[ ROMAN ] ALEXANDRA SCHWARTZBORD Les lumières de Tel-Aviv
Les lumières de Tel-Aviv, thriller d’Alexandra Schartzbrod (Rivages/noir)
Dans Les lumières de Tel-Aviv, Alexandra Schwartzbord nous transporte dans un Israël bicéphale avec d’un côté les Juifs ultraorthodoxes, résidant à Jérusalem, de l’autre, les Résistants, soit des Arabes et/ou Palestiniens expulsés de leurs terres, soit des Juifs modérés, regroupés à Tel-Aviv. Entre les deux, un mur séparant les deux états dans l’État. Celui-ci, surveillé par des robots tueurs dotés d’une intelligence artificielle, interdit tous mouvements d’un état à l’autre. Mais quand les idéaux, la survie ou l’amour s’en mêlent, les hommes n’ont d’autres choix que de tenter le pari de le franchir.
Dans un futur proche.
La situation décrite par Alexandra Schwartzbord est des plus plausibles. À tel point d’ailleurs qu’il n’est pas impossible que nous le vivions d’ici quelques années si la politique colonialiste du gouvernement Israélien ne tempère pas ses ardeurs. Il n’y a là rien d’étonnant car Alexandra Schartzbrod, en plus d’être romancière, est également essayiste spécialiste d’un Moyen-Orient et directrice adjointe de la rédaction de Libération. Les lumières de Tel-Aviv est la suite d’un cycle consacré à Israël dont les deux premiers romans se nomment Balagan et Adieu Jérusalem (respectivement prix SNCF du polar et Grand prix de littérature policière).
Nous sommes donc plongés dans un futur (plus ou moins) proche dans un Jérusalem ultra-orthodoxe, replié sur lui-même, dirigé par Arie Golan, un Premier Ministre ivre de pouvoir qui décide, sous la protection des Russes, d’équiper le mur de drones et autres robots tueurs autonomes. Sachant cela, son conseillé, Haïm, décide de quitter Jérusalem pour prévenir la résistance du risque qu’ils encourent. Il abandonne sa femme, Ana, son ami et collègue Isaac, pour rejoindre Tel-Aviv.
Il fera là-bas la rencontre d’Eli, un membre de la police des Résistants, et de Samara. De son côté, Isaac se voit mêlé à cette sombre histoire de surveillance de mur. Mis dans la confidence par le Premier Ministre en personne, sa foi est fortement ébranlée. Ailleurs, dans Jérusalem, deux adolescents orphelins, arabes, Malika et Moussa, sont pris pour cible par les Russes. La route des uns et des autres est inextricablement liée et les conduira tous vers le mur.
Un roman choral.
Il existe des films « choral », mettant en place plusieurs histoires qui s’entrecoupent, sans qu’aucun personnage principal ne se détache véritablement du lot (on pense au sublime Magnolia de Paul Thomas Anderson par exemple). Il en est de même dans ce roman. À travers de brefs chapitres qui donnent un rythme haletant au livre, Alexandra Schwartzbrod nous entraîne à sa suite à la découverte des histoires de chacun de ses personnages, de leurs psychologies, sans qu’aucun ne prenne le dessus sur les autres.
Nous avons bien évidemment notre petite préférence, mais celle-ci est toute personnelle. Chaque lecteur se fera sa propre opinion sur le personnage qu’il préfère. Tous possèdent une histoire propre, des rêves, un but, et malgré la relative brièveté du livre (moins de 300 pages), chaque personnalité est détaillée de façon convenable. C’est-à-dire que tout n’est pas dit, laissant notre imaginaire travailler à fond, mais rien n’est survolé non plus. Le dosage est juste entre imaginaire et « réalité » de leur vie.
Si au début nous avons un peu de mal à identifier chaque personnage, cela s’amoindrit très rapidement. Les traits de caractère de chaque protagoniste sont suffisamment nuancés pour distinguer qui est qui. Si Malika et Ana sont des femmes « forte », l’un est feu, l’autre est eau. Idem concernant Haïm et Eli, deux hommes liés contre leur gré mais radicalement différents dans leurs comportements. Nous nous éprenons d’eux tous, au point que, lorsque la fin du livre survient, nous ressentons une frustration certaine à devoir les quitter, sans avoir toutes les réponses ! Une nouvelle fois, Alexandra Schwartzbrod autorise notre imaginaire à créer la suite de l’histoire, à notre convenance.
Au-delà de l’aspect romancé.
Ce roman est bien entendu une création, néanmoins, tout ce terreau géopolitique nous place d’emblée dans un univers anxiogène, avec d’un côté un monde ultra-religieux, de l’autre une utopie misérable (dans le sens sans ressources, sans confort). Les lumières de Tel-Aviv porte bien son nom. La ville y est décrite comme un endroit de totale liberté, où la lumière pleut littéralement (d’après l’imaginaire des habitants de Jérusalem). Mais les lumières peuvent également faire référence au fameux siècle des lumières français. Les résistants, en effet, prône une totale équité entre les femmes et les hommes, et une tolérance réelle, d’une véritable laïcité, où chacun peut exercer sa foi comme il l’entend.
Les autres aspects géopolitiques, comme ce mur dressé entre les deux villes, la soif de pouvoir d’un Premier Ministre « mégalomane » qui bafoue les préceptes de la loi religieuse qu’il impose, qui fricote avec des Russes sans âme fait étrangement résonance en nous. Le décor est planté, impose un climat tendu dès les premières pages, pour ne nous lâcher qu’à la toute fin. Il nous amène à nous interroger sur les enjeux de ce territoire, sur l’absence de réel politique étrangère des États occidentaux qui ont juste profité de la chaleur de vivre de ce pays où les conflits ne se règlent jamais réellement.
Bref, ce roman noir file le bourdon, mais est sauvé du marasme par des personnages plus que sympathiques, même si, hélas, tous ne survivent pas. Sans oublier que la plume d’Alexandra Schwartzbrod est des plus habilles, presque manipulatrice puisqu’elle nous interdit de reposer le roman avant de l’avoir terminé !
EXCLU : Retrouvez Les lumières de Tel-Aviv dans B.O.L (Bande Originale de Livres) diffusée le 30 mars dernier sur Radio-Activ. A écouter ICI (qualité sonore de niveau fait à la maison).