chronique roman, nouvelles, récit
RICHARD APTÉ, Fréquences de nuit, rêver John Lennon
Un roman sur… la mort.
John Lennon, figure emblématique et légendaire pour tous ceux qui vénèrent le rock, est dans ce roman de Richard Apté un prétexte à une longue digression, musicale et sociale, sur la mort (tout en étant également un hommage discret aux radios pirates). Tout commence le jour où l’ex-Beatles est abattu devant son immeuble, un soir, en 1980. Romain, un tout juste adolescent, ayant été marqué par la mort d’un cousin éloigné découvre un soir, à la radio, la terrible nouvelle. Elle le plongera, des nuits durant, dans l’écoute d’une émission diffusée par une radio pirate revenant sur la vie et l’oeuvre de Lennon. Elle le plongera également dans son propre rapport à la mort.
Mort de l’icône. Mort du père en tant que pilier familial lorsque Romain découvre ce qu’il pense être une preuve d’infidélité du paternel. Mort de la mère qui, en même temps, se fait soigner d’un lymphome, maladie dont Romain a eu connaissance de façon fortuite. Mort de l’enfance et des illusions, lorsque l’on comprend enfin que nous ne sommes que de passage, et que celui-ci peut être rendu plus bref par la faute d’un fanatique. Pourtant, ce livre, n’est pas triste.
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Les royaumes s’embrasent.
Romain a 13 ans. Il vit avec ses parents et son frère, de quelques années son aîné. Tout se passe bien dans sa vie, elle ronronne. Tous les ans, aux fêtes de fin d’année, la famille gagne, au concours du comité d’entreprise de son père, un cadeau luxueux, le premier prix. Ils ne savent plus trop quoi en faire d’ailleurs. Et cette année, alors qu’étrangement ils n’arrivent qu’en troisième place de ce concours, ils reçoivent un ghetto-blaster. Romain se bat pour que l’engin lui soit confié.
Le soir, il découvre sur la bande passante des émissions, des radios dont il ne soupçonnait pas l’existence. Par l’une d’elles, il apprend la mort de John Lennon, abattu par un forcené (son nom n’est jamais cité dans le livre). Déjà ébranlé suite à la mort d’un cousin éloigné, qu’il ne connaissait d’ailleurs pas beaucoup, celle de Lennon est un cataclysme qui fait que le jeune garçon s’enferme dans un monde opaque. La nuit, vers minuit, il allume son « radiocassette » et suit une émission qui retrace la vie de l’ex-Beatles. Bientôt, rêve et réalité se confondent pour le garçon, en même temps qu’il découvre que ses parents ne sont pas le reflet exact de ce qu’il percevait et imaginait d’eux.
Les remises en question.
On le sait tous, l’adolescence est ce moment-charnière durant lequel tous les codes sont remis à plat. Plus tout à fait enfant, pas tout à fait adulte, la morale se construit et remettant en cause les fonctionnements des parents, en s’en détachant un peu chaque jour, afin de créer son propre chemin. En suivant cette émission de radio, en apprenant que le son peut dire autant de choses que des images, voire peut-être même plus, Romain s’ouvre les portes d’un univers rien qu’à lui. Il fait corps avec Lennon, s’y réfère en tant que modèle. Lennon, en quelque sorte, devient le père, là où son véritable paternel montre son « vrai » visage, un visage manipulateur, menteur, volage aussi.
Et puis, Romain découvre, en farfouillant, que sa mère est atteinte d’un lymphome, qu’elle risque de mourir. Or, elle prétexte une formation subite, loin du domicile, sans donner de date de retour. En découvrant le pot-au-rose, Romain sent s’effondrer sur lui-même ce château de cartes qu’est devenue sa vie. Bientôt, la situation devient conflictuelle.
Au plus près des émotions.
Richard Apté nous entraîne dans son univers en brouillant les frontières entre pensées intimes, imaginaire et réalité. Avec un regard tendre sur l’adolescent (dont on ne peut s’empêcher de se dire qu’il est un reflet de l’adolescent qu’était Richard Apté lui-même), l’auteur parvient à nous faire pénétrer dans son intimité, dans ses grandes questions qui font la grandeur de la vie, et de la mort. Car ce thème est ultra présent, il est le fil rouge du livre, même si elle n’est pas une fin. Quand meurt l’enfant nait l’adulte, quand l’on tue le père, métaphoriquement parlant, c’est pour nous-mêmes nous inscrire dans le cycle de la vie.
Seule la mort de John Lennon est véritablement une fin. Et encore… Car il paraît plus vivant que jamais l’ex-Fab Four, fantôme charismatique ultra présent malgré ses cendres dispersées ici ou là. Il apporte au jeune adolescent des réponses, fait s’entrechoquer des évidences, des idées, des notions parfois abstraites mais qui toutes permettent à l’enfant d’évoluer, d’apprendre, de comprendre. Là où la morale se forme, Richard Apté ne la joue pas moralisateur. Il pèse chaque tenant et chaque aboutissant avec une finesse rare, délivre un message simplement universel sur ce que c’est d’être un homme (avec et/ou sans H majuscule).
Son écriture possède l’apparence trompeuse d’un rêve. Elle suit une linéarité particulière, fait de moments parfois gazeux, parfois extrêmement lucides. Comme Romain qui parfois somnole en écoutant son émission, la plume perd en consistance pour en regagner l’instant d’après. L’exercice de style est périlleux mais réalisé avec dextérité, donnant l’impression de toujours nous rattraper in extremis au propos, à un moment où nous aurions pu nous égarer en nous-mêmes. Tout cela concourt à rendre le livre captivant.
Imagine.
Ainsi, ce livre sur une mort célèbre, qui traite de toutes les formes de morts, des plus concrètes aux plus métaphoriques ne s’avère jamais noir, plombant, mais au contraire symbolise une vie qui ne s’arrête que lorsque le moment est venu. En faisant revivre au lecteur ce drame légendaire qu’est la mort de John Lennon, Richard Apté nous ramène aussi vers notre adolescence, vers toutes les adolescences.
Car derrière le portrait de son personnage principal, c’est bien sur une évocation universelle de cette période si délicate de la vie que nous donne à réfléchir l’auteur, sans jouer sur le pathos ou sur une nostalgie mielleuse. En ce sens, Fréquences de nuit, rêver John Lennon, aux éditions Baker Street, s’avère un livre touchant, plein d’humanité.
Enfin, et c’est un hasard malheureux du calendrier, à l’heure d’une guerre aux frontières de l’Europe, le message de paix d’un Lennon n’en reprend que plus d’importance : Give peace a chance.
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