[ROMAN] ÉTIENNE RUHAUD, Disparaître // sans trace

Roman paru aux éditions Unicité.

Il y a une référence à Franz Kafka, quelque part au début de ce roman paru il y a déjà quelques années mais qui mérite que nous nous arrêtions un peu sur lui. Il y a donc cette référence à Franz Kafka, pour un livre qui possède presque une similitude avec La métamorphose, celle de partir d’un état premier pour se terminer dans un état second, en suivant toute la chronologie de cette modification. Mais, pour ceux qui n’aiment pas Kafka (contrairement à nous qui aimons), sachez que Disparaître en est relativement éloigné.

Nous suivons la trajectoire de Renaud, un jeune homme, qui se fait lourder de La Poste. Un nouveau renvoie, un échec de plus à ajouter à une liste dont nous ne savons pas tout mais qui nous paraît longue comme le bras. Elle doit l’être d’ailleurs car cet homme est las de tout cela, las de lui, las de son incapacité à… À quoi d’ailleurs ? À ne pas rentrer dans le moule, à ne pas entrer dans les cases, à ne pas faire parti du troupeau ? Cet échec de plus l’enferme dans une torpeur alcoolisée/pétardisée, dans une introspection dont l’issue nous apparaît évidente dès le début du roman, que nous dévorons pourtant, avec l’espoir que nous nous plantions radicalement dans nos pressentiments.

Noir et (un peu) blanc.

La couverture du livre est magnifique. Une photo en noir et blanc de Marianne Vingla Camara, un reflet dans une vitre de métro, aérien, surplombant lui-même une voix ferrée. Cette image porte déjà en elle une sublime mélancolie, mélancolie renfermée dans ces quelque 100 pages, mais qui saute aux yeux dès que le livre happe notre regard. Électrisant, en quelque sorte, magnétique certainement. Nous tournons quelques pages, lisons quelques lignes, nous sommes ferrés. Impossible de faire machine arrière, nous irons jusqu’au bout de la nuit avec ce personnage d’antihéros, de loser même pas magnifique.

Les descriptions y sont faites aux ciseaux à bois. Elles taillent dans la masse, ne laissant au final que l’os apparaître. Une ville fantomatique, grise, froide, pluvieuse. Paris et sa banlieue. Des personnages harassés par le poids de leur histoire, de leurs déboires. Mais ils ne sont pas caricaturaux, ils possèdent en eux une humanité fragile, abîmée, qui les rend presque transparents et paradoxalement très concrets.

Cette couverture, ce titre de roman, laissent peu de place à la couleur, à l’espoir. D’emblée, nous y sentons un univers âpre, rude, cloisonné (et donc duquel il est malaisé de s’extirper). Et il y a la solitude, lourde, écrasante, annihilant toute vélléité de combat, toute volonté de s’en sortir. Chienne de vie.

Désespoir.

Nous trouvons beaucoup de désespoir dans Disparaître, sans doute parce que la situation du personnage principal ne fait que le tirer vers le bas. Nous y sentons pourtant une acuité particulière, celle d’Étienne Ruhaud, qui décrypte les rouages de cet être malmené par la vie (et de façon plus large de l’être humain en général). Mais est-il seulement malmené par la vie ? Peut-être est-il simplement fier, simplement orgueilleux, au point de croire que tout lui est interdit, même les bonheurs simples ? Pourtant, ils lui tendent les bras, notamment à travers des sms amoureux d’une fille restée là-bas, chez lui, par exemple.

Toute cette noirceur nous colle à la peau. C’est une boue qu s’infiltre dans les rainures de nos semelles, qui nous empêche d’avancer correctement. On patine, on fait du surplace avec ce personnage que nous voyons se transformer de plus en plus irrémédiablement en être invisible, un de ceux qui peuplent malheureusement les rues. Les mains tendues ne sont pas suffisantes, mais les aurait-il saisies ? Ce roman, très bref mais fortement impactant, démontre les mécanismes de la déchéance d’une identité, de tout ce qui fait l’Homme mais qui s’envole dans les airs quand la machine est cassée.

Cette trajectoire brisée n’est ici que fiction, mais pour combien de réalité parle-t-elle ? Ce roman n’est pas beau (même si la langue y est belle, précise, vive). Il est juste admirablement criant d’une vérité que l’on évite de trop regarder dans le blanc des yeux. Comme beaucoup, nous détournons parfois le regard, mais Disparaître rend cette simple diversion impossible. Aimantés, nous le lisons d’une traite, jusqu’à la lie, et en ressortons la boule au ventre et l’estomac en vrac. Et c’est ce que nous aimons dans la littérature… Qu’elle nous bouscule et nous fasse ouvrir les yeux.

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Interview Etienne Ruhaud

Chronique radio Disparaître et Animaux

 

 

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