SENSATION ALBUM 4, Les Manteez, Périsélène
2 albums sinon rien.
Cette sensation album 4 regroupe deux albums aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, la pop psychédélique de Les Manteez avec Magical seeds, de l’autre les expérimentations folles, textes et musiques, de Périsélène avec Chiral. Dans les deux cas, des démarches artistiques assurées et assumées, pour un maximum de plaisir.
LES MANTEEZ, Magical seeds (disponible chez May records)
Jouer la carte de l’obsession vintage, en y incorporant une dose de modernité. Tout repose sur la formule duo de Les Manteez. Voix féminine, s’exprimant en anglais (accent de très belle tenue) et français, un musicien à la guitare, basse et boîte à rythmes (majoritairement), le tout s’avère minimaliste sur la forme, mais efficace. Avec Magical seeds, leur album sorti récemment, Les Manteez nous démontre qu’il suffit parfois de pas grand-chose pour nous plonger dans un bain psychédélique enivrant, poétique à sa manière, et musicalement subjuguant.
Ici, pas de démonstration de force, pas d’ostentatoire ou de mauvais goût, juste un amour partagé de la mélodie qui fait mouche, de textes légèrement abstraits. Ceux-ci ne manquent pas de nous entrainer sur des pentes oniriques du fait des orchestrations en suspension entre rêve et réalité. Si l’on peut regretter la présence d’un vrai batteur qui apporterait un peu plus de fluidité sur les parties rythmiques, ainsi qu’un peu de lâcher prise (la prison sans nuance stylistique de la boîte à rythmes empêche un peu/beaucoup les improvisations que l’on sent pourtant à bout de cordes de la guitare), le duo nous démontre qu’on peut rester libre malgré un carcan étroit imposé par la technique.
Années 60 dans le rétro.
En ce sens, Magical seeds ne manque pas de charme. Chaque composition est un voyage aux alentours de la fin des sixties, propose une atmosphère plutôt anglo-saxonne, même quand le texte est posé en français. Quand cela est le cas, un parfum presque yéyé se diffuse autour de nous, mais celui plutôt qualitatif, qui met l’accent sur l’impression plus que sur le sens. Un second degré, un peu rêveur, nimbe tout l’album, un parfum de candeur, d’innocence également. Cela ne nuit nullement à l’album, bien au contraire.
La voix possède un côté hypnotique notamment parce qu’elle se cantonne à ce qu’elle sait faire de bien, autrement dit de poser des lignes de chant relativement simples, mais expressives, sans grosse démonstration technique pour autant. En revanche, d’une précision diabolique, elles accompagnent la musique le plus à l’os possible. Pas d’envolées lyriques non plus, nous restons dans le giron douillet et intime d’un chant qui nous prend par la main gentiment, sans nous imposer quoi que ce soit. Libre à nous de suivre ou de faire demi-tour. Notre choix est vite fait, nous suivons.
Musicalement, même constat. Pas d’effusions mal placées, une sobriété contrastant avec le style pratiqué. Pas de dérive heavy psych, mais plus un caractère timide qui séduit par le fait qu’il ne se disperse pas aux quatre vents. Rythmiques basiques, légers solos, parfois joliment teintés de blues, effets divers, basse cardiaque, il ne nous en faut pas beaucoup plus pour nous laisser bercer et sombrer dans un état second de conscience.
Ambition contrariée ?
On sent le duo à l’aise dans son style, mais nous sentons aussi qu’il pourrait aller plus loin, il en a l’ambition. Nous disons cela parce que l’utilisation de synthétiseurs pour contrecarrer l’absence de corde est audible. Le résultat, s’il n’est pas rédhibitoire, s’avère un palliatif, un « faute de mieux » un peu frustrant. Nous sentons un fort potentiel que masquent un peu ces claviers aux sonorités légèrement passées. Cela est flagrant sur deux titres et en particulier sur le très beau Pari lové.
Ce défaut de moyen ne saurait gâcher ce disque d’une excellente tenue, très agréable à l’écoute, qui éveille tout un imaginaire en nous, que l’on soit éveillé ou que nous fermions les yeux. Les Manteez nous charme donc de façon convaincante, avec une certaine idée de discrétion. Pourtant, le groupe aurait tout pour se la péter grave. On apprécie donc cette humilité qui les caractérise et qui rend ce disque si magnétique.
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PÉRISÉLÈNE, Chiral (déjà disponible)
Disque très déroutant que Chiral, de Périsélène. Déroutant car il ne nous brosse jamais dans le sens du poil. Au contraire, il n’hésite jamais à le faire à rebrousse, à nous ébouriffer les oreilles et le cerveau, comme pour mieux montrer sa différence, son essence. Celle-ci se situe au niveau d’une expérimentation texte et musique, d’un métissage des genres et styles, s’affranchissant souvent de tout contexte d’espace temps. Il est ainsi dur de trouver un point d’appui autre que celui reposant sur des instruments électrifiés, propices au rock, ce que n’est pas fondamentalement Chiral.
Parce que Chiral, c’est un peu de rock, tendance progressive, agrémenté d’attaques metal, un peu de chanson, version poétique cryptique, reposant plus sur la sonorité des mots que sur leur sens. C’est aussi un peu d’esprit jazz, d’improvisation, d’un phrasé parfois hip-hop, dévoilant au détour d’un virage un caractère funky loin d’être déplaisant. Les sables sont mouvants, mais nous prenons plaisir à nous immerger dans leur piège. Car le groupe est toxique, du genre de ceux qui dévastent tout par leur maturité artistique (et le « j’m’enfoutisme » de rapporter des tonnes de fric en faisant la même chose que le voisin au détriment d’un propos personnel).
Math rock.
Tout, dans Chiral est complexe, sans pour autant perdre un caractère spontané ou accessible. Par exemple, le titre d’ouverture (enfin une fois passée la courte introduction) montre une assise math rock, faite de ruptures de rythme, de cassures, de changements versatiles d’ambiances, mais possède ce groove qui dès les premiers instants nous aimante. Cela reste une constante sur le disque, ce mélange d’exigence et d’esprit de partage.
Les mélodies ne sautent pas littéralement aux oreilles, mais leur thème s’impose petit à petit au long des titres. Il faut dire qu’en s’allongeant ostensiblement au-dessus des 6 minutes (sur 9 morceaux composants Chiral, seuls 3, en comprenant l’introduction qui pourrait être raccroché au deuxième titre) font moins de 7 minutes, avec un pic jusqu’à 12 minutes et 51 secondes en conclusion de l’opus avec un morceau dont le nom est aussi à rallonges puisqu’il se nomme joliment Oiléhrehtecyclosiseniblaesairdymsisoymegarolarihchiral (on n’invente rien).
Posture ?
Pourtant, pas de posture de la part de Périsélène. Leur but n’est pas de faire une musique à usage unique des musiciens. Il s’agit plutôt d’exprimer de manière nuancée ce que renferme leur être. Un côté viscéral ressort donc de façon tonitruante, par un son parfois abrupt, rugueux, qui ôterait toute beauté un peu trop clinquante, bling bling, pour se concentrer sur une texture d’écorce, d’enduit de façade plein d’aspérités. Paradoxalement, cela fait ressortir une beauté cachée, dissimulé derrière le paraître, qui expliquerait l’être.
Tiraillé entre plusieurs sentiments, comme Périsélène ne choisit pas un genre musical particulier, piochant dans ces références comme pour mieux bâtir leur édifice artistique, la musique qui s’étale sur le devant de nos oreilles possède des contours sinusoïdaux, pleins et déliés d’une expression qui englobe une pensée ne s’offrant aucune limite.
Parenthèses.
Ainsi l’orage de guitares distordues côtoie une mer ambient, une poésie fracassée s’oppose à la beauté d’une rythmique ténébreuse et tourmentée, les impressions surgissent violemment à des moments que l’on pourrait juger inopportuns, mais qui s’avèrent au final totalement pertinents. Les grands écarts sont impermanents mais, du fait de la longueur des titres, prennent le temps de se développer. Un peu comme un time laps qui dévoilerait en une minute un processus d’une journée.
Ce disque est donc un exhausteur de perceptions, d’expressions intimes tendant vers une universalité muette, ou non dite. L’oppression rôde, la délivrance semble au bout du chemin. Tout le travail de Périsélène est donc orienté vers cette recherche du texte et du son juste, synthétisant, en image, ce que les mots ont parfois du mal à dire. Intense, exigent, oui, mais aussi terriblement émouvant.