ANDRÉ BUCHER, Tordre la douleur// en douceur

tordre la douleur andré buchetNouveau roman disponible chez Le mot et le reste

Nous sommes dans une société dure, où tout peut survenir, une rupture d’anévrisme comme une mauvaise chute aux abords d’un rond-point. On s’éteint, soudain, et nous laissons derrière nous la peine, la tristesse, la mélancolie et l’amertume. Surtout, nous laissons la vie vide de sens. Pour ceux qui restent, la vie n’a plus de goût, plus de saveur, simplement de la douleur. Mais il faut, si l’on désire continuer à exister un tant soit peu normalement, la torde cette douleur, de gré ou de force, ou bien sous le jeu toujours inédit, hasardeux, à moins qu’un grand Tout guide tout cela tel un chef d’orchestre facétieux, des rencontres improbables et inattendues. Tordre la douleur d’André Bucher est un peu tout cela à la fois.

Un fils, une mère.

C’est l’histoire de Bernie, qui a perdu son fils âgé de la quarantaine. Rupture d’anévrisme, imprévisible, impitoyable. Un an après, après la cérémonie de recueillement, sa femme le quitte. A 65 ans, il n’est plus rien, n’a plus aucun goût. Seul désire : disperser les cendres du fils aux Saintes Marie de la Mer.

Sylvain vient de perdre sa mère, renversé, enfin pas vraiment, par une voiture, sur un barrage des Gilets Jaunes. Il est dévasté mais n’en tient pas rigueur à la conductrice du véhicule (elle n’a en fait pas touché cette mère de famille), mais ne lui pardonne pas tout à fait. Sylvain est garagiste, ça lui arrive de réparer le véhicule de Bernie, qu’il a affectueusement surnommé grand-père sur un des fameux rond-points occupés.

Edith quitte son compagnon. Il l’a frappé, une fois de plus, mais elle s’est défendue, lui a fracassé une bouteille sur la tête. Elle ne constate pas si elle l’a tuée, elle prend la fuite. C’est le soir, la nuit tombe, il pleut et elle tombe en panne d’essence. Une voiture s’arrête, la prend en stop, interrompant son périple vers les Saintes Marie. La vie joue des tours, mais elle va permettre à tous ces personnages de reprendre pied, de savourer à nouveau l’existence.

Une écriture sensible.

Nous avions déjà évoqué le travail d’André Bucher dans la chronique de son précédent roman, Un court instant de grâce. Comme celui-ci, nous retrouvons l’univers montagnard, rude, âpre, mais aussi majestueux, puissant. Le personnage de Bernie pourrait en être sa personnification, c’est-à-dire que comme elle, il est massif, imposant, sec, sauvage. Mais quand on gratte cette pellicule rugueuse, on découvre un homme blessé qui a des trésors d’humanité en sommeil sous une carcasse servant de carapace à la beauté de son âme. Personnage central du roman, c’est autour de lui, et des lieux, que se déroule l’histoire.

Avec une économie de mots, très « simplement » choisis, André Bucher esquisse des portraits de personnage arrivés à des points charnières de leur existence. En deuil, d’une façon ou d’une autre, ils doivent tous continuer à avancer. Se heurtant à la vie elle-même, c’est par le partage, l’empathie, qu’ils trouveront une échappatoire à une voie sans issue, celle qui nous guette quand nous ruminons sur le passé au lieu de vivre l’instant présent.

L’écriture de l’auteur s’accorde à la beauté des lieux. André Bucher, sans faire dans le message écologiste, nous évoque à la fois son amour des hommes et celui de la nature. Nous nous trouvons très vite embarqués dans cette histoire, sans qu’il soit possible de lâcher le livre une fois que nous l’avons entamé.

Tordre la douleur.

Ce roman porte indubitablement bien son nom. En se montrant altruiste, solidaire, empathique, , la vie des personnages prend une dimension nouvelle. Pardon, résurrection, protection, des mots qui résumeraient un peu le propos de ce livre profondément humain. C’est à regret que nous quittons cet univers dur mais o combien généreux en émotions. Qui plus est, l’auteur s’avère extrêmement lucide et ose quelques pics bien sentis à l’encontre de certaines manipulations. Avec intelligence, en quelques lignes seulement, il pose une critique bien sentie de la société qui est la nôtre.

Vous l’aurez compris, ce court et magnifique roman nous remet un peu les yeux en face des trous. Avec tact, dans un dosage savamment orchestré, Tordre la douleur est la représentation du chemin à parcourir pour redonner à la vie ses saveurs, mais aussi foi dans une humanité pervertie par des besoins qui n’en sont pas véritablement. Seuls compte finalement la grandeur de certaines âmes, de certaines rencontres. Nous ressortons de ce livre grandis, emplis d’un sentiment de joie qui ne nous quitte pas durant de longues heures. Et c’est énorme.

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