l’écriture à laquelle l’écrivain se tient de toutes ses forces.

Si ce livre n’est pas forcément le meilleur de son auteur, il est peut-être celui qui les réunit tous, ceux déjà écrits et puis aussi ceux à venir. Il nous tarde donc de découvrir ses prochains pas, et d’y lire la continuité de sa plume qui ne cesse d’évoluer.

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