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[RECIT] GILLES PARIS, Certains cœurs lâchent pour trois fois rien
À l’heure de la dépression.
Notre vocation n’est pas de promouvoir des livres traitant de récits de vie, encore moins lorsqu’il s’agit de cette maladie, la dépression. Mais nous nous sommes arrêtés sur celui de Gilles Paris, auteur connu et reconnu, auteur du roman Autobiographie d’une courgette, adapté au cinéma (et césarisé). Alors pourquoi ce Certains cœurs lâchent pour trois fois rien (publié chez Flammarion) ? Parce que cette maladie peut s’emparer de n’importe qui, n’importe comment, mais surtout parce que Gilles Paris se livre avec une sincérité parfois désarmante sur sa vie intime, personnelle et familiale, et nous dresse un portrait sans concessions de son rapport à la maladie, sur son intimité mais également son humanité.
Plusieurs éléments sont ici imbriqués les uns dans les autres, à commencer par une relation impossible avec le (son) père, les errances d’un homme en construction (même à 60 ans), l’écriture comme besoin vital, mais qui paradoxalement, et la plupart des auteurs vous le confirmerons, laisse vide de tout, une vie faite d’excès, et d’amour.
Qui est Gilles Paris ?
Nous n’allons pas vous dresser sa biographie. Nous dirons juste qu’il est auteur, a publié plusieurs romans (8 pour être plus précis, ayant tous connus un succès critique), qu’il est attaché de presse indépendant après l’avoir été pour des éditions reconnues (Plon notamment). Nous dirons aussi qu’il a vécu la dépression, non pas une fois, non pas deux fois, mais huit, comme le nombre de ces romans. Dans Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, il nous livre son combat contre cette maladie imprévisible.
Quelles en sont les causes ? Dur à dire, de l’aveu même de Gilles Paris. Peut-être un terrain génétique propice ? Peut-être la violence d’un père d’avec lequel il a coupé les ponts ? Peut-être parce que trop sensible ? Peut-être tout cela à la fois ? Ou peut-être est-ce encore autre chose que lui-même et les médecins ignorent ? En tout cas, il est question de chimie interne puisque cette maladie se stabilise avec un régime médicamenteux, mais aussi avec l’aide de psychiatres. Tombé à huit reprises, il s’est relevé autant de fois. Qu’il s’agisse de tentatives de suicide, de période d’arrêt forcé pendant un an, voire deux pour la plus sévère de ses dépressions, Gilles Paris a trouvé les ressources pour se remettre en mouvement.
Pourquoi ce livre ?
Ce récit est une lettre au père, ou du moins cette lettre est le point de départ de cette « confession ». Il faut parfois tuer ce qui nous tue nous-même pour pouvoir vivre si ce n’est pleinement ou moins un peu mieux. Ainsi Gilles Paris écrit cette lettre pour tuer son démon interne prenant les traits de son paternel, un homme n’hésitant pas à se servir de ses poings, pour imposer… quoi d’ailleurs ? Une autorité ? Absurde. Mais des cas comme ça, il y en a tant, malheureusement.
En écrivant Certains coeurs lâchent pour trois fois rien, Gilles Paris parle de lui, parle aussi de tous ceux qui vivent cette maladie. Certes, son histoire est incroyable, digne d’un roman (et écrit un peu à la manière d’un roman dont chaque chapitre serait une nouvelle), mais nous y retrouvons de la souffrance, de l’amour (pour son mari Laurent qui a droit à une déclaration très forte dans un chapitre, pour sa sœur Geneviève, pour sa mère, pour ses ami(e)s), de l’espoir, bref, d’énormément de vie.
Un livre qui touche.
Forcément, ce livre touche qui le lit. Le premier chapitre, Lettre au père, est très violent, nous renvoie à qui nous sommes, enfant, fils ou fille de, parents, père surtout. Il correspond, comme son nom l’indique, à la lettre de Gilles Paris à son père. Elle dit tout d’une souffrance qui ne peut trouver d’exutoire que dans ces quelques mots superbement dosés, écrits, allant au but, sans oeillères. Uppercut. Un peu de ceux que l’auteur a reçu de ce même père. Retour d’ascenseur.
Le point final de ce livre résulte dans ce premier chapitre. Paradoxalement, le dernier chapitre, J’aime, est une introduction à la vie, à ces petits quelques choses qui font l’existence. Parmi ceux de Gilles Paris, l’empreinte d’un pied mouillé sur un ponton, la lecture, l’écriture, surtout, plus que tout, plus que jamais.
Cet exercice des « J’aime », nous devrions tous le pratiquer, si ce n’est quotidiennement au moins une fois de temps en temps, pour nous rappeler que la vie est faite d’innombrables petits riens qui font qu’elle vaut d’être vécue. Même si elle est dure. Mais ce livre, entre cette parenthèse de début et de fin (ou inversement) referme des clés sur la dépression et, en tant que lecteur, permet de mieux comprendre les personnes qui en sont atteintes.
Utile.
Ainsi, elle peut happer n’importe qui, riche comme pauvre (Gilles Paris est issu d’une certaine bourgeoisie, celle dont on pense souvent que « ces gens-là n’ont pas à se plaindre »). Nous apprenons aussi que la personne en dépression culpabilise d’être dans cet état, qu’elle en a honte. Ne lui dites donc pas « tu n’es pas en phase terminale d’un cancer, tout va bien », cela ne fera que l’enfermer dans son mal-être. De la même façon, les sourires (du malade) sont bien souvent un trompe l’oeil. Si vous connaissez une personne dépressive, vous le savez, si vous en côtoyez sans savoir cette personne malade, vous pouvez totalement l’ignorer. Jusqu’à ce que celle-ci craque
Plus que l’histoire de son auteur (qui révèle tout de ces addictions, de ces folies, de ces amants en qui il cherchait à retrouver le père etc…), ce livre est un cri de vie, une manière pour Gilles Paris de déposer un bagage trop lourd. En aucune façon il ne s’agit d’une thérapie par l’écriture, ou pire d’un auto apitoiement, mais juste de poser de façon claire ce qu’il a disséminé dans ces romans. Une façon aussi de dire je recommence de ce nouveau point de départ, allégé d’un poids, pour ne pas sombrer à nouveau.
Nous sentons une volonté farouche, une humanité et une sensibilité débordante chez cet homme qui n’est finalement qu’un homme parmi d’autres, avec ses failles, ses forces et un cœur qui bat pour les autres avant lui-même. Avec Certains cœurs lâchent pour trois fois rien, il prend enfin le temps de s’écouter… Ce qui le sauvera peut-être d’une rechute mais qui a au moins le mérite de laisser un fardeau de côté, pour continuer à avancer plus sereinement dans l’existence.
Interview Gilles Paris
Chronique radio Certains cœurs lâchent pour trois fois rien
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